Musique : Disiz ou l’art du contre-pied

Le rappeur « sans étiquette » Disiz sort un nouvel album aux atmosphères variées et aux textes travaillés, « Transe-Lucide ».

 © Johann Keezy Dorlipo

© Johann Keezy Dorlipo

Publié le 21 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Dans le monde du rap français, il est un peu à part. "Et ça me va bien !" répond-il du tac au tac. Disiz, de son vrai nom Sérigne M’Baye Gueye, a la répartie facile, aime les contre-pieds. L’interviewer, c’est un peu se lancer dans un dialogue à la "attrape-moi si tu peux", qui commence ce soir-là place de la République, à Paris. Pas de chichis, le rappeur à la dégaine hip-hop impeccable s’assoit sur les rebords d’une fontaine et enchaîne les blagues. Et ne lui dites surtout pas que c’est un rappeur "marrant", cela fait des années qu’il essaie de se débarrasser de cette étiquette acquise dès le succès de son premier album, Le Poisson rouge, sorti en 2000 et dont le single "J’pète les plombs" s’est vendu, à lui seul, à plus de 600 000 exemplaires. À l’époque, le jeune homme de 22 ans est Disiz la Peste et débarque tel un ovni sur une scène française rap peu imaginative dans sa façon d’aborder son thème de prédilection, la banlieue. Lui déboule avec un clip humoristique inspiré de Chute libre, le film culte de Joel Schumacher, sorti en 1993, qui retrace la fulgurante descente aux enfers d’un fonctionnaire américain pour mieux décrire les travers des sociétés modernes. Le contre-pied, l’originalité, les références culturelles… Déjà. 

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"J’pète les plombs" extrait de l’album Le Poisson rouge, (2000)

Failles

Quatorze ans, huit albums et une pause musicale plus tard, Disiz, qui a entre-temps raccourci son nom de scène, est de retour avec Transe-Lucide, sorti le 3 mars et dernier d’une trilogie d’albums (après Lucide et Extra-Lucide en 2012). Un magnifique concentré de rap "vrai", et pas "tebé" (bête en verlan), aux textes travaillés, où les titres mélancoliques, emplis de tendresse, comme "Kadija", qu’il dédie à sa femme, narguent les attendus – et inévitables dans ce genre musical – "egotrips" tels que "Rap Genius". "J’ai enfin trouvé ma zone de confort, déclare-t-il. Celle qui me permet d’exprimer, de manière cohérente et sans schizophrénie, toutes les facettes de ma personnalité."

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"Rap Genius" extrait de l’album Transe-Lucide, Def Jam France (2014)

Complexité

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À 35 ans, ce père de quatre enfants, qui avoue avoir gardé "un côté adolescent", assume comme jamais auparavant ses paradoxes, ses failles, sa sensibilité, sa foi. Disiz se livre. "J’ai cherché l’âme de ce disque jusqu’à en devenir fou", écrit-il. Et s’il a si bien réussi à la trouver, c’est notamment grâce à ce qu’il a appris en se risquant, ces dernières années, dans d’autres domaines artistiques. Le cinéma, la littérature – il est l’auteur de deux romans – et, l’année dernière, le théâtre, en jouant une saison entière Othello dans la tragédie du même nom de Shakespeare.

J’ai cherché l’âme de ce disque jusqu’à en devenir fou.

"Rappeur intello", ont rapidement crié certains. "Cette formule m’énerve tellement, lance-t-il. On l’utilise comme si rappeur et intello étaient deux notions antinomiques, comme si on ne pouvait pas être rappeur et s’intéresser à autre chose qu’à des grosses fesses et des grosses caisses."

L’un de ses nouveaux morceaux, "Happy End", est consacré à sa mère, française, "(sa) part de bien (sa) part de ciel", qui l’a élevé seule après une séparation douloureuse avec son père, sénégalais. Mais plus question de jouer l’artiste torturé par son métissage. Dans "Complexité française", il met les points sur les "i", son "identité est non identifiée" et pose : "Je ne vais pas me faire plus français que je ne le suis déjà / Je ne vais pas m’assimiler / Complexe français / Je suis complexe. Je suis français." Et au rappeur qui habite toujours à Évry, ville de banlieue parisienne où il a grandi, et qui se rend souvent en Afrique, en vacances ou en tournée, de clamer : "Je suis bien plus qu’un papier, bien plus qu’un drapeau."

"Complexité française" extrait de l’album Transe-Lucide, Def Jam France (2014

Trans-Lucide, ou la synthèse d’un Disiz capable de critiquer ses contemporains, qu’ils soient issus des cités ou de l’Élysée, "T’aimes les noirs comme Claude Guéant, dans ton lit pas pour un job", écrit-il tout en demandant constamment à tous de "prendre le risque d’aimer". D’un titre à l’autre, il change complètement d’atmosphère. De la pop, de la dance, du funk, des pointes de classique, des samples, des boucles et des refrains entêtants – parfois trop systématiques -, qui donnent définitivement à cet album une dimension singulière. Jusque-là le plus abouti de sa carrière.

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Par Haby Niakate

>> Transe-Lucide de Disiz La Peste, 18 titres. Def Jam France, sorti le 3 mars 2014

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