Maroc : bac français toi-même !

En partenariat avec la France, le Maroc a créé des sections internationales pour améliorer l’employabilité des bacheliers. Mais certains islamistes crient à la « perte de souveraineté » et au « colonialisme ».

Pour les islamistes, le projet remet en cause la souveraineté linguistique marocaine. © Glez

Pour les islamistes, le projet remet en cause la souveraineté linguistique marocaine. © Glez

Publié le 2 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Le 20 août dernier, Mohammed VI consacrait la majeure partie de son traditionnel "discours de la révolution du roi et du peuple" à un sujet qui intéresse et inquiète nombre de Marocains : l’enseignement. Le souverain tirait alors la sonnette d’alarme : "Le secteur de l’éducation est en butte à de multiples difficultés […] : programmes et cursus ne sont pas en adéquation avec les exigences du marché du travail." Et M6 d’imputer cette situation "aux dysfonctionnements consécutifs au changement de la langue d’enseignement dans les matières scientifiques. Ainsi l’on passe de l’arabe, aux niveaux primaire et secondaire, à certaines langues étrangères dans les branches techniques et l’enseignement supérieur".

Une des pistes de réforme envisagées consiste à renforcer l’apprentissage des langues étrangères dans les écoles publiques : "Il convient d’encourager [le citoyen] à apprendre et à maîtriser ces langues, parallèlement aux langues officielles prévues dans la Constitution. Il s’agit de parachever sa qualification, d’affiner ses connaissances et de lui permettre de travailler dans les nouveaux métiers du Maroc qui accusent un grand déficit en main-d’oeuvre qualifiée, tels que ceux de la construction automobile et des centres d’appel, ceux liés à l’aéronautique et d’autres encore."

Concrètement, il s’agit de proposer aux futurs bacheliers un enseignement bilingue pour les matières principales, y compris scientifiques.

la suite après cette publicité

Trois semaines plus tard, les élèves reprennent le chemin de l’école. Et l’une des nouveautés de la rentrée 2013 fait directement écho aux orientations royales. Pour la première fois, six lycées (Agadir, Casablanca, El-Jadida, Marrakech, Meknès, Tanger) expérimentent la section internationale option français pour le baccalauréat. Concrètement, il s’agit de proposer aux futurs bacheliers un enseignement bilingue pour les matières principales, y compris scientifiques. L’initiative est menée par le ministère de l’Éducation nationale, avec le soutien de son équivalent français. Les lycées français installés dans les six villes concernées serviront de relais de cette coopération. Le 18 février, les ministres de l’Éducation Rachid Belmokhtar et Vincent Peillon signent, à Rabat, un accord de coopération qui prévoit, à la demande du Maroc, de "généraliser" les sections internationales à 82 établissements répartis sur tout le royaume dès la rentrée 2014. "Des sections francophones du baccalauréat existent en Tunisie, en Égypte et au Liban, mais nulle part l’échelle est aussi importante qu’au Maroc", explique un diplomate français.

Remise en cause de la "souveraineté linguistique marocaine"

C’est ce terme de "généralisation" qui a été saisi au bond par une partie des responsables islamistes, lesquels dénoncent "les dangers de la généralisation du bac français au Maroc" et une remise en cause de la "souveraineté linguistique marocaine". Bilal Talidi, éditorialiste à Attajdid, l’organe de presse officieux du Parti de la justice et du développement (PJD), ne mâche pas ses mots : "[Cette réforme] s’inscrit dans une dépendance culturelle et linguistique par rapport à la France, à laquelle personne n’a pourtant reproché sa responsabilité dans les revers de notre éducation nationale."

Pour Mohamed Yatim, secrétaire général de l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), le syndicat affilié au PJD, c’est l’occasion rêvée d’attaquer le ministre de l’Éducation nationale, d’autant que ce dernier n’a pas pris la peine d’expliquer les retombées positives de ce dispositif, ni d’en discuter avec les syndicats, très puissants dans la corporation. Yatim appelle Belmokhtar à revoir "son approche cavalière et à lancer un dialogue national sur la question dans le cadre d’une section internationale ouverte à toutes les langues et pas seulement au français". "Une déclaration que n’avait pas attendue Belmokhtar pour envisager d’ouvrir aussi des sections hispanophone et anglophone", confirme une source proche du dossier.

la suite après cette publicité

Le titulaire du portefeuille de l’Éducation devait changer

Nommé par le roi en octobre dernier, Rachid Belmokhtar est un technocrate confirmé. Ancien ministre de l’Éducation nationale au milieu des années 1990, il a été président de l’université Al-Akhawayne, à Ifrane, et président de l’observatoire de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Informaticien, homme du sérail, il a remplacé le bouillonnant Mohamed Louafa, le trublion ex-istiqlalien, qui avait lancé le projet à l’été 2013 et que le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a voulu maintenir à son poste lors de son remaniement contraint d’octobre. "Quand la première liste du nouveau gouvernement formé avec l’appui du Rassemblement national des indépendants (RNI), de Salaheddine Mezouar, a été présentée au Palais, Louafa y figurait encore", témoigne une source proche du zaïm islamiste. Benkirane a fini par admettre que le titulaire du portefeuille de l’Éducation devait changer après le sévère rappel à l’ordre du roi.

De son côté, l’Istiqlal souffle le chaud et le froid.

la suite après cette publicité

De son côté, l’Istiqlal, qui a eu la charge du ministère de l’Éducation nationale durant les deux premières années du gouvernement Benkirane, souffle le chaud et le froid. Le vieux parti nationaliste est habituellement en pointe pour défendre l’arabisation de l’enseignement et surfer sur la vague anticolonialiste, encore présente dans les milieux éducatifs. Sous la plume de Hassan Benmahmoud, le journal francophone de l’Istiqlal, L’Opinion, dénonce la "posture schizophrène de l’exécutif" sur le sujet : "Qu’est-ce qui a changé entre septembre 2013 et maintenant ? Comment expliquer cette levée de boucliers contre un projet accepté par le chef du gouvernement ? Des jeux de rôles entre le chef de l’exécutif et les ténors de son parti qui brouillent davantage toute tentative de compréhension et de clarté dans le jeu politique. C’est grotesque. On ne peut à la fois cautionner, en tant que chef de l’exécutif, un projet et essayer par des manoeuvres de politique politicienne de s’en dédouaner en poussant des "hâbleurs" du parti à le critiquer ouvertement et avec véhémence." Aux dernières nouvelles, Benkirane et Belmokhtar ont eu une discussion franche sur le sujet, et "la généralisation n’est pas menacée", confie une source ministérielle. Ouf !

Très chère "Mission"

Depuis la rentrée de septembre 2013, l’enseignement français accueille 31 500 élèves, 600 de plus que l’année précédente. Les deux tiers des élèves de la "Mission" sont des Marocains. On entend bien, ici et là, des critiques sur les frais de scolarité, en augmentation constante depuis des années, mais la Mission reste très cotée. Chaque année, les coopérants et diplomates français sont assaillis de demandes émanant de parents désireux de faire bénéficier leur enfant d’un enseignement d’excellence. "En réalité, la demande excède largement l’offre de nos écoles, collèges et lycées, reconnaît une source diplomatique. D’ailleurs, nous n’avons pas vocation à nous substituer à l’enseignement marocain, c’est pourquoi notre coopération éducative vise aussi à renforcer la qualité et l’attractivité de l’école publique, selon les objectifs et les besoins formulés par Rabat."

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires