Maroc : à Ceuta et à Melilla, les migrants pris au piège
Depuis le début de l’année, les clandestins affluent dans les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, sur la côte marocaine. La plupart n’iront pas plus loin. Débordées, les autorités appellent à l’aide.
On l’appelle la mujer muerta (« la femme morte »). Cette petite montagne marocaine qui se jette dans la mer juste avant la frontière avec Ceuta a en effet le profil d’une belle endormie. Derrière le sommet, dans une forêt, se cacheraient quelque quarante mille Africains subsahariens, qui, tous, attendent de pouvoir tenter leur chance.
Ces dernières semaines, ils ont été nombreux à franchir la clôture grillagée qui, sur plus de 8 kilomètres, ceint l’enclave espagnole. Ou à y arriver par la mer. Pourtant, en cette fin d’après-midi, le silence et la tranquillité dans cette partie nord de la presqu’île, face à la « femme morte », sont absolus.
Le passage du Tarajal, au sud, est bien plus animé. File de voitures interminable, klaxons, cris… Des chèvres gambadent sur les bas-côtés, tandis que des femmes voilées se dirigent à pied vers la douane. C’est surtout par là que les immigrés clandestins tentent de passer en masse. À côté des postes de police, la barrière terrestre se prolonge de quelques mètres dans la mer.
Le 6 février, à cet endroit, quinze Subsahariens ont été la cible des balles en caoutchouc de la Garde civile. Ils venaient d’échapper aux forces marocaines et progressaient dans l’eau pour tenter de contourner la barrière. Ils ne savaient pas nager, cela leur a coûté la vie. Depuis, l’utilisation de ces balles a été interdite, ce qui a créé une sorte d’effet d’appel chez les migrants. « Les mafias ont profité de la situation », commente un journaliste local.
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Ce 6 mars, un mois jour pour jour après le drame, une association étudiante, Pédagogie citoyenne, a organisé une marche en hommage aux victimes. Sur la promenade en bord de mer, à quelques mètres de là, Alessio Marie et Michael progressent en direction du rassemblement. « Certains de ceux qui se sont noyés étaient nos amis », explique le premier, sweat rouge et cheveux hirsutes.
Originaire du Cameroun, qu’il a quitté il y a un an, il a fait la connaissance de Michael, un compatriote, en Algérie. Tous deux étaient auparavant passés par le Niger, le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire et le Mali. Ils ont sauté la barrière de Ceuta ensemble il y a cinq jours.
Quinze noyés, cinq non identifiés
Aujourd’hui, Alessio Marie a la main bandée. « Je me suis blessé à cause du grillage et je saignais beaucoup. La Croix-Rouge m’a emmené à l’hôpital, raconte le jeune homme. Le voyage a été extrêmement dur, nous avons passé beaucoup de temps dans la forêt marocaine. Pour les femmes, c’est encore pire, la plupart restent en Algérie ou au Maroc, très peu arrivent à Ceuta. »
Quelques jeunes, logés eux aussi au Ceti (en français : le Centre de séjour temporaire pour immigrés), sont venus à pied jusqu’à la plage du Chorrillo, à la frontière du Tarajal, là où l’on a retrouvé les corps des noyés. Les responsables disposent sur le sable quinze photos. Cinq sont accompagnées d’un point d’interrogation, pour ceux qui n’ont pu être identifiés.
« Nous voulons provoquer une prise de conscience, on criminalise trop les immigrés à Ceuta, ils sont rejetés », plaide Mohamed Faitah, le porte-parole de l’association. L’ambiance est lourde, l’émotion palpable.
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Certes, le Ceti est surchargé : il héberge actuellement 566 personnes, alors qu’il ne peut en théorie en accueillir que 512. Et les contrôles policiers ont été dernièrement renforcés. Mais on ne constate chez les locaux que très peu de manifestations de racisme ou de rejet. Il faut dire que plus de 50 % de la population est arabe.
« Nous avons plutôt mal vécu le traitement infligé par la Garde civile aux clandestins, confirme Mercedes, native de Ceuta. La Croix-Rouge espagnole, dont les bureaux sont à quelques centaines de mètres du port, reflète d’ailleurs bien le multiculturalisme de la ville. Les volontaires sont indifféremment chrétiens, musulmans, juifs, blancs, arabes ou noirs. »
L’immigration n’est pas un problème. On nous parle de pression migratoire, mais on oublie l’essentiel : ce sont des êtres humains qui cherchent une vie meilleure.
