Christian Djohossou alias « Le R » : informatique et liberté (de rapper)
D’origine béninoise, ce jeune rappeur installé au Canada reste à l’écoute des rythmes de l’Afrique et de la rumeur de ses guerres.
« Mes manuscrits étaient mes mots et mes oriflammes / Ils ont troqué ma tasse de thé contre un jerrycan / Mais il y a cette voix qui murmure pendant qu’ils ricanent / Si tu te perds, reste calme car le désert est calme » : ainsi chante Christian Hermès Seglobo Djohossou (www.ler1er.com) dans « La Cité des 333 saints », sur son nouvel album Coeur de pion. Même s’il vit dans l’Ontario (Canada), ce jeune Béninois né en 1984 à Djougou continue d’écouter la musique de l’Afrique et d’entendre le bruit des armes qui y résonne. Et il ose les mélanges, n’hésitant pas à marier le « Lacrimosa » du Requiem de Mozart à des rythmiques agbadjas.
Aîné d’une fratrie de trois, Christian Djohossou a beaucoup voyagé à travers le Bénin au gré des déplacements de ses parents. Ses souvenirs du quartier de Hindé, près du grand marché de Dantokpa (Cotonou), sont encore vifs. Et sportifs : « Je traînais avec une bande de potes, avec qui je faisais les quatre cents coups. On jouait beaucoup au foot dans la rue avec des ballons improvisés et des briques pour marquer la limite des buts. Quand une voiture passait, on criait « balle au pied » avant de reprendre le jeu. »
Le cliché du rappeur dégrossi à l’école de la rue s’arrête là : « Je suis le premier enfant et, côté éducation, mes parents ont mis le paquet avec moi. » Au collège catholique Père-Aupiais de Cadjehoun, Djohossou s’intéresse à l’écriture et à la musique, en partie grâce à un professeur, M. Sodjinou. Au sein d’un collectif informel baptisé Raïm or daï (pour rime or die), sous le nom de plume d’Hermès, il jette sur le papier ses premiers textes. « J’écrivais beaucoup pour l’exercice de style de la rime, sur des thématiques adolescentes. C’était souvent des textes rigolos, moqueurs vis-à-vis de mes camarades, rédigés dans une ambiance bon enfant », se souvient-il. Les chansons du groupe marseillais IAM dans les oreilles, il copie sur cassettes audio les CD que ceux qui voyagent lui ramènent de France. Les premiers essais de composition hip-hop virent au fiasco : « J’utilisais les sons natifs de l’ordinateur », explique-il en riant.
En 2005, son nom de plume, Hermès, se transforme : il n’en reste plus que « Le R ».
Après le bac et un passage par Conakry (Guinée), où sa mère travaille pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Djohossou entreprend les démarches nécessaires pour partir étudier au Nord. Ce sera d’ailleurs le grand Nord, à l’université d’Ottawa, où il se consacrera à l’informatique. Premiers achats, le jour de son arrivée : un baladeur et un casque. « Mon intégration a été relativement aisée, car je pouvais facilement entrer dans n’importe quel cercle, explique-t-il. Je suis persuadé que le monde te renvoie la plupart du temps ce que tu renvoies. » Dès 2003, il intègre un collectif de la mouvance hip-hop, Le 8e Art, essentiellement composé d’Africains, qui donne quelques spectacles et concerts. En 2005, il sort un premier album, Ici ou Ailleurs, avec Oriki, un autre membre du collectif. Son nom de plume, Hermès, se transforme : il n’en reste plus que « Le R ». Deux ans plus tard, alors qu’il obtient son diplôme d’ingénieur informaticien, le besoin d’ »exprimer pleinement » ce qu’il a à dire se fait sentir. Un deuxième album, « trop ambitieux », ne voit pas le jour. Le R fait une pause, sorte de « quête philosophique » qui passe par la pratique de la capoeira. « Au-delà de l’exercice physique, il s’agissait de me reconnecter avec mes racines à travers une culture née d’un combat et d’une quête de liberté. C’est un trajet inverse de celui des anciens esclaves : je suis revenu au Bénin par l’Amérique du Sud et la culture afro-brésilienne. »
Devenu développeur de logiciels, il retourne à la musique lors d’un séjour de son père : « Il n’avait jamais vraiment supporté ce que je faisais, mais j’avais mes textes et, ce jour-là, dans ma cuisine, j’ai pris l’initiative de les lui lire. Il m’a dit que c’était bien et que je devais en faire quelque chose. » Cela donnera Maktub, son premier EP, et surtout la création de sa maison de disques, Scribes & Griots. Spectacles, concerts, il en vit désormais « à 75 % », tandis que l’informatique représente 25 % de ses revenus. Mais l’aboutissement, c’est aujourd’hui, avec la parution de Coeur de pion. Un album à son image : bien loin du hip-hop grande gueule, plus suggestif qu’agressif. « J’évite de frapper fort avec le langage, car j’estime qu’on ne s’écoute pas assez entre êtres humains, dit-il. Si j’étais trop revendicatif, le message passerait, mais il n’y aurait pas de conversation après. Je n’aime pas claquer les portes. » Sa chanson consacrée à Tombouctou s’achève ainsi : « Mais ils ricanent à nos récits, ils parlent de lyricale anorexie / Car j’ai perdu mon lexique, mes fils et filles sont dyslexiques / Je suis la cité des 333 saints. »
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