Guinée : Ebola, la fièvre remonte vers le Nord
Il est passé par ici, il repassera par là… Depuis les années 1970, ce virus mortel sème régulièrement la terreur, surtout en Afrique centrale. Pour la première fois, il sévit en Guinée, jusque dans la capitale Conakry, et essaime au Liberia et en Sierra Leone.
Il était médecin. Il travaillait à l’hôpital de Guéckédou, cette grande ville de Guinée forestière (Sud) proche de la frontière libérienne. Début février, il tombe subitement malade et décide de consulter un ami, directeur de l’hôpital préfectoral de Macenta, à 80 km de là. Un chauffeur l’accompagne. Son ex-épouse et l’enfant qu’elle porte dans le dos font eux aussi partie du voyage. Ils arrivent à la nuit tombante et, bien sûr, l’ami leur ouvre la porte. Mais en quelques heures, tout s’aggrave et "il" – le médecin – meurt. Suivent le transport et le lavage du corps, puis la veillée funèbre à laquelle la famille et les proches assistent. "C’est de là que tout est parti", raconte Mamady Dramé, représentant de l’ONG internationale Plan à Macenta.
Quelques jours plus tard, en effet, l’ex-épouse, le bébé et le chauffeur subissent le même sort : une mort foudroyante et inexpliquée. De son côté, l’ami directeur d’hôpital retourne au travail. Comme tous les matins, ce 24 février, il s’y rend à pied. Il ne se sent pas bien, vomit. Mais, comme tous les matins, il tient une réunion avec son équipe. Soudain, il perd conscience, se reprend. Emmené aux urgences pour passer quelques tests, il tombe rapidement dans le coma et meurt presque instantanément. Son fils, qui était suivi dans le service de pédiatrie, succombera lui aussi. "Sur le coup, nous n’avons pas compris ce qui leur arrivait", confie d’une voix épuisée le Dr Savané, qui assure l’intérim à l’hôpital. "Au début, beaucoup ont cru à un phénomène mystique. Il a fallu que les décès se multiplient pour que les gens prennent l’affaire au sérieux", ajoute Mamady Dramé.
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Les autorités parlent alors d’une "étrange fièvre". Le 20 mars, plus d’un mois après les premiers décès, des prélèvements effectués sur trois patients sont envoyés à l’Institut Pasteur de Lyon, en France. Le lendemain, le verdict tombe : il s’agit du virus Ebola, contre lequel aucun traitement ni vaccin n’a jamais été trouvé, et de son espèce (il en existe cinq) la plus pathogène, l’espèce Zaïre, dont le taux de mortalité peut atteindre 90 %. Le laboratoire français prévient aussitôt le gouvernement guinéen, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Médecins sans frontières (MSF). Il faut agir vite. Le pays compte déjà une trentaine de morts. "Détecter une épidémie d’Ebola prend du temps, surtout dans une région reculée comme la Guinée forestière et dans un pays qui n’en a jamais connu, explique Marie-Christine Férir, responsable des situations d’urgence à MSF Belgique. Et puis les premiers symptômes ressemblent à ceux de la fièvre de Lassa ou du paludisme. Il a donc fallu faire la différence."
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Les chauves-souris, réservoirs naturels du virus
C’est en effet la première fois qu’un pays d’Afrique de l’Ouest est touché. Ce virus, dont la seule évocation fait froid dans le dos, est apparu pour la première fois en 1976 au Zaïre (actuelle RD Congo), le long de la rivière Ebola, qui lui a donné son nom, et au Soudan. Depuis, il a frappé une vingtaine de fois le continent, dans ces deux pays, mais aussi au Gabon, en Ouganda et au Congo, contaminant au total 2 299 personnes, dont 1 540 sont décédées.
Selon les scientifiques, les réservoirs naturels du virus sont certaines espèces de chauves-souris, présentes en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Porteuses du virus, elles ne déclarent aucun symptôme, mais peuvent contaminer les singes et les hommes, qui, eux, tombent malades dès lors qu’il y a contact ou morsure. "L’absence d’épidémie dans la région jusqu’ici ne signifie pas que le virus n’y était pas présent chez certaines espèces animales. Seulement, cette fois, les conditions ont été réunies, à un moment et à un endroit précis, pour qu’il y ait transmission de l’animal à l’homme", souligne Éric Leroy, directeur général du Centre international de recherche médicale de Franceville (Gabon), et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Chez l’homme, la maladie est très contagieuse. "Il suffit d’être en contact avec n’importe quel liquide physiologique émanant d’une personne atteinte, comme le sang, les vomissures, le sperme ou même la sueur", ajoute Éric Leroy. Après une période d’incubation qui varie de 2 à 21 jours, les symptômes apparaissent. Une fièvre brutale, des maux de tête, une faiblesse générale, suivis de vomissements et de diarrhées. À mesure, le virus se répand dans le sang et dans le système immunitaire, crée des caillots qui bloquent les organes vitaux, provoquant d’importantes hémorragies internes ou externes. La seule solution est de traiter au plus tôt lesdits symptômes, notamment en réhydratant les patients. Mais, le plus souvent, l’issue est aussi rapide que fatale.
