Burkina Faso : Compaoré – Kaboré, chronique d’un divorce annoncé
Entre Blaise Compaoré et Roch Marc Christian Kaboré, rien ne va plus. Comment en sont-ils arrivés là ?
Leur histoire commune pouvait-elle se conclure autrement ? Certes, entre Blaise Compaoré le taiseux et Roch Marc Christian Kaboré le bon vivant au rire tonitruant, ça n’a jamais été l’amour fou. Il n’y eut dans leur relation ni coup de foudre ni coup de sang. Tout fut soumis à la raison : leur mariage, ses hauts et ses bas… Et même leur divorce. Quand contentieux il y avait, c’est à huis clos qu’il se réglait, loin des regards et sans fracas.
Et pourtant, quand Blaise a appris, au matin du 4 janvier 2013, que Roch claquait la porte de "leur" parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), entraînant avec lui plusieurs dizaines d’autres figures du régime – dont deux des plus célèbres, Simon Compaoré et Salif Diallo -, il n’a pu s’empêcher de crier à la "trahison". "C’est moi qui les ai fait émerger, moi qui les ai mis en avant, s’est-il plaint à un visiteur régulier du palais de Kosyam. Ils n’étaient que des seconds couteaux [sous la révolution]."
De Kaboré sous l’ère Thomas Sankara, on ne sait pas grand-chose. Ce fils de bonne famille, que l’on dit à Ouagadougou "né avec une cuillère en diamant dans la bouche", et dont le père, Charles Bila Kaboré, fut un éminent ministre durant les premières années de l’indépendance avant d’intégrer les plus hautes sphères de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), n’était pas prédisposé à s’acoquiner avec des capitaines bercés d’idéaux marxistes. Lui-même le reconnaissait il y a quelques années : "Ma carrière politique n’était pas prévisible."
En 1984, à l’âge de 27 ans, Kaboré est nommé au poste de directeur général de la Banque internationale du Burkina (BIB).
Il a bien milité dans des associations de gauche à la fin des années 1970, à Dijon, où il suivait des études d’économie et de gestion. Mais, de retour au pays, il est resté discret au sein de l’Union de lutte communiste reconstruite (ULC-R), un mouvement ressuscité à la faveur du coup d’État de Sankara et de Compaoré en 1983. Kaboré était un membre anonyme du bureau politique – un révolutionnaire parmi tant d’autres – et, si on le connaissait, c’était en raison de sa nomination, en 1984, à l’âge de 27 ans, au poste de directeur général de la Banque internationale du Burkina (BIB), l’un des deux principaux établissements du pays. "C’était un militant honnête", résume Valère Somé, un proche de Sankara qui était la tête pensante de l’ULC-R. Jusqu’à la rupture…
Une lettre d’allégeance au nouveau chef d’État
Nous sommes en mai 1988. Sept mois plus tôt, Sankara a été assassiné, Compaoré s’est emparé du pouvoir. Alors que des dizaines de cadres révolutionnaires sont traqués – y compris ceux de l’ULC-R -, Kaboré signe, avec trois autres membres du bureau politique du mouvement, une lettre d’allégeance au nouveau chef de l’État et à sa "rectification de la révolution". Par ambition ? Par conviction ? Ou simplement parce qu’il voulait éviter la case prison ? Pour Compaoré, c’est une bonne prise : le président cherche à s’entourer de cadres moins dogmatiques, capables d’accepter l’ouverture à droite. Il s’appuie pour cela sur des seconds couteaux.
Dès lors, les destins de Compaoré et de Kaboré s’entremêlent. Au fil des ans, le banquier devient l’un des architectes du régime. Dans le couple qu’ils forment aux côtés du président, Salif Diallo est le bad cop – l’homme des basses manoeuvres et des missions inavouables -, Roch, le good cop. Compaoré trouve en lui un technocrate efficace et un politicien plus brillant que prévu. "Roch a le don d’arrondir les angles. Il a peu d’ennemis. Il sait trouver le consensus", précise un vieux camarade. Idéal, au moment où Compaoré tente d’amadouer les "contre-révolutionnaires".
Un an après son ralliement, Blaise le nomme au gouvernement (aux Transports). Puis il hérite, en 1991, du ministère chargé de la Coordination de l’action gouvernementale. Déjà, il apparaît comme un Premier ministre bis. Il le deviendra officiellement en 1994, après un détour par les Finances.
Mais avec Compaoré, on ne reste jamais longtemps au sommet. En 1996, après deux années délicates à la primature, où il doit faire face à la dévaluation du franc CFA et procéder à de nombreuses privatisations, Kaboré connaît une première éclipse. Remercié, il disparaît de l’équipe gouvernementale. Entre le président et lui, les relations sont tendues, dit-on. Mais comme l’admet un familier de Kosyam, "il ne faut pas toujours chercher des causes objectives aux disgrâces" décidées par Compaoré.
Le "dauphin" de Blaise
Kaboré s’en remet vite. Réélu député en 1997, il prend les rênes du CDP – qu’il a contribué à façonner – deux ans plus tard, avec l’assentiment de Compaoré. Puis le voilà parachuté président de l’Assemblée nationale en 2002, toujours avec l’aval du chef de l’État. "Roch" apparaît de plus en plus comme le dauphin de "Blaise". C’est lui qui fait et défait la plupart des ministres et qui dicte la politique du parti.
