Turquie : Erdogan en sursis

Après la répression du mouvement de Gezi et la révélation de graves affaires de corruption impliquant le Premier ministre, les municipales du 30 mars ont valeur de test pour l’AKP.

Meeting du parti de centre gauche CHP à Afyonkarahisar (Ouest), le 18 mars. © DEPO PHOTOS/SIPA/SIPA

Meeting du parti de centre gauche CHP à Afyonkarahisar (Ouest), le 18 mars. © DEPO PHOTOS/SIPA/SIPA

JOSEPHINE-DEDET_2024

Publié le 27 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

En apparence, ce n’est qu’un scrutin municipal. Pourtant, la consultation du 30 mars sera décisive pour Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre depuis onze ans et artisan des sept victoires électorales d’affilée de l’AKP. Même si son parti devrait arriver en tête, c’est en fonction du score obtenu qu’il décidera de se porter ou non candidat à la présidentielle du mois d’août (organisée pour la première fois au suffrage universel direct).

Un rêve qui semble s’éloigner. Faute de majorité qualifiée à l’Assemblée, Erdogan n’a pu changer la Constitution pour faire basculer la Turquie dans un régime présidentiel, où, en tant que chef de l’État, il aurait été doté de pouvoirs élargis. Surtout, de plus en plus contesté dans la rue et éclaboussé par de graves affaires de corruption, il n’est pas assuré de l’emporter.

la suite après cette publicité

"L’AKP a atteint son apogée lors de la dernière élection [49,9 % aux législatives de 2011]", estime Hayko Bagdat, du quotidien indépendant Taraf, qui estime que, cette fois, il n’obtiendra pas plus de 40 %. Un chiffre pivot. "S’il est au-dessous de ce seuil aux municipales, l’AKP peut perdre la présidentielle", souligne le sociologue Emre Erdogan, de l’université Bilgi d’Istanbul. Encore faut-il que l’opposition (CHP de centre gauche et MHP ultranationaliste) s’unisse derrière un candidat consensuel au second tour.

En attendant, Erdogan multiplie les provocations afin de ressouder ses troupes.

En attendant, Erdogan multiplie les provocations afin de ressouder ses troupes. Une tactique qui lui a souvent réussi, mais qui, à la longue, pourrait se retourner contre lui. L’esprit du mouvement de contestation de Gezi – dont la répression a fait 7 morts et plus de 8 000 blessés en juin 2013 – plane sur la Turquie. Ce 12 mars, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue lors des obsèques de la huitième victime, un adolescent de 15 ans qu’Erdogan a osé traiter de "casseur au service d’une organisation terroriste".

"Il a perdu le vote des classes moyennes urbaines", confirme son homonyme sociologue. Et, au-delà, celui de toutes les personnes révulsées par son autoritarisme et sa brutalité. "Pour la première fois depuis le coup d’État militaire de 1980, les gens n’ont plus peur. C’est ce qui fait paniquer le pouvoir", précise Bagdat.

Les scandales coûteront des points à Erdogan

la suite après cette publicité

Et puis, il y a les affaires de corruption… Jour après jour, des conversations téléphoniques compromettantes (mais pas encore authentifiées) sont diffusées sur YouTube. On y entend Erdogan demander à son fils de dissimuler des dizaines de millions de dollars pour échapper aux enquêteurs, exiger des pots-de-vin plus élevés ou ordonner à des patrons de presse de licencier des journalistes. L’intéressé a beau crier au complot ourdi par la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, ces scandales et le zèle qu’il déploie pour les étouffer lui coûteront des points jusque dans son propre électorat, pieux et sourcilleux en matière d’éthique. Même si l’AKP conforte sa place de premier parti au plan national, il est en mauvaise posture dans les trois villes clés : Istanbul, où une défaite constituerait un séisme politique, et où son avance se réduit ; Izmir, qui a toutes les chances de rester aux mains du CHP ; et Ankara, qui vacille.

En cas de résultat moins bon qu’escompté, Erdogan pourrait choisir de conserver son poste de Premier ministre afin de se maintenir au pouvoir jusqu’aux législatives de 2015 et de s’assurer une immunité judiciaire, laissant son "frère" Abdullah Gül, l’actuel président, briguer un second mandat. "Il a renoncé à ses ambitions présidentielles et va changer les statuts de l’AKP, qui lui interdisent d’accomplir plus de trois mandatures en tant que Premier ministre", prédit l’économiste Seyfettin Gürsel, de l’université Bahçesehir d’Istanbul. Jouera-t-il la prudence, ou se montrera-t-il trop gourmand ? Une seule chose est sûre : le pays va traverser des mois de tensions extrêmes.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires