Égypte : juges et parties contre les Frères musulmans
Les procès de masse contre les Frères se multiplient, 529 accusés ont été condamnés à mort. Signe d’une justice aux ordres ou revanche des magistrats contre le régime déchu de Mohamed Morsi ?
Saïd Youssef peut prétendre à une place dans le Guinness des records. Le 24 mars, ce juge d’Al-Minya (environ 250 km au sud du Caire) a condamné à mort 529 personnes. Les accusés, dont la plupart sont en fuite, ont été reconnus coupables d’avoir attaqué un commissariat et provoqué la mort d’un policier au terme d’un procès expéditif : deux audiences, moins d’une heure au total. La défense n’a pas pu citer de témoins ni présenter de preuves concernant les événements de la mi-août 2013, survenus au plus fort des affrontements meurtriers entre Frères musulmans et forces de l’ordre, qui ont suivi le coup d’État. Les sentences doivent être revues par le grand mufti d’Égypte, avant un éventuel appel. Dans le pays, la peine capitale n’est que rarement appliquée, même si les tribunaux continuent de prononcer des condamnations à mort : la dernière exécution remonte à 2011.
La sévérité de ce verdict collectif a laissé avocats et organisations de défense des droits de l’homme dans un état de choc, mais les manifestations de soutien ont tourné court. Le rejet des Frères musulmans est tel que la plupart des médias privés se sont félicités de la nouvelle. "Dieu fasse qu’il y ait 10 000 condamnés à mort, qu’il y en ait 20 000 ! Il n’y a aucune raison d’être triste, ces gens sont des meurtriers", s’est ainsi exclamé Ahmed Moussa, présentateur de la chaîne Sada al-Balad TV.
>> Lire aussi : l’Égypte bafoue les droits de l’homme, trois ans après sa révolution
Au lendemain du verdict d’Al-Minya, le procès de près de 700 membres présumés de la confrérie, dont son guide suprême, a été ajourné au 28 avril. D’autres procédures de masse visant des Frères musulmans et leurs sympathisants sont attendues dans les prochaines semaines. La machine judiciaire semble s’être emballée depuis que la confrérie a été classée "organisation terroriste", le 25 décembre dernier.
La législation qu’ils doivent appliquer est obsolète
Alors que le maréchal Abdel Fattah al-Sissi a déclaré, le 26 mars, sa candidature à la prochaine présidentielle – qui devrait être pour lui une formalité -, la justice rappelle qu’elle est l’un des piliers de l’État, aux côtés de l’armée et des services de sécurité (Moukhabarat). "Les juges se voient comme les héritiers d’une tradition prestigieuse et les garants de l’État de droit. Ils jouissent d’une importante autonomie budgétaire et hiérarchique. L’image d’une justice aux ordres relève du mythe, même si, individuellement, les magistrats subissent des pressions. Mais la législation qu’ils doivent appliquer est obsolète, et les enquêtes s’appuient encore excessivement sur le travail opaque des Moukhabarat", résume le politologue Nathan J. Brown, de la George Washington University.
Dans cette aristocratie judiciaire d’environ 16 000 magistrats, où les charges se transmettent généralement de père en fils, on ne pardonne pas à l’ex-président islamiste Mohamed Morsi – toujours en prison – ses tentatives de mettre au pas l’institution : la révocation contestée du procureur général Abdel Meguid Mahmoud, le "coup d’État constitutionnel" du 22 novembre 2012, qui avait vu Morsi s’accorder les pleins pouvoirs par décret, ou les nominations de Frères à des postes stratégiques. La vengeance est un plat qui se consomme épicé.
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