L’Afrique post-Covid : des systèmes de santé encore à bâtir
Les ministres de la Santé du Sénégal et de la RDC appellent à des investissements financiers plus importants dans l’industrie du vaccin et du médicament, et à une action concertée entre États membres de l’Union africaine.
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Dr Jean-Jacques Mbungani
Ministre de la Santé, République démocratique du Congo
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et Abdoulaye Diouf Sarr
Ministre de la Santé et de l’Action sociale, République du Sénégal
Publié le 22 avril 2022 Lecture : 5 minutes.
Au décours de la transition entre la RDC et le Sénégal à la présidence de l’Union africaine (UA), d’importants efforts restent encore à faire pour assurer la stabilité et la résilience du secteur de la santé de notre continent. Il est estimé que 100 milliards de dollars seront nécessaires pour la campagne de vaccination contre la pandémie actuelle. C’est une question de financements mais aussi de volonté concertée. Il est impératif que nous assurions une allocation adéquate des financements et des interventions, mais aussi une continuité entre les différentes présidences à l’UA dans les politiques de santé menées à travers le continent.
Certes, à court terme, l’augmentation progressive des volumes de vaccins contre le Covid-19 livrés en Afrique et les fonds débloqués en parallèle par certains pays – notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, l’Allemagne, la France et la Chine –, permettront de pallier l’urgence et d’éviter que la situation n’échappe à tout contrôle. Nous saluons aussi les engagements de l’Union européenne (UE) visant à revoir à la hausse les financements des infrastructures dans le domaine de la santé.
Vastes campagnes de vaccination
Les gouvernements africains doivent maintenant se focaliser sur la meilleure utilisation de ces fonds et sur les stratégies à mettre en place afin de bâtir des systèmes de santé résilients pour faire face à la crise actuelle, aux crises futures et mener vers « l’Afrique de la santé que nous voulons ». Une Afrique qui permet à toutes et tous, à travers la couverture sanitaire universelle, d’avoir accès à des services de santé de qualité qui ne soient pas un fardeau financier. Sans systèmes de santé forts, il ne nous sera pas possible d’organiser une riposte efficace qui inclut toutes nos populations et en particulier les femmes, et groupes vulnérables.
Un retour à une « vie normale » aurait été grandement accéléré si l’on avait pu vacciner et atteindre les objectifs fixés par l’OMS
Pour atteindre nos objectifs, nous devrons agir sur le court et moyen terme, et coordonner nos stratégies sur le long terme. Au regard de la situation actuelle, nous devons, dans les plus brefs délais, nous efforcer de mener de vastes campagnes de vaccination contre le Covid-19 et rattraper le retard pris sur les vaccinations de routine à cause de la crise actuelle. Pour ce faire, il nous faudra faciliter l’accès aux vaccins, combattre l’hésitation vaccinale, et sensibiliser le public sur la réalité de la maladie, sur son impact sur la vie de tous les jours et sur les bénéfices de la vaccination. Un retour à une « vie normale » aurait été grandement accéléré si l’on avait pu vacciner et atteindre les objectifs fixés par l’OMS (40 % de la population du continent complètement vaccinée avant la fin de l’année 2021). Mais un retour à « la vie normale » n’est pas suffisant.
Une situation précaire bien avant la pandémie
Nous savons tous que même avant la pandémie du Covid-19 de nombreux pays africains n’étaient déjà pas en mesure de fournir des services de santé de base à leurs populations. Tout en s’assurant que de plus en plus d’enfants aient accès à la vaccination de routine, nos systèmes de santé devaient déjà assurer une réponse à de nombreuses maladies telles que la rougeole, le paludisme, ainsi que l’Ebola. La crise du Covid-19 n’a fait qu’aggraver une situation déjà précaire.
Il faut impérativement réaliser des transferts de technologies et la levée des brevets sur les vaccins est indispensable pour enclencher ce mécanisme
Au niveau du continent, nous devons gérer nos investissements pour, d’une part, apporter les vaccins à nos populations et, d’autre part, construire des dispositifs de santé complets et robustes. Pour cela, nous devrons mettre en place plusieurs initiatives allant de l’accélération de l’établissement de l’Agence africaine du médicament (AMA), à des investissements massifs dans les CDC Afrique (Centres africains pour la surveillance et la prévention des maladies) et à la production locale de vaccins. À cette fin, les pays du continent doivent continuer de mettre leurs ressources en commun pour donner à l’AMA les moyens de son ambition, maintenant que le traité a été ratifié par au moins 15 des États membres de l’UA. Il en est de même pour les CDC Afrique.
Il nous faudra aussi investir dans la recherche et le développement et dans des institutions de contrôle épidémiologique sur le continent, afin de profiter à l’avenir d’une force africaine autonome de prévention et de réponse aux épidémies. Pour cela, il faut impérativement réaliser des transferts de technologies et la levée des brevets sur les vaccins est indispensable pour enclencher ce mécanisme. Nous saluons donc les annonces de certains groupes pharmaceutiques ou d’autres partenaires, comme l’UE, qui prévoient d’investir pour que cela devienne une réalité. La situation actuelle nous rappelle l’urgence d’accélérer la mise en œuvre de ces plans.
Renforcer la lutte contre les faux médicaments
Investir dans une industrie vaccinale et de médicaments en Afrique apporterait aussi un double bénéfice : des emplois rémunérateurs pour le continent, mais aussi un renforcement de la lutte contre les faux médicaments, qui aujourd’hui contribuent à la défiance de nos populations envers le système médical. Une capacité accrue de faire face aux urgences contribuera à augmenter la confiance des populations dans les systèmes de santé et à faire baisser significativement la réticence vaccinale. Il est également important que ces investissements encouragent plus de femmes à se lancer dans la recherche, et qu’elles soient plus souvent nommées à la tête de nos institutions de santé et de recherche.
Pour atteindre ces objectifs, des financements importants doivent être apportés. Certains pays, comme la France et d’autres nations, ont déjà annoncé leur intention de consacrer une part des fonds qu’ils perçoivent du FMI pour aider l’Afrique à lutter contre la pandémie. D’autres sources, comme les prêts concessionnels, les effacements de dettes ou les dons, représentent également des instruments utilisables. Nous appelons donc les membres du comité d’aide au développement de l’OCDE à augmenter significativement leur aide au développement à destination de l’Afrique, et à tenir leur engagement d’abonder 0,7 % de leur PIB – ainsi qu’il en a été décidé dans l’Agenda 2030 du développement durable –, et réitéré en 2015 dans le programme d’action d’Addis-Abeba.
Ce n’est qu’avec cette action concertée et inscrite dans la durée que les pays africains pourront réaliser cette Afrique que nous voulons : une Afrique qui assure la santé de ses populations, une Afrique prête à agir face aux futures crises sanitaires et surtout une Afrique qui prend en main sa destinée aujourd’hui et pour demain.
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