Musique : le bon tempo d’Erik Aliana

Installé en France, le batteur camerounais Erik Aliana, façonné par les rythmes du pays osananga, vient de sortir un nouvel album, Just My Land.

« Une boîte de conserve, dans les années 1980, c’était le luxe », se souvient le musicien. © Sandra Rocha pour J.A.

« Une boîte de conserve, dans les années 1980, c’était le luxe », se souvient le musicien. © Sandra Rocha pour J.A.

Publié le 20 mars 2014 Lecture : 4 minutes.

À 40 ans, Erik Aliana semble être au sommet de son art, celui d’un auteur-compositeur-interprète-percussionniste jong- lant avec les polyrythmies camerounaises comme avec les apports hérités des nombreuses rencontres qui l’ont façonné. Quarante ans, c’est encore la jeunesse et déjà la maturité, et son nouveau disque acoustique, Just My Land, vogue entre folk et rythmes originels. « C’est un album discret, qui mérite pourtant qu’on s’y arrête parce qu’il recèle une alchimie précieuse et finalement assez rare. Ce qui me vient en tête, c’est l’adjectif « lumineux », note Églantine Chabasseur, journaliste à Radio France.

Erik Aliana a grandi au Cameroun dans les salles de répétition des orchestres des lycées où son père était proviseur. À 8 ans, il commençait la batterie et les percussions, et quelques mois plus tard, il était devenu « le plus jeune batteur de la ville »… Chaque été, sa famille rentrait à Badissa, en pays osananga, au centre du pays. Au Sud, la forêt équatoriale, au Nord, la savane, et autour, les champs de cacao. C’est là qu’il a découvert les chants nkemangas et irogis, « lors de cérémonies rituelles animistes, de jeux de société ou en accompagnant les hommes à la chasse, dans les bois… ». Ainsi qu’avec une vieille dame recueillie par son grand-père et qui chantait dans la cour du village. « On disait qu’elle m’avait transmis la sorcellerie du chant », se souvient-il. Un héritage rural qui formera la matière première de Songs for Badissa, paru en 2011.

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« Korongo » de l’album Just my Land, live 2013.

Le jeune Aliana fabrique des instruments avec des matériaux divers comme des calebasses, un tabouret, un balai. « Une boîte de conserve, dans les années 1980, c’était le luxe. » Son adolescence de musicien turbulent inquiète ses parents, qui l’expédient à l’internat. Au sein de l’orchestre du lycée de Nkongsamba, il défie les « grands frères » et reprend les rythmes qui font danser les Camerounais. Étudiant, il flirte avec le Yaoundé University Music et fait ses premières apparitions dans des cabarets de la ville, comme le Parallèle, où il joue pour 500 F CFA et les pourboires du public, qui réclame « variété française et yéyé ». C’est à cette époque qu’il rencontre Steve Ndzana, batteur emblématique de la capitale camerounaise et directeur de l’orchestre de la CRTV, la radio-télévision publique, qui a fondé le club La Terre battue.

Là, Aliana côtoie le chanteur Donny Elwood, le groupe Macase et les artistes africains en tournée qui viennent y terminer la soirée après leurs apparitions en ville. Le bikutsi est à la mode, et on dit qu’à l’époque c’était l’un des meilleurs clubs d’Afrique. Le batteur y est recruté un jour de grève : « C’était comme d’avoir gagné le jackpot. Je chantais Lokua Kanza, Khaled… Mon goût pour les musiques d’Afrique de l’Ouest, découvertes chez mon grand-père planteur, m’a rendu populaire. » Avec 50 000 F CFA prêtés par un ami suisse, il enregistre une maquette à la radio camerounaise et pose les premières bases de son groupe, le Korongo Jam.

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Le jeune Aliana fabrique des instruments avec des matériaux divers comme des calebasses, un tabouret, un balai.

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La formation séduit André Floret, un coopérant chef d’escadron de gendarmerie, qui décide de l’aider. « Il m’a relancé à plusieurs reprises, glissant des petits mots sous la porte de mon bureau… » Celui qui est aujourd’hui colonel permet à Aliana d’entrer au centre culturel français, rédige quelques demandes de financement. « Aujourd’hui encore, Erik est l’un de mes amis les plus proches », note le militaire.

La carrière internationale d’Aliana débute alors qu’il rencontre le percussionniste François Kokelaere, « un sorcier blanc ». Il participe au festival off de Jazz sous les manguiers, aux Rencontres musicales de Yaoundé, au Marché des arts du spectacle africain (Masa), à Abidjan, et au Festival panafricain de musique (Fespam), à Brazzaville. Il est propulsé révélation du festival Musiques métisses, en 2003, à Angoulême. Le directeur Christian Mousset s’en souvient : « Sa musique était très différente de ce qu’on entendait là-bas à l’époque. Un univers personnel et poétique… »

Après une première tournée aux États-Unis, au cours de laquelle certains musiciens immigrent illégalement, il s’installe en 2006 entre Paris et Toulouse. « Il a fallu tout reconstruire, tout recommencer. » Autour d’un gombo (une soupe aux tomates, oignons, riz et poisson fumé), il retrouve ses aînés camerounais, le guitariste Dekas Abouna et la chanteuse Sally Nyolo. Le bassiste « Pickett » rejoint bientôt son groupe. En 2008, Aliana participe comme conteur et chanteur à la pièce L’Enfant pirogue et l’Homme crocodile, dont la première est donnée aux Arènes de l’Agora d’Évry, en banlieue parisienne, aux côtés de Manu Dibango. Et intègre sur scène le quartette de jazz Soleil vert, avec lequel il se produit pendant quatre ans. En 2011, il rejoint le label Buda Musique, bel écrin pour ses deux derniers albums. Gilles Fruchaux, son directeur, est devenu un ami. Il évoque avec enthousiasme « son talent vocal, la sincérité de son propos, sa générosité sur scène et sa belle relation aux enfants »… Erik Aliana est aussi un père discret, qui aime siroter une Guinness avant de monter sur scène.

Extraits des chansons de Just my Land (2013)

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