Égypte : dans les mâchoires d’Al-Qaïda

Quasi démilitarisé par l’accord de paix israélo-égyptien de 1979, le Sinaï est devenu le sanctuaire d’une demi-douzaine de groupes jihadistes dont les attentats vont se multipliant.

Après l’attaque d’un poste de l’armée ar les qaïdistes d’Ansar Beit al-Maqdis, le 15 mars. © Mohammed Bendari/Apaima/sipa

Après l’attaque d’un poste de l’armée ar les qaïdistes d’Ansar Beit al-Maqdis, le 15 mars. © Mohammed Bendari/Apaima/sipa

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 8 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Le 19 mars, à l’aube, à 30 km au nord du Caire, la petite ville d’Al-Qanatir al-Khayriya est tirée de son sommeil par des rafales d’armes automatiques. Des unités de la police et de l’armée ont donné l’assaut au repaire d’une cellule jihadiste soupçonnée d’avoir attaqué un poste de l’armée quatre jours plus tôt, tuant six soldats, et d’avoir assassiné un général de police, en janvier. Les combats durent quatre heures. Quatre jihadistes sont arrêtés et cinq autres tués. Certains se sont fait sauter, emportant avec eux un général et un colonel de l’armée. "Une grande quantité d’explosifs" a été découverte, déclarent les militaires. Ce même 19 mars, une bombe artisanale explose à l’université du Caire sans faire de victime. Les jours précédents, les démineurs avaient neutralisé des engins dans une école primaire, sous les pylônes d’une ligne à haute tension et dans un tribunal d’Alexandrie.

Il ne se passe plus une semaine sans que des militaires et des policiers soient assassinés. Certes, le vide sécuritaire consécutif à la révolution de 2011 a offert aux extrémistes un contexte propice à leurs opérations, mais la destitution par l’armée, le 3 juillet 2013, du président islamiste Mohamed Morsi a entraîné une recrudescence des actes terroristes. Le 5 septembre 2013, le ministre de l’Intérieur échappait lui-même de peu à un attentat contre son convoi, en pleine capitale. Un symbole de l’État était visé, à des centaines de kilomètres de la matrice du jihadisme égyptien, le désert du Sinaï.

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Entre 7 000 et 12 000 membres d’Ansar Beit al-Maqdis

À la jonction de l’Afrique et de l’Asie, entre le canal de Suez et la bande de Gaza, cette péninsule aride est le domaine des tribus bédouines, longtemps marginalisées par le pouvoir central. Ses 60 000 km2 de roche et de sable sont un carrefour historique de tous les trafics. Quasi démilitarisée par l’accord de paix israélo-égyptien de 1979, désertée par la police après la révolution, elle est devenue le sanctuaire des membres d’Ansar Beit al-Maqdis (ABM), affilié à Al-Qaïda et dont la cellule d’Al-Qanatir al-Khayriya avait été prise pour cible le 19 mars. ABM est le plus important de la demi-douzaine de groupes radicaux qui rêvent de convertir l’État égyptien à leur conception de l’islam.

Selon les services de renseignements, leurs effectifs oscilleraient entre 7 000 et 12 000 éléments, estimation portée à 20 000 par les Israéliens : une véritable armée constituée de Bédouins autochtones acquis au fondamentalisme, d’Égyptiens ayant pris le maquis et d’étrangers servant le jihad global. Et qui disposerait d’un armement lourd puisé dans les convois à destination de la bande de Gaza, mais bloqués dans la péninsule par la destruction de la plupart des tunnels de contrebande, et dans les arsenaux de feu le colonel Kadhafi. Début mars, un rapport de l’ONU révélait ainsi que les armes libyennes se retrouvaient dans quatorze pays du continent et au-delà, confirmant que l’hélicoptère de l’armée abattu le 25 janvier dans le Sinaï l’avait été par un missile sol-air, comme l’avait alors revendiqué ABM.