Mais tout le monde ne voit pas cette succession annoncée d’un bon oeil. L’armée, qui fait la pluie et le beau temps dans le pays depuis trois décennies, se méfie de cet homme qu’elle trouve trop mou. Elle voit en lui un pleutre incapable de tenir la baraque. "Il fera comme Ali Saïbou après Seyni Kountché", soufflent au président des officiers qui osent la comparaison avec le Niger voisin, où le successeur du général à la poigne de fer a été jugé trop laxiste. Puis c’est Salif Diallo qui lui savonne la planche. Il rêve lui aussi de succéder au patron. "Il n’est pas travailleur. Il est trop libéral… Ce serait un danger de lui confier le pays", glisse-t-il à Blaise à la moindre occasion.
Ce dernier commence à douter – a-t-il raison de lui faire confiance ? Puis à s’inquiéter. Au fil des ans, "Roch" prend du poids politique. Il séduit l’opposition, qui apprécie ses méthodes à l’Assemblée, tout en plaçant ses hommes à la tête du CDP. Surtout, il devient "l’homme" des hommes d’affaires – ceux qui, avec les militaires, constituent le pilier du régime. "Son passage à la BIB lui avait ouvert les portes du secteur privé, raconte un des plus puissants businessmans du pays. Puis il est allé aux Finances. À la primature, il a privatisé, ce qui a profité à certains patrons. Il était devenu notre interlocuteur."
"Avant, résume un chef d’entreprise qui a ses entrées à Kosyam, quand un patron avait un problème, c’est Kaboré qu’il allait voir. Aujourd’hui, c’est François." Car entre-temps, Compaoré a fait son choix : Roch ne prendra pas sa suite. Au milieu des années 2000, charge est donnée à François, le frère du président qui est aussi son conseiller économique depuis vingt ans, de "récupérer" les patrons. En 2007, ce dernier lance la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC), une association dont l’ambition est, officiellement, de "compléter" l’action du CDP, mais qui a pour objectif, à terme, de l’asphyxier et de le priver de ses soutiens financiers. Roch voit tout cela d’un mauvais oeil, mais ne pipe mot. Pas son genre. "Il n’a pas de courage, il ne l’ouvrira jamais", estime l’entourage de Compaoré.
La cassure définitive intervient en 2011. Le pays est à feu et à sang. Les étudiants sont dans la rue, les fonctionnaires multiplient les grèves et les troufions prennent les armes. Le régime vacille. Dans la tourmente, Blaise ne se sent pas soutenu par son parti. Il a compris que les barons ne se battront pas pour lui, qu’ils pensent trop à la prochaine élection présidentielle ; il est temps de les remplacer par des hommes de confiance.
"Tu reviendras"
Mars 2012. Cinquième congrès du CDP. Après un règne de treize ans, Kaboré perd la main. Assimi Kouanda, fidèle parmi les fidèles de Blaise, prend sa suite, et tous les anciens sont mis au placard. "OPA hostile de la Fedap-BC", dénoncent ces derniers en aparté. Mais Kaboré ne réagit toujours pas. Neuf mois plus tard, il n’est même pas candidat aux législatives. Cette disgrâce-là est définitive.
Certes, les mois suivants, Compaoré lui fait croire qu’il compte toujours. "Tu reviendras", assure-t-il. Les deux hommes se voient de temps en temps. Quand la question de l’article 37 de la Constitution, qui interdit au président de se représenter en 2015, resurgit en juin 2013, Compaoré constitue un groupe informel de sept personnes pour y réfléchir. Roch en est, comme Simon Compaoré. Tous deux ne sont pas favorables à cette modification, mais quand ils demandent au président de se prononcer, celui-ci louvoie. Sa réponse est pour octobre, promet-il. Puis pour novembre. Mais en décembre, c’est par la presse qu’ils apprennent que le chef de l’État envisage d’organiser un référendum, et donc de se représenter.
Roch n’est pas du genre à exploser de colère. Il patiente, tâte le terrain. Dans la plus grande discrétion, il reçoit les chefs coutumiers et rend visite aux évêques. Mais sa décision est prise. "La présidentielle, il y pense depuis des années", confie un ami. Il s’est déjà rapproché de Simon Compaoré et de son vieil ennemi, Salif Diallo. La rumeur court depuis quelque temps qu’ils vont créer un parti – Kaboré laisse ses lieutenants la distiller au fil des mois -, mais Blaise ne veut pas y croire. "Il n’aura pas le cran d’y aller", pense-t-il. Quand, le 3 janvier, il l’invite à Kosyam pour "trouver une solution", il tombe de haut. "C’est trop tard", lui rétorque son ancien dauphin et nouvel opposant.
Candidat à coup sûr
Entre Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré, "tout est clair dans la perspective de 2015", affirme leur entourage. Les trois principaux démissionnaires du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ont lancé le 25 janvier leur propre parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), dont ils forment la troïka dirigeante. Kaboré en est le président, et "il en sera le candidat à la présidentielle", assure d’ores et déjà un cadre du MPP. Il n’a pas eu à batailler longtemps pour s’imposer. "Simon", l’ancien maire de Ouagadougou à la santé fragile, n’a jamais eu de telles ambitions. Quant à Diallo, qui s’est longtemps rêvé en successeur de Blaise Compaoré, il est malade et sait qu’il n’a plus la force de mener une campagne électorale ; mission lui est donnée d’établir une stratégie pour conquérir le pouvoir.
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