Burkina Faso : Sankara, es-tu là ?

Est-ce bien l’ancien président Thomas Sankara, assassiné en 1987, qui a été inhumé à Ouagadougou ? Sa famille a saisi la justice. Et attend toujours les réponses.

Thomas Sankara, le leader du Conseil national de la révolution. © Witt/SIPA-PRESS / Archives Jeune Afrique

Thomas Sankara, le leader du Conseil national de la révolution. © Witt/SIPA-PRESS / Archives Jeune Afrique

Clarisse

Publié le 20 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Prendre son mal en patience pendant que les juges tergiversent. C’est la seule option offerte à la famille de Thomas Sankara, qui a vu la justice burkinabè repousser au 2 avril sa décision (attendue le 5 mars) sur l’identification de la dépouille de l’ancien président assassiné le 15 octobre 1987. Motif invoqué : des pièces complémentaires ont été demandées aux requérants. Des documents qui, selon Me Ambroise Farama, dernier arrivé au sein du groupe d’avocats représentant la famille, n’ont aucun lien avec le fond du dossier : "A-t-on besoin, pour savoir qui repose dans cette tombe, du rapport [du Comité des droits de l’homme] des Nations unies [sur l’affaire Sankara] ? Si ces documents étaient si importants, le juge les aurait exigés avant la mise en délibéré. Il y a une volonté manifeste d’empêcher la justice de suivre son cours."

Entendre des responsables des services secrets français

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Un point de vue que partage Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara, pour qui le mystère entourant la mort du leader du Conseil national de la révolution n’a que trop duré. Jusqu’ici, toutes les procédures judiciaires engagées par la famille ont été rejetées d’une manière ou d’une autre. L’enjeu : l’ouverture d’une enquête qui lèverait le voile sur l’existence éventuelle d’un complot international, plusieurs témoins ayant évoqué l’implication de la CIA et de la France. Une stratégie a été élaborée en concertation avec le réseau Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique : la famille et les avocats étudient l’ensemble des procédures judiciaires à mener, y compris en France, le réseau international se chargeant de médiatiser le sujet.

Pour médiatiser le sujet, certains préconisent l’ouverture d’une enquête parlementaire dans l’Hexagone.

À cette fin, certains préconisent l’ouverture d’une enquête parlementaire dans l’Hexagone. Une telle initiative permettrait, selon ses partisans, d’entendre des personnalités qui étaient alors au pouvoir, y compris des responsables des services secrets français.

>> Lire aussi : la veuve de Sankara en appelle à François Hollande

Deux précédentes tentatives en ce sens sont restées lettre morte. Bruno Jaffré espère que les députés, emmenés par les élus du Front de gauche et d’Europe Écologie-Les Verts, pourront en proposer une troisième à l’Assemblée courant juin. Des contacts ont été pris en ce sens, peu fructueux pour l’heure : le seul député socialiste avec qui Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique a eu un échange s’est déclaré opposé à une telle enquête. Il a en revanche promis l’ouverture des archives diplomatiques de la période précédant l’assassinat de Thomas Sankara. Mais Bruno Jaffré, qui y a eu accès pour préparer la biographie de l’ancien chef d’État, les juge sans grand intérêt.

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Pourtant, l’auteur ne désespère pas. Pour lui, les magistrats burkinabè pourront difficilement rejeter la demande de la famille, notamment du fait du contexte politique actuel marqué par la contestation. Mais cette possibilité d’ouvrir une enquête, si elle se concrétisait, risquerait très vite de devenir une épineuse question de politique intérieure. Car la classe politique n’a pas forcément intérêt à voir le mystère de la mort de Sankara élucidé, du côté du pouvoir comme de l’opposition. D’autant que celle-ci compte désormais en son sein Salif Diallo, ex-bras droit de Blaise Compaoré démissionnaire du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir). Celui-là même qui était présent au domicile de l’actuel chef de l’État le jour de l’assassinat de Sankara. Pour Bruno Jaffré, il en sait beaucoup, mais parlera-t-il ?

Un drame en plusieurs actes

1987 Assassinat de Thomas Sankara

1997 Dépôt à Ouagadougou d’une plainte contre X pour assassinat. La cour se déclare incompétente, les faits ayant été perpétrés dans une enceinte militaire

2006 Le Comité des droits de l’homme des Nations unies recommande à l’État de reconnaître le lieu d’inhumation et de rectifier l’acte de décès (qui mentionne une mort naturelle)

2011 puis 2012 Propositions de création d’une commission d’enquête parlementaire en France

2014 Examen par la justice burkinabè de la demande d’exhumation du corps de Sankara pour permettre une reconnaissance officielle de sa sépulture au cimetière de Dagnoen, à Ouagadougou

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