Mostefa Bouchachi : en Algérie, « notre travail d’opposants n’est pas respecté »
Le 19 mars, Mostefa Bouchachi, député d’Alger sur la liste Front des forces socialistes (FFS, opposition) a donné sa démission, mettant au jour de graves dysfonctionnements au sein de la chambre basse du Parlement algérien. Interview.
Ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), député d’Alger sur la liste du Front des forces socialistes (FFS, opposition) depuis mai 2012, Mostefa Bouchachi n’est pas homme à transiger. Confronté à une série de "dysfonctionnements" au sein de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse), il a décidé, le 19 mars, de rendre son tablier. Une première dans les annales parlementaires algériennes.
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Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous décidé d’abandonner votre siège de député ?
Mostefa Bouchachi : Conscient d’appartenir à un groupe minoritaire, je considérais néanmoins que notre travail d’opposants serait respecté et que nos propositions de loi allaient être discutées, en commissions ou en plénière. Cela n’a jamais été le cas. Nos demandes de création de commissions d’enquête parlementaire sur la corruption ou sur les événements de Ghardaïa [affrontements interethniques meurtriers] n’ont reçu aucune réponse.
Dans votre lettre de démission, vous évoquez des dysfonctionnements, mais les exemples que vous citez sont le lot de toute minorité dans un Parlement…
L’absence de réponse, tout comme le rejet non motivé d’une proposition, constitue une violation du règlement intérieur de l’APN. Mais les dysfonctionnements ne s’arrêtent pas là et sont légion. Par exemple, l’exécutif n’est pas censé être représenté dans les commissions permanentes de l’Assemblée. Membre de la commission des affaires juridiques, j’ai pu constater que les hauts fonctionnaires de certains ministères étaient non seulement présents, mais participaient au débat. C’est une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs que j’ai signalée au président de notre groupe parlementaire, lequel a saisi celui de l’Assemblée. Face à l’absence de réaction, j’ai gelé, en mai 2013, ma participation à ladite commission.
Mon expérience en matière de défense des droits de l’homme et la persistance de certaines pratiques policières au cours des détentions préventives m’ont conduit à proposer un amendement du code pénal afin de rendre obligatoire la présence d’un avocat pendant les gardes à vue. Ce projet d’amendement a été signé par 120 députés et déposé il y a plus d’un an. Il n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de la commission ni transmis au gouvernement pour avis. En deux ans de législature, nous avons présenté treize projets de loi qui n’ont jamais quitté les tiroirs du bureau de l’Assemblée. Or la Constitution dispose que les membres du gouvernement sont tenus de répondre aux questions, écrites ou orales, des députés. Plusieurs de mes demandes d’explications adressées à différents départements ministériels sont restées lettre morte. Tous ces dysfonctionnements ont été signalés au président de l’Assemblée, sans que cela provoque la moindre réaction.
Votre démission est intervenue au lendemain du rejet d’un projet de loi visant à indemniser les victimes des événements de 1963 [insurrection armée du FFS contre le système du parti unique]. Est-ce la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?
Cela a été important mais pas déterminant. Ce n’est là que l’un des nombreux projets de loi passés à la trappe. Autre aberration insupportable : le gouvernement exige de la France qu’elle reconnaisse ses crimes du 8 mai 1945, alors que lui-même refuse d’octroyer aux victimes de ces événements le statut de martyrs qui permettrait à leurs ayants droit de bénéficier d’une indemnisation.
Avez-vous informé au préalable le FFS de votre décision de démissionner ?
J’ai évoqué la question avec les membres de mon groupe parlementaire, ainsi qu’avec le premier secrétaire du FFS. Cela reste une décision personnelle, et elle n’aura aucune incidence sur le parti. Le siège que j’abandonne reste au profit du suivant sur la liste FFS d’Alger.
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Propos recueillis par Cherif Ouazani
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