Attaque contre des touristes sud-coréens

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Principale cible des jihadistes du Sinaï, les forces de sécurité ont payé un lourd tribut. Dès le 30 juillet 2011, la mort de six personnes dans l’attaque d’un commissariat à Al-Arish entraînait le mois suivant l’opération Aigle. Avec l’autorisation d’Israël, Le Caire dépêchait 2 500 hommes et 250 chars dans la péninsule, une force qui n’a pas suffi à empêcher le coup d’éclat du 5 août 2012. Ce jour-là, un commando jihadiste attaque un poste-frontière, tue 16 soldats et s’empare de deux blindés pour tenter de pénétrer dans l’État hébreu, une équipée stoppée net par les missiles israéliens. L’opération Sinaï vient alors renforcer le déploiement de l’armée dans la zone, mais ne suffit pas à enrayer les attaques contre les forces de sécurité, qui s’intensifient dangereusement après la destitution de Mohamed Morsi.

Depuis juillet 2013, plus de 200 policiers et soldats sont morts dans des attentats ou des affrontements. Le 24 décembre 2013, l’explosion d’une voiture piégée devant un bâtiment de la police fait 16 victimes à Mansoura, dans le delta du Nil, et achève de démontrer la capacité des jihadistes à frapper loin de leur sanctuaire désertique. Autre stratégie des radicaux, prendre à la gorge l’économie pour anéantir les intérêts de l’armée et précipiter la faillite de l’État. Le pipeline d’Al-Arish, qui fournit Israël et la Jordanie en gaz, est inlassablement dynamité. En août 2013, la brigade jihadiste Al-Furqan attaque au lance-roquettes un porte-conteneurs transitant par le canal de Suez, axe stratégique dont le blocage priverait l’État de précieuses devises. Autre mamelle de l’économie, le tourisme subit un coup fatal le 16 février, quand un kamikaze d’ABM se fait exploser dans un bus – le chauffeur et trois Sud-Coréens sont tués -, marquant une escalade dans les violences qui ne visaient jusque-là que des cibles sécuritaires.

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Les métastases de la tumeur jihadiste gagnent Le Caire

Malgré les 11 bataillons, les hélicoptères et les jets déployés dans le Sinaï, l’armée ne semble pas près d’en reprendre le contrôle. Pis, les métastases de la tumeur jihadiste gagnent Le Caire et ses environs. Quand les uns dénoncent la mollesse de l’armée, d’autres l’accusent d’exciter le mécontentement des populations en multipliant les arrestations arbitraires et les bombardements aveugles. Et certains suggèrent que la prolifération terroriste sert le discours de l’armée et d’une justice aux ordres, qui présentent les groupes jihadistes comme le bras armé des Frères musulmans. Le 25 décembre 2013, au lendemain de l’attentat de Mansoura revendiqué par ABM, les autorités classaient la confrérie islamiste parmi les mouvements terroristes. Et le 24 mars, un tribunal condamnait à la peine capitale 529 Frères pour la mort d’un officier de police au cours d’une manifestation. L’élection pressentie du maréchal Sissi à la présidence d’ici au mois de juin permettra-t-elle à l’armée de concentrer ses efforts sur les groupes jihadistes ? Car la menace ne concerne pas uniquement Le Caire. Entre les fous d’Allah qui guerroient en Syrie et en Irak et les groupuscules radicaux de Gaza et du Sinaï, l’ensemble de la région pourrait être bientôt broyé par les mâchoires d’Al-Qaïda.

Escalade

30 juillet 2011  Attaque d’un poste de police à Al-Arish. 6 personnes tuées.

5 août 2012  Attaque d’une base militaire. Les assaillants s’emparent de blindés et foncent vers la frontière israélienne avant d’être stoppés. 16 soldats tués.

5 septembre 2013 Attentat contre le convoi du ministre de l’Intérieur.

24 décembre 2013  Une voiture piégée explose devant un bâtiment de la police, à Mansoura. 16 victimes, pour la plupart membres des forces de l’ordre.

16 février 2014  Attentat suicide contre un bus touristique à Taba. Le chauffeur et 3 touristes sud-coréens sont tués.

15 mars 2014  Attaque d’un poste de l’armée au Caire. 6 soldats tués.

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