Goïta, Ouattara, Tebboune, Kagame… Qui gagne, qui perd si Marine Le Pen est élue ? Par François Soudan

On sait ce que l’arrivée au pouvoir de la candidate d’extrême droite signifierait pour les Français d’origine subsaharienne ou maghrébine et pour les Africains résidant en France. Mais quid des présidents africains ?

Marine Le Pen avec l’ancien président du Tchad, feu Idriss Déby Itno, à N’Djamena, le 21 mars 2017. © BRAHIM ADJI/AFP

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Publié le 19 avril 2022 Lecture : 4 minutes.

L’hypothèse d’une victoire de la candidate d’extrême droite à l’élection présidentielle du 24 avril apparaissant désormais comme envisageable – nettement plus en tous cas qu’en 2017 –, les chefs d’État africains concernés par les relations avec la France ont depuis quelque temps déjà pesé les conséquences d’un tel séisme. On sait ce que l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen signifierait pour les Français d’origine subsaharienne ou maghrébine et pour les Africains résidant en France : ils seraient les premières victimes d’une politique social-populiste particulièrement brutale et anxiogène à leur égard. Mais quid des présidents africains ? Qui seraient les « gagnants » et les « perdants » ?

Relations privilégiées et rapports exécrables

La ligne de partage est simple à tracer puisqu’elle sépare ceux avec qui Emmanuel Macron entretient des relations privilégiées et ceux avec qui ses rapports sont conflictuels, voire exécrables. Le Malien Assimi Goïta, le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra et (dans une moindre mesure) le Guinéen Mamadi Doumbouya ne verraient ainsi que des avantages à une défaite d’Emmanuel Macron. Les deux premiers surtout, puisque l’on voit mal Marine Le Pen, poutinophile affichée, venir leur reprocher leurs accointances avec le groupe mercenaire russe Wagner. L’Équato-Guinéen Obiang Nguema Mbasogo, qui avait reçu Jean-Marie Le Pen en 2016, pourrait également s’en satisfaire, la candidate d’extrême droite ayant toujours affiché sa défiance à l’encontre de la justice internationale et des procédures sur les « biens mal acquis ». Au-delà de cette poignée de chefs, c’est toute la galaxie national-souverainiste africaine, allant des partisans de Laurent Gbagbo à ceux d’Ousmane Sonko en passant par les « combattants » de la diaspora des deux Congos, du Cameroun et du Gabon, qui applaudiraient à la victoire de « Marine », tant est vive leur détestation du président français.

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Par contre, cette perspective n’a rien de réjouissante pour l’Ivoirien Alassane Ouattara. Marine Le Pen, qui avait fustigé en son temps l’intervention française contre Laurent Gbagbo, lui voue une franche animosité. Idem pour le Congolais Denis Sassou Nguesso, objet de la part du vice-président du Rassemblement national, Louis Alliot, d’une véritable fixation. Très proche de l’ancien leader de l’opposition Parfait Kolélas (qui fut membre du Front national) décédé en 2021, le maire de Perpignan appelait encore il y a quelques jours à « ne pas aider » le président congolais. Le Nigérien Mohamed Bazoum, sur lequel Emmanuel Macron ne tarit pas d’éloges, pourrait se voir reprocher cette proximité.

Vis-à-vis du Rwanda comme de l’Algérie ou des crimes de la colonisation, l’antienne de Le Pen est limpide : ni excuses ni repentance

Quant au Rwandais Paul Kagame, il devrait très probablement faire face au souhait de Marine Le Pen de réviser l’Histoire des compromissions de l’armée française dans le génocide de 1994. Vis-à-vis du Rwanda comme de l’Algérie ou des crimes de la colonisation, l’antienne de la candidate est, on le sait, limpide : ni excuses ni repentance. Obsession fondatrice de la famille politique (et biologique) de Marine Le Pen, la « mémoire algérienne », en particulier celle de la guerre d’indépendance, fera elle aussi l’objet d’une réécriture officielle dans l’hypothèse où la candidate du RN l’emporte. Sur ce plan comme sur celui des flux migratoires et de la place de la communauté algérienne (ou d’origine algérienne) en France, le bras de fer avec le président Abdelmadjid Tebboune serait violent. Et cela d’autant que Marine Le Pen qui, comme son père, a toujours veillé à ne pas froisser le Maroc, pourrait rapidement adopter une position de reconnaissance pleine et entière de la souveraineté du royaume sur l’ex-Sahara occidental, à l’instar de l’administration américaine.

En cas d’accession de Le Pen à l’Elysée, le Tchadien Mahamat Idriss Déby Itno pâtirait-il de son adoubement par Emmanuel Macron il y a un an et des attentions dont l’entoure le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ? Ce n’est pas certain, Marine Le Pen ayant toujours dit beaucoup de bien de son père, le défunt maréchal, qui fut le seul chef d’État africain à la recevoir en 2017.

Habile, Marine Le Pen a profité d’une conférence de presse le 13 avril pour tendre la main au Sénégalais Macky Sall

Idem pour le Camerounais Paul Biya, ménagé pour avoir autorisé, en 2007, son épouse Chantal à accueillir à Yaoundé Jany Le Pen (l’épouse de Jean-Marie) lors d’une tournée organisée par un certain Dieudonné Mbala Mbala. Habile, Marine Le Pen a profité d’une conférence de presse le 13 avril pour tendre la main au Sénégalais Macky Sall, en promettant que, elle présidente, elle ferait tout pour que le pays de la Teranga se voit décerner un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. La ficelle était un peu grosse et l’intéressé s’est bien gardé de la saisir.

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Dimanche 24 avril, à 20 heures, il y a fort à parier que pas un seul chef d’État d’Afrique francophone – et au-delà – ne manquera à l’appel de la télévision. Si une poignée de leurs opposants, à la recherche désespérée d’un changement par procuration dicté depuis Paris, ont cru bon de se prononcer pour l’héritière du Front national, la plupart croiseront les doigts pour que ce ne soit pas son visage qui apparaisse sur le petit écran.

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