Willis from Tunis, toutes griffes dehors !

Son petit chat, Willis from Tunis, est l’un des visages de la révolution de 2011. À travers lui, Nadia Khiari chronique le quotidien et les dérives de la vie politique de son pays.

A travers un petit chat, Nadia Khiari dénonce le quotidien de la vie politique tunisienne. © Nadia Khiari

A travers un petit chat, Nadia Khiari dénonce le quotidien de la vie politique tunisienne. © Nadia Khiari

Publié le 27 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Dans un bar bondé de La Marsa, quelqu’un lâche les mots "Willis from Tunis". La réaction dans l’assistance est immédiate. "Il nous a fait tellement rire pendant la révolution ! Lorsque nous étions calfeutrés chez nous durant des mois, c’est lui qui nous a sortis de notre angoisse", se souvient une cliente. Lui, c’est le chat facétieux que dessine Nadia Khiari. Une boule de poils qui chronique l’actualité depuis trois ans.

Le 13 janvier 2011, Nadia Khiari écoute ce qui sera le dernier discours de Ben Ali. Le président, déchu par le peuple, prendra la fuite le lendemain. À la télévision, il promet aux Tunisiens la liberté d’expression. "Je l’ai pris au mot et j’ai commencé à dessiner", commente Nadia, peintre et enseignante en arts plastiques. Son personnage, inspiré de son propre chat baptisé Willis, se fait les griffes sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, etc.). Le succès est immédiat.

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Aujourd’hui, trente mille fans suivent Willis sur la Toile. On retrouve son élégante génitrice à la terrasse d’un café libanais, dans le quartier résidentiel et paisible de La Marsa. Difficile d’imaginer qu’ici aussi la rue s’est embrasée… "Le soir, j’allais sur les barricades qu’on avait construites avec ce qu’on ramassait sur les trottoirs. En rentrant, je dessinais ce que j’avais vu. Cela amusait les gens et détendait l’atmosphère", raconte-t-elle aujourd’hui.

Siné lui propose immédiatement de travailler avec lui

À travers son personnage, elle dénonce tour à tour les tracas du quotidien et l’absurdité des politiques, qu’ils soient islamistes ou progressistes. La cible varie, la langue aussi : l’arabe, le français ou un "mélange des deux", selon l’inspiration du moment. Même si "un jeu de mot en français perd sa saveur en arabe, et inversement".

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Le temps des barricades révolu, Nadia Khiari publie un premier recueil de dessins à compte d’auteur. Le livre tombe entre les mains de Siné, ancien de Charlie Hebdo. Séduit, le caricaturiste français lui propose immédiatement de travailler avec lui. "Adolescente, ce dessinateur était mon idole. Travailler pour Siné Mensuel, ça a été comme un rêve !" se souvient la quadragénaire. Dès lors, la bouille de Willis from Tunis apparaît régulièrement dans la presse française.

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Et en Tunisie ? D’après la "maman" de Willis, le chemin est encore long : "La presse n’est pas encore indépendante" et le métier de dessinateur n’est ni assez respecté ni assez rémunéré. Selon elle, les dessinateurs devraient être membres à part entière des équipes rédactionnelles.

La liberté d’expression est menacée quotidiennement

Comme d’autres artistes, Nadia Khiari explique qu’"avant 2011 on parlait du gouvernement de façon métaphorique, jamais frontalement". L’effondrement du régime a-t-il pour autant sonné le glas de la censure ? "Aujourd’hui, on a la liberté d’expression, mais elle est menacée quotidiennement : intimidations, tabassages de journalistes… Notre société reste pudibonde et conservatrice. Or c’est en touchant aux tabous qu’on suscite le rire ! Actuellement, le tabou sur le sexe est exacerbé car le discours des politiques est essentiellement d’ordre moral. Quant à la religion, le fait de critiquer le parti islamiste est assimilé à un blasphème."

Cependant, nul n’échappe aux coups de crayon de Nadia Khiari. Une bande de chats demande à Willis de les faire rigoler. En guise de réponse, il lève le poing en criant : "Vive la révolution !" Et les autres chats de s’esclaffer. "Ce dessin est une boutade sur la désillusion éprouvée par bon nombre de Tunisiens qui ont cette sensation de confiscation de la révolution. Mais il est peut-être trop tôt pour dresser un bilan. Notre pays est encore en chantier." Et l’espiègle Willis a encore de beaux jours devant lui.

© Nadia Khiari

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