« Pour nous, l’immigration n’est pas un problème. On nous parle de pression migratoire, mais on oublie l’essentiel : ce sont des êtres humains qui cherchent une vie meilleure », s’indigne Germinal Castilló, professeur de français et porte-parole de l’organisation humanitaire.
Chaque fois qu’un migrant passe la frontière, la Croix-Rouge est toujours la première à arriver sur le terrain, avec la police. « En descendant de leur canot, ils t’embrassent et te remercient de les avoir sauvés. Chaque cas est une tragédie, impossible de l’oublier. »
Aller sans retour
Doucoure est malien. Il a fui la guerre de son pays pour essayer de gagner de l’argent en Europe et aider sa femme et ses trois enfants. Il est arrivé à Ceuta le 19 février, sur un Zodiac avec huit autres passagers. Rencontré sur la plage où il se prend en photo avec son ami Ibrahim, grâce à un portable « donné au Ceti », il affiche un sourire confiant.
« J’attends le laissez-passer des autorités pour passer le détroit », explique-t-il. Comme lui, beaucoup sont convaincus que l’Espagne est à portée de main. Ils se trompent. Le rêve européen s’arrête à Ceuta. Cette enclave de 19 km2 est une prison sans barreaux. Sans papiers, impossible de franchir la Méditerranée. Pourtant, après avoir atteint l’enclave, les migrants savent qu’ils ne peuvent être renvoyés chez eux.
Depuis la visite à Ceuta, les 5 et 6 mars, de Jorge Fernández Díaz, le ministre espagnol de l’Intérieur, les choses sont peut-être en train de changer. « Le nombre des tentatives d’entrée clandestine a apparemment baissé », estime Francisco Márquez, député du Parti populaire (droite), au pouvoir à Madrid. L’arrivée de nouvelles unités militaires n’y est sans doute pas étrangère. Le renforcement des contrôles, côté marocain, non plus.
« La poignée de main entre notre ministre et le responsable marocain aux frontières veut tout dire, estime un Ceutien en montrant une photo parue dans la presse locale. L’Union européenne a promis 10 millions d’euros au Maroc pour qu’il autorise les clandestins à franchir la frontière dans l’autre sens. » De fait, les autorités chérifiennes ont accepté de faire avancer le partenariat pour la migration et la mobilité lancé avec l’UE en 2011 et signé en juin 2013.
Lors d’un sommet bilatéral à Tanger, annoncé le 26 mars puis reporté à avril, elles s’engageront donc à accueillir sur leur territoire les immigrés en situation irrégulière présents à Ceuta en échange des 10 millions d’euros promis. « Souvent considéré comme un pays de transit, la dernière étape avant l’eldorado européen, le Maroc va se transformer en pays d’accueil », notait le 20 février le quotidien marocain L’Économiste.
Pour lutter contre le phénomène, une meilleure coopération avec les pays africains est indispensable.
Un tel accord a déjà été mis en place avec la Tunisie après les drames de l’île de Lampedusa. « Pour ne pas mettre en danger la cohésion sociale au sein de l’enclave, il faut que l’immigration soit contrôlée », justifie Francisco Márquez. Tout le monde n’est évidemment pas de cet avis.
Vicaire de la cathédrale qui travaille depuis de nombreuses années avec les immigrés dans le quartier (en majorité musulman) du Príncipe, dans le sud de l’enclave, José Manuel González sait fort bien que rien ne changera vraiment tant que les mafias contrôleront ces mouvements migratoires : « Si un Subsaharien a payé très cher la mafia, il se sent le droit d’entrer en Europe. Pourquoi y renoncerait-il après tant d’efforts ? Pour lutter contre le phénomène, une meilleure coopération avec les pays africains est indispensable. »
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Ces complications politiques, les immigrés ne s’en soucient guère. Le 18 mars, cinq cents d’entre eux sont même passés à Melilla, l’autre enclave espagnole sur la côte marocaine. À peine débarqués, tous n’ont qu’une idée en tête : obtenir l’autorisation de partir pour l’Espagne.
« Mon rêve, c’est de faire carrière dans la boxe », confie André, un jeune Camerounais arrivé le 29 janvier qui, en attendant, aide au ménage à la paroisse Notre-Dame-d’Afrique, à Ceuta. Dieu seul sait s’il y parviendra.
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