« À rebrousse-temps » : rencontre avec la peintre franco-béninoise Leslie Amine
La foire d’art contemporain AKAA prend ses quartiers avec 14 artistes à la galerie Manifesta, à Lyon, jusqu’au 24 mai 2022. L’occasion de s’entretenir avec l’artiste peintre sur son travail, entre deux tableaux.
En novembre dernier, Also Known As Africa (AKAA) reprenait ses quartiers au Carreau du Temple, à Paris, sous le thème « À rebrousse-temps », après deux années teintées de crise sanitaire. Depuis le 6 avril et jusqu’au 24 mai, un morceau de la foire voyage à Lyon, en comité réduit de 14 artistes, dans la galerie Manifesta, ancien atelier de soyeux en cœur de ville. Jeune Afrique est venu y explorer l’œuvre de Leslie Amine. Elle en raconte la genèse.
Deux toiles dans les tons rouge sont installées côte à côte dans la grande salle de la galerie lyonnaise. Elles sont signées de l’artiste franco-béninoise Leslie Amine, tirées de la collection « Conversations ». La peintre joue sur les transparences, travaille la fluidité de la matière, superpose de l’acrylique et des encres. Le regard voyage entre les strates de sa technique et l’histoire qu’elle délivre. Toutes deux illustrent des discussions sur fond de paysage onirique, où les palmiers contrastent avec le coucher de soleil, à l’heure où le ciel prend sa couleur de sang. Comme souvent dans sa peinture, à en croire la directrice artistique de la foire, Armelle Dakouo, Leslie Amine balade son pinceau au fil d’anecdotes, de recherche de soi, de voyages et de souvenirs d’Afrique.
Quête d’identité
Leslie a 18 ans quand elle découvre le continent, à travers le pays de son père, le Bénin. Elle s’y rend seule, y retrouve une partie de sa famille qui y vit toujours, comme pour répondre à une quête de soi. « J’avais très envie d’y aller, je m’imaginais beaucoup de choses, ça a été une claque et j’ai commencé une recherche sur mes origines avec ce voyage », se souvient-elle.
On me demande souvent pourquoi je ne peins que des Noirs. Je crois que j’ai besoin de cette représentation là
Leslie a grandi a des années-lumière de cette réalité-là, à Saint-Étienne, « une ville où il n’y avait pas beaucoup de Noirs, j’étais présentée comme telle, et où j’ai souffert du racisme », explique-t-elle. Au Bénin, elle devient contre toute attente « la Blanche ». Son métissage la fait s’interroger sur la place qui pourrait être la sienne : « Qui suis-je dans ce monde où je suis toujours l’étrangère ? », formule-t-elle bien des années après, en souvenir de cette époque. De fait, on retrouve dans l’œuvre de Leslie Amine une grande exploration sur la question du métissage et de l’identité.
Elle a trouvé une forme de réponse à sa question au fil des quinze dernières années de travail artistique. Aujourd’hui, c’est « intégré » dit-elle. Elle marque un temps d’arrêt. « On me demande souvent pourquoi je ne peins que des Noirs. » Peut-être la quête continue-t-elle ? La peinture de gauche au mur de la galerie Manifesta représente deux hommes en premier plan, sur celle de droite, un homme et une femme discutent. Tous sont effectivement Noirs. « Pourquoi ce sont eux qui m’intéressent ? », s’interroge-t-elle, avant de commencer à répondre. « Je crois que j’ai besoin de cette représentation là, d’illustrer le corps noir, comme une seconde recherche qui serait plus large que moi-même, que mon interrogation sur qui je suis. »
Ces corps viennent à la fois de ses voyages, en Haïti notamment, au Bénin, au Cameroun, où elle a des attaches par son mari. Mais aussi de nombreuses rencontres de rues qu’elle fait en France, où elle photographie les gens à la peau noire qu’elle croise. « Il y a toute une phase de mon travail qui repose sur la représentation de la diaspora, ceux du tableau de droite ont posé pour moi à Grenoble », explique-t-elle.
Plongée dans la carte postale
Entre les palmiers du tableau de gauche émerge une coquille, signalisation de la station essence Shell. Leslie Amine aime glisser dans ses toiles des « symboles des grandes villes d’Afrique. Lorsque j’ai pris la photo qui a inspiré ce travail, j’ai cadré sur cette enseigne, cela me paraissait tellement significatif dans le paysage, tellement imposant ». Sur la peinture de droite, la jungle est visitée par une paire de Stan Smith. Elle sourit de ces rencontres qui peuvent parfois créer « une étrangeté, ou des formes d’anachronismes », mais qui nous sont familières.
Leslie Amine laisse son spectateur libre d’interprétation, tout se veut « sans revendication particulière, sans étiquettes, ouvert aux possibilités ». Elle est fascinée par ces paysages exotiques, parfaites illustrations de l’idée qu’elle se fait de « l’ailleurs ». Ses fonds donnent toujours l’impression de plonger dans une carte postale. Elle travaille d’après des photographies réalisées lors de ses déplacements, « pas sur le vif », donc, même si sa peinture a quelque chose de très instinctif qui donne l’impression de sauter dans un de ses souvenirs. Ses superpositions de matières et d’histoires ne sont pas sans rappeler « le bricolage et l’agencement des rues » qu’elle voit souvent au Cameroun. Elle se dit bientôt à court d’images pour nourrir sa peinture. Vivement le prochain départ.
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