Eviter toute psychose
"En quatre jours, nous avons déjà reçu 33 tonnes de matériel pour riposter, déclare Albert Damantang Camara, porte-parole du gouvernement guinéen. Des tentes, des blouses, des gants, des désinfectants… Et des équipes de médecins guinéens et étrangers se sont rapidement rendues sur les lieux." Celles-ci se fixent deux objectifs. Primo, identifier les malades et recenser toutes les personnes avec qui ils ont pu avoir des contacts. Secundo, les isoler, tout en leur prodiguant des soins, pour couper la chaîne de contamination. Dépêchés par l’OMS et MSF, épidémiologistes, infirmiers, et même psychologues et anthropologues, se dirigent également vers l’épicentre de l’épidémie. Les hôpitaux et les logements des malades sont désinfectés, et des kits d’hygiène distribués dans les localités où au moins un cas a été repéré.
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Il s’agit aussi éviter toute psychose. "C’est le pire qui puisse arriver, explique Marie-Christine Férir. Dans certains pays, on a pu voir des malades abandonnés par des gens qui avaient pris la fuite. Il faut tout faire pour que la population coopère en rapportant les cas suspects, sans peur ni honte." Le ministère guinéen de la Santé a interdit la consommation de viande de chauve-souris, très rare cependant dans le pays, et lance une campagne de communication pour rassurer les habitants. Mais l’inquiétude grandit. "Au marché, l’anxiété se lit sur les visages, on se salue sans se serrer la main et on rentre vite à la maison", témoigne Mamady Dramé.
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Le virus au Liberia et en Sierra Leone
D’abord confinée à la Guinée forestière, l’épidémie a fait l’objet de fausses alertes : à Conakry et jusqu’au… Canada. Dans la capitale guinéenne, des tests effectués sur place avec l’appui des équipes de l’Institut Pasteur de Dakar et de celui de Lyon, s’étaient révélés négatifs.
Malheureusement, depuis, la donne a changé. Le 25 mars, le virus est signalé au Liberia (6 cas, dont 5 mortels) et en Sierra Leone (2 cas, dont 1 mortel). Dans ces deux pays, les victimes revenaient toutes de Guinée. Puis, le 27 au soir, alors que les autorités guinéennes pensaient que la situation était sous contrôle et le pic presque atteint, 5 cas sont finalement confirmés à Conakry, forte de 2 millions d’habitants. À l’heure où nous mettions sous presse, le bilan dans la seule Guinée était de 103 cas suspects et de 66 décès.
Désormais, tous les voisins sont sur le qui-vive. Mali, Sénégal et Côte d’Ivoire activent leur système de surveillance épidémiologique et déconseillent "tout déplacement non essentiel dans la zone épidémique". "On se préparait à faire face au choléra, comme l’an dernier, mais on ne s’attendait pas à cela, concède le Dr Sekouba Keïta, qui gère la crise au sein du ministère guinéen de la Santé. Cette épreuve est un véritable test pour nos systèmes de surveillance, qui ont montré certaines fragilités. Nos équipes et nos infrastructures n’étaient pas préparées. Il faudra en tirer des leçons."
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Pas de panique !
Une pandémie est-elle possible ? Pour les spécialistes, pas vraiment. Car le mode de transmission du virus, qui est l’une de ses forces, est aussi, paradoxalement, l’une de ses rares faiblesses. "Les virus qui traversent les frontières sont le plus souvent transmissibles par voie respiratoire, ce qui n’a pas encore été prouvé dans le cas d’Ebola", explique Éric Leroy, du Centre international de recherche médicale de Franceville. Raison pour laquelle le nombre de cas mortels dépasse rarement quelques centaines. Bien en deçà de la grippe (250 000 à 500 000 décès par an dans le monde), la rougeole (122 000) ou même la fièvre de Lassa (5 000, essentiellement en Afrique de l’Ouest). Pour qu’une pandémie soit envisageable, il faudrait donc que le mode de transmission d’Ebola change. Une hypothèse qui n’est toutefois pas exclue.
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