Libye : Ali Zeidan, chronique d’une chute annoncée

Soumis à d’intenses pressions depuis plusieurs mois, le Premier ministre Ali Zeidan, pris en tenaille entre les fédéralistes de Cyrénaïque et le Parlement, n’a cette fois pas réussi à sauver sa tête.

Ali Zeidan, le 10 mars, à la veille de sa destitution, à Tripoli. © Ismaïl Zetoun/Reuters

Ali Zeidan, le 10 mars, à la veille de sa destitution, à Tripoli. © Ismaïl Zetoun/Reuters

Publié le 25 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Un Premier ministre renversé par le Parlement, des combats à l’arme lourde entre groupes armés fédéralistes et milices de Misrata à l’ouest de la ville côtière de Syrte, un tanker battant pavillon nord-coréen chargé de quelque 234 000 barils de pétrole illégalement exportés… La folle après-midi du 11 mars aura illustré à l’extrême la dérive de la transition démocratique libyenne. À la tête d’un gouvernement sans ministre de l’Intérieur, Ali Zeidan paie son impuissance face au blocage, depuis août 2013, des terminaux pétroliers de l’Est par le chef de milice fédéraliste Ibrahim el-Jadhran. Une situation d’autant plus préoccupante qu’elle affecte gravement les exportations de pétrole – vitales pour l’économie nationale – passées de 1,4 million de barils par jour au début de 2013 à seulement 110 000 aujourd’hui.

L’ambitieux Jadhran est désormais à la tête d’un micro-État, avec un gouvernement de Cyrénaïque autoproclamé et une "armée" très bien équipée. En quelques mois, il a réussi à gagner le soutien de tribus influentes, de grandes familles, de fédéralistes, de monarchistes, d’ex-Kadhafistes, mais aussi de militaires, comme l’ex-commandant de l’armée de l’air Abd-Rabbo al-Barassi, nommé chef du gouvernement, ou encore le général Khalifa Haftar, rallié après son pseudo-coup d’État de février. Un improbable attelage qui prouve que Jadhran ne filtre plus ses soutiens. S’il n’a pas donné suite aux sollicitations de Saadi Kadhafi, livré récemment à la Libye par le Niger, il est suivi de très près par les grandes figures de l’ex-régime. Soucieux de se donner une stature politique, l’homme fort de Benghazi répète à l’envi qu’il veut établir une "Libye unie mais décentralisée", renouvelant sa promesse d’exploiter le pétrole et d’en répartir équitablement les revenus entre les trois grandes régions. Et de passer à l’acte pour la première fois en expédiant un tanker chargé de pétrole qu’il entend écouler à un prix largement en deçà des cours officiels.

Depuis son bref enlèvement en octobre 2013, Zeidan était sous la protection des milices de Zintan et bénéficiait du soutien des Saoudiens et des Émiratis.

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Zeidan a également fait les frais de son isolement croissant. Depuis septembre 2013, le Congrès général national (CGN, Parlement), dominé par les Frères musulmans, avec l’appui des puissantes milices de Misrata et de groupes armés financés par la Turquie et le Qatar, a multiplié ultimatums et votes de défiance à son encontre. Depuis son bref enlèvement en octobre 2013, Zeidan, devenu la cible commune des Frères et de Jadhran, était sous la protection des milices de Zintan, à l’ouest de Tripoli, et bénéficiait du soutien des Saoudiens et des Émiratis, décidés à contrer les ambitions politiques et pétrolières des islamistes.

Le "vol du peuple libyen"

Mais dans l’entourage de Zeidan, personne n’avait prévu l’arrivée à Es Sider, le plus important port pétrolier du pays, sous contrôle de Jadhran, du tanker Morning Glory. L’armée ayant refusé d’obéir à l’ordre de l’ex-Premier ministre de donner l’assaut à un navire aux cales chargées de plus de 30 millions de dollars (21,6 millions d’euros) de pétrole, les milices de Misrata se sont mobilisées et ont gagné Syrte par terre – et par mer sur des bateaux de pêche munis de canons et de mitraillettes. Mais le Morning Glory est finalement parvenu à rejoindre les eaux internationales.

De quoi provoquer l’ire des députés et de Washington, qui a dénoncé ce "vol du peuple libyen", dépossédé d’un or noir propriété de la société pétrolière d’État associée… à trois entreprises américaines. Le sort de Zeidan était scellé. Le CGN obtient dans la journée sa tête par 124 voix sur 194. Malgré l’ouverture par le procureur d’une enquête préliminaire visant Zeidan, soupçonné d’avoir tenté d’acheter les fédéralistes, ce dernier a réussi à s’envoler pour l’Allemagne, via Malte. C’est dans ce contexte chaotique que le ministre de la Défense, Abdallah el-Thenni, un militaire de carrière, a été nommé Premier ministre par le CGN pour une durée de quinze jours. Leur cible commune écartée, Jadhran et le Parlement trouveront-ils un terrain d’entente, notamment sur la question de l’exploitation de l’or noir ? Rien n’est moins sûr, d’autant que le CGN a donné, dès le 12 mars, deux semaines à Jadhran pour débloquer les terminaux pétroliers.

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