Des présidents et leurs peuples
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 26 mars 2014 Lecture : 5 minutes.
Le pays de Nelson Mandela est-il encore une vraie et authentique démocratie ? Nous allons avoir l’occasion de le vérifier.
Jacob Zuma est, vous le savez, son troisième président de la période postapartheid, commencée il y a vingt ans. Il a succédé à Thabo Mbeki en mai 2009 ; son premier mandat tire à sa fin et, candidat du parti majoritaire, l’African National Congress (ANC), il est assuré d’être réélu en mai prochain pour un dernier mandat de cinq ans.
Avant même d’être porté à la présidence, Jacob Zuma a vu son intégrité et sa rigueur contestées et, dans l’exercice de la fonction présidentielle, il a fait montre d’un laxisme à la limite de l’acceptable.
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Il y a deux ans, les plus vigilants de ses concitoyens lui ont reproché d’avoir dépensé 23 millions de dollars (16 millions d’euros) d’argent public pour réaménager luxueusement, à Nkandla, une résidence secondaire qui est sa propriété personnelle. Lui-même et son gouvernement ont justifié cette dépense extravagante – et surtout sa prise en charge à 100 % par l’État sud-africain – par la nécessité d’assurer la sécurité du président, même lorsqu’il se trouve chez lui, en week-end.
Mais l’Afrique du Sud étant une démocratie dotée de contre-pouvoirs – qui fonctionnent -, la réponse de Jacob Zuma et de son gouvernement n’a pas été prise pour le mot de la fin ou le fameux "circulez, il n’y a rien à voir".
Sans que cela soit considéré comme offensant pour le président, l’affaire a été confiée au médiateur de la République ("public protector").
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Disposant de moyens humains et financiers adéquats, ce dernier, qui se trouve être une femme, Thuli Madonsela, a pris son temps – deux ans – pour chercher la vérité. L’ayant trouvée, la médiatrice a eu le courage de la consigner dans un rapport de 443 pages.
Elle en a présenté les conclusions devant la presse le 19 mars et a rappelé que l’institution, inspirée de l’exemple suédois, fait partie des innovations du nouveau système constitutionnel sud-africain : le public protector peut être saisi par de simples citoyens ou par les partis d’opposition. Il s’appuie sur cet autre contre-pouvoir qu’est une presse libre, et c’est d’ailleurs à partir d’un article publié par le Mail & Guardian, le 4 décembre 2009, qu’elle a ouvert son enquête.
Un professeur de droit constitutionnel, Pierre de Vos – qui n’a pas requis l’anonymat -, a saisi le public protector, en application de l’article 182 de la Constitution de 1996.
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Les conclusions de la médiatrice sont très sévères pour Jacob Zuma et son gouvernement, qui ont vainement invoqué des raisons de sécurité pour empêcher la publication de son rapport.
Le président échappe de justesse à l’infamie d’être rendu, personnellement et directement, responsable des surcoûts, abus et autres dysfonctionnements. Mais le rapport établit qu’une bonne partie des 23 millions de dollars dépensés à tort et à travers étaient destinés à assurer le confort, voire à satisfaire les goûts de luxe de la famille Zuma.
On cite des étables, des poulaillers, une piscine, deux héliports qui auraient dû être édifiés hors de la propriété et ainsi bénéficier à la ville de Nkandla.
L’abus de biens publics est patent, le gaspillage flagrant : la résidence secondaire de Jacob Zuma aura coûté à l’Afrique du Sud vingt fois plus que celle de son prédécesseur.
L’actuel président est sommé de rembourser à l’État une partie importante, mais qui reste à chiffrer, des 23 millions de dollars. Et de sanctionner ses ministres fautifs.
Il n’a aucune possibilité de s’y soustraire et a promis une réponse dans le délai imparti (quatorze jours).
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L’affaire exposée ci-dessus confirme que Jacob Zuma, à l’opposé de Mandela et de Mbeki, est dangereusement laxiste ; il ne voit aucun mal à ce que de l’argent public glisse dans ses poches et celles de sa famille.
En cela, il ne fait pas preuve d’originalité, car il se comporte comme les chefs d’État ou de l’exécutif des autres pays – africains ou non – qui ont la possibilité de profiter ainsi, abusivement, de leur présence au pouvoir et d’en faire profiter indûment leurs proches.
Ne se laissent pas aller à cette facilité ceux qui en sont empêchés par de vrais contre-pouvoirs, apanages des véritables démocraties.
N’y songent même pas les chefs de l’exécutif de ces modèles de démocratie que sont les petits pays d’Europe du Nord (Suède, Norvège, Danemark). Eux vivent aussi sobrement que leurs concitoyens et ne bénéficient d’aucun avantage. "Je m’occupe moi-même de mes filles, je fais les courses et lave mon linge", a pu dire récemment Helle Thorning-Schmidt, la Première ministre du Danemark.
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Le gouvernement sud-africain ? Il s’est comporté comme les autres bureaucraties d’État. Elles sont en général lourdes, dispendieuses, inaptes à éviter les dépassements de budget ; et mettent tout leur zèle à satisfaire le chef et à le protéger des critiques.
En France, pays plus évolué que l’Afrique du Sud et où la démocratie est plus ancienne, un tel projet au profit de François Mitterrand, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, par exemple, aurait été réalisé à peu près de la même façon et avec les mêmes erreurs.
Et, in fine, aurait suscité contre lui, grâce aux contrepoids de la justice et de la presse, les mêmes oppositions.
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Le chef d’État d’un très grand pays et qui est au pouvoir depuis moins d’un an a surpris ses concitoyens et le monde entier, il y a peu, par un geste qui, pour être calculé, n’en est pas moins significatif.
Xi Jinping, nouveau président de la République de Chine, s’est présenté à l’heure du dîner, le 28 décembre, à Pékin, devant un restaurant populaire de la chaîne Qingfeng, sans aucun garde du corps ni le moindre journaliste. Il a fait la queue, puis s’est installé à une table parmi les clients ordinaires, médusés, a commandé, comme eux, un repas simple à 21 yuans (2,50 euros) et l’a mangé en silence.
Il s’en est allé ensuite, seul et à pied, après avoir salué poliment ses compagnons de dîner.
Toute la Chine l’a appris dès le lendemain grâce aux réseaux sociaux, et même s’ils n’ont pas été dupes, les Chinois ont saisi la signification du geste : "Oncle Xi nous a montré qu’il était un homme du peuple…"
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Avec ses 53 millions d’habitants, soit 5 % de la population du continent, l’Afrique du Sud en est encore la première économie, mais talonnée par le Nigeria, trois fois plus peuplé.
Elle est, en même temps, pour le moment, en dépit d’inégalités sociales criantes, sa démocratie la plus aboutie.
Il faut espérer que le second mandat du laxiste président Zuma ne conduira pas à sa rétrogradation.
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