Guerre en Ukraine : les banques tunisiennes bientôt insolvables ?
Pour l’agence de notation Fitch Ratings, les établissements tunisiens seront les plus menacés du continent si la guerre en Ukraine venait à se prolonger.
Les 23 banques tunisiennes, victimes collatérales de la guerre en Ukraine ? C’est en tout cas l’avis de Fitch Ratings. Dans une analyse du 13 avril, l’agence de notation américaine, qui a abaissé la note souveraine de la Tunisie en mars, affirme que les établissements bancaires du pays « sont parmi les plus vulnérables d’Afrique quant à la guerre russo-ukrainienne ».
Les établissement tunisiens opèrent essentiellement dans leurs territoires, ils ont donc très peu d’actifs dans les deux pays belligérants. Mais les conséquences indirectes du conflit : hausse des prix de l’énergie ; inflation (7,2 % en mars), notamment des denrées alimentaires de base ; chute annoncée du tourisme et baisse des flux des capitaux étrangers, devraient accélérer les risques d’insolvabilité des banques.
Péril sur le secteur touristique
Selon l’Institut national de la statistique, les importations énergétiques ont explosé de 87,2 % au premier trimestre 2022. Elles représentent environ un tiers du déficit commercial.
Or, plus le conflit en Europe durera, plus les prix de l’énergie devraient augmenter, obligeant notamment l’industrie à emprunter davantage pour s’approvisionner en matières premières et produits semi-finis, alors que la demande intérieure devrait diminuer.
La hausse du prix des céréales importées risque d’augmenter les tensions sociales »
En 2021, les prêts au secteur industriel représentaient 44 % des crédits bancaires aux professionnels. Le secteur du tourisme, alors que la haute saison débute en Tunisie, sera également impacté négativement. Appartenant essentiellement à la classe moyenne, les Européens pourraient faire l’impasse sur leurs vacances en Tunisie cette année. Le ministère du Tourisme a d’ores et déjà fait une croix sur les touristes russes, soit tout de même 6 % des visiteurs étrangers en 2019, année de référence. Le tourisme est l’une des principales sources de revenus en devises étrangères pour les banques. Avec une industrie et un tourisme en berne, Fitch s’attend donc à une augmentation de 14 % des prêts en défaut de paiement (NPL).
Un nouvel appui international peu probable
Sur le plan intérieur, la hausse du prix des céréales importées, dont la moitié provient d’Ukraine, risque d’augmenter les tensions sociales. D’autre part, Fitch a revu ses prévisions de croissance pour la Tunisie à la baisse, passant de 3,4 % à 2,3 % en 2022 et de 3,6 % à 2,5 % en 2023. Touchés par une baisse sensible de leur pouvoir d’achat, les Tunisiens devraient moins avoir recours aux prêts bancaires.
La dégradation des actifs est une réalité, mais cela date de bien avant la guerre en Ukraine »
La guerre et ses répercussions économiques arrivent à un moment particulièrement critique pour les banques tunisiennes compte tenu du fait que la plupart des mesures de soutiens de la Banque centrale de Tunisie (BCT) pour atténuer les effets de la pandémie ont pris fin le 31 décembre 2021 ; et que Fitch ne s’attend pas « à ce que les autorités réintroduisent des mesures pour soutenir les banques et leurs clients, ce qui pourrait entraîner une détérioration rapide des indicateurs de qualité des actifs des banques ».
Un tableau sombre que l’analyste financier Bassem Ennaifer tend à nuancer : « La dégradation des actifs est une réalité, mais cela date de bien avant la guerre en Ukraine. Le conflit est un problème additionnel, mais ne change pas fondamentalement la donne. » Pour l’expert, l’analyse de Fitch se fonde sur des normes réglementaires de pays avancés, « ce qui n’est pas le cas de la Tunisie dans le domaine bancaire ».
Tout le monde sait que la Tunisie a trop de banques
Mais, comme Fitch, Bassem Ennaifer redoute surtout une hausse du taux directeur de la Banque centrale, qui pénaliserait encore davantage l’octroi de crédit, dont le coût est adossé au taux moyen du marché intérieur (TMM). « Ce que Fitch envisage comme un inconvénient peut être un avantage », assure quant à lui un ancien responsable bancaire, se référant à la crainte pour l’agence de notation que les épargnants des petites banques ne se réorientent vers des concurrents plus gros, et donc potentiellement plus solides. « Tout le monde sait que la Tunisie a trop de banques, assume cette même source. Si cela permet de restructurer le secteur, ce sera une bonne chose. »
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