Corruption : Thuli Madonsela, une justicière contre Zuma
Thuli Madonsela demande au président sud-africain Jacob Zuma de rembourser une partie des travaux réalisés à son domicile. Un voeu pieux ? Pas vraiment. La médiatrice de la République a déjà eu la tête de hauts responsables.
Les yeux rivés sur sa feuille comme si elle voulait à tout prix éviter les regards de la meute de journalistes qui lui fait face, livrant ses conclusions d’une voix douce et sur le ton monocorde d’un directeur d’école faisant l’appel, Thuli Madonsela paraît bien inoffensive dans son chemisier blanc à pois roses orné d’un discret collier de perles. Mais les Sud-Africains ont appris à connaître cette femme de 51 ans, native de Soweto, et savent que le célèbre caricaturiste Zapiro a raison de la représenter en justicière juchée sur son cheval blanc.
Depuis cinq ans, en sa qualité de public protector (médiateur de la République), elle mène "sans peur et sans accorder de faveurs" – comme elle le dit elle-même – une "guerre difficile" contre la corruption et les abus de l’administration, deux fléaux sud-africains. Le 19 mars, elle a gagné sa plus grande bataille.
Ce jour-là, devant les caméras, Madonsela expose froidement les conclusions de son enquête sur les travaux réalisés dans la résidence privée de Jacob Zuma : "Les dépenses engagées par l’État vont au-delà de ce qui était raisonnablement nécessaire […]. Le président a excessivement bénéficié de cet énorme investissement." Elle évoque des "abus de fonds publics" et s’étonne de l’escalade des coûts constatée au fil des ans.
Coût des aménagements aux frais du contribuable dans la résidence de Zuma : 16 millions d’euros. © Marco Longari/AFP
Zuma, trompé par son service de sécurité et certains de ss ministres
Certes, elle reconnaît que Zuma, dont elle n’a pu prouver qu’il avait lui-même ordonné ces travaux, a certainement été trompé par son service de sécurité et par certains de ses ministres, contre lesquels elle demande des sanctions. Mais la sentence fait tache, à moins de deux mois des élections générales prévues le 7 mai : le chef de l’État "doit rembourser une partie du coût des travaux de sa résidence", estimé à 246 millions de rands (16 millions d’euros), dont 215 millions avaient déjà été déboursés au moment de la clôture de l’enquête.
La presse avait révélé le scandale en 2009, l’année même où Zuma avait nommé la juriste médiateur de la République.
La presse avait révélé le scandale en 2009, l’année même où Zuma avait nommé la juriste médiateur de la République. Les prédécesseurs de Madonsela à ce poste n’avaient pas fait preuve d’un grand zèle. Mais rapidement, l’ancien membre de l’ANC (dont elle a démissionné en 2007) montre qu’elle prend à coeur sa mission. En 2011, elle obtient la tête du chef de la police nationale, accusé de ne pas avoir respecté une procédure d’appel d’offres, puis celles de deux ministres peu regardants sur l’utilisation des deniers publics.
Elle dirige une équipe de 150 enquêteurs qui planchent sur une quarantaine de dossiers par an et se plaint du manque de moyens dont elle dispose. Mais cela ne la freine pas : en 2012, elle s’empare de l’affaire de la résidence familiale du président, située à Nkandla (dans le Kwazulu-Natal), le village où Zuma a grandi.
Après deux années d’enquête et en dépit des nombreuses difficultés rencontrées pour obtenir certaines informations puis pour rendre public son rapport, elle arrive à la conclusion que non, tous les travaux réalisés aux frais du contribuable dans cet immense complexe ne sont pas justifiables ; que non, décidément, un poulailler, une piscine (présentée comme une réserve d’eau en cas d’incendie) et un amphithéâtre (censé servir de mur de soutènement) ne peuvent être considérés comme des ouvrages nécessaires à la sécurité du chef de l’État.
Très inquiet des effets de l’affaire sur le scrutin du 7 mai, l’ANC a dénoncé "un rapport politiquement orienté". L’opposition envisage de son côté de lancer une procédure de destitution du président – sans aucune chance de succès. Madonsela, elle, reste de marbre. Le 19 mars, elle a conclu sa déclaration en rappelant que c’est la Constitution qui lui donne "le pouvoir de prendre les mesures appropriées". Et asséné : "À moins d’estimer que je perds la tête, mes conclusions ne peuvent être ignorées."
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