Manuel Sérifo Nhamadjo : « La Guinée-Bissau est asphyxiée sur le plan budgétaire »

Manuel Sérifo Nhamadjo a été nommé président de transition après le putsch de 2012 en Guinée-Bissau. Sa mission ? Veiller au bon déroulement des élections générales du 13 avril. Sans quoi l’aide internationale ne reviendra pas.

Manuel Sérifo Nhamadjo à Bissau, le 5 mars. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Manuel Sérifo Nhamadjo à Bissau, le 5 mars. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

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Publié le 25 mars 2014 Lecture : 6 minutes.

Arrivé troisième au premier tour de la présidentielle de mars 2012, Manuel Sérifo Nhamadjo ne s’attendait sans doute pas à occuper le fauteuil de chef de l’État deux mois plus tard. Mais au lendemain du putsch du 12 avril, qui a vu les militaires bissau-guinéens renverser les autorités civiles et interrompre une élection dont leur "bête noire", Carlos Gomes Junior, semblait devoir sortir vainqueur – le candidat du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) avait survolé le premier tour avec 48,97 % des voix -, l’ancien président de l’Assemblée nationale populaire a été sollicité pour assurer l’intérim du pouvoir. Une parenthèse censée durer douze mois. Pourtant, les autorités de transition souffleront bientôt leur deuxième bougie. Dans un pays exsangue qui ne parvient plus à payer ses fonctionnaires et où divers trafics prolifèrent dans un vide institutionnel aggravé par le coup d’État, assurer la bonne tenue de l’élection présidentielle prévue le 13 avril est pour Nhamadjo un impératif, face à une communauté internationale à bout de patience.

Jeune Afrique : Vous venez d’annoncer que vous ne comptiez pas vous présenter à la présidentielle, contrairement à ce que prétendait une rumeur insistante…

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Manuel Sérifo Nhamadjo : Cette rumeur était infondée. Il est vrai que des voix se sont fait entendre, dans la population ou dans certains partis politiques, en faveur d’un tel scénario. Mais en tant que garant de la Constitution, je ne pouvais répondre favorablement à cette sollicitation. Le pacte de transition et l’accord politique entre les partis qui régissent la transition en Guinée-Bissau l’excluaient formellement. En 2012, c’est en connaissance de cause que j’ai choisi d’assumer cette responsabilité de président de transition. La date du scrutin, fixée au 16 mars après un premier report, a une nouvelle fois été décalée, fin février, au 13 avril.

Ce délai d’un mois sera-t-il suffisant ?

La période de douze mois initialement fixée n’a pas permis aux autorités de transition de remplir le cahier des charges qui leur avait été assigné avant que l’élection puisse se tenir, d’où le report du scrutin du 24 novembre 2013 au 16 mars 2014. Puis le manque de kits électoraux et de moyens humains a ralenti le recensement biométrique, qui devait durer trente jours. Il n’a été clôturé qu’en février. Tous les acteurs politiques sont donc tombés d’accord sur le fait que la date du 16 mars n’était pas tenable. Un compromis s’est dégagé en faveur du 13 avril.

Au lendemain de ce deuxième report, le Conseil de sécurité de l’ONU a menacé de sanctions les "civils et militaires" qui s’opposeraient au retour à l’ordre constitutionnel. Vous êtes-vous senti visé ?

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Je partage la préoccupation de la communauté internationale. Si des institutions ou des personnalités bissau-guinéennes font obstacle à la tenue du scrutin le 13 avril, nous les identifierons et nous saurons en tirer les conséquences. Depuis l’ouverture démocratique du pays, au début des années 1990, aucun président de la République ni aucun Premier ministre n’a pu aller au terme de son mandat ! Cette date butoir du 13 avril doit absolument être respectée par l’ensemble des acteurs.

>> Lire aussi : Guinée-Bissau, l’ONU appelle à organiser les élections sans délai

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Chronologie : quarante années d’instabilité

1973 Proclamation de l’indépendance, reconnue en 1974 par le Portugal

1980 Coup d’État de João Bernardo Vieira (dit Nino) contre Luis Cabral, demi-frère du héros de l’indépendance Amílcar Cabral

1994 Premières élections multipartites

1998 Début de la guerre civile, issue d’une rivalité entre deux factions de l’armée.

En mai 1999, le rebelle Ansumane Mané renverse Nino Vieira

2003 Kumba Yala, président de la République depuis 2000, est renversé par un militaire

2009 Nino Vieira, élu président en 2005, est assassiné

2012 Putsch à la veille du second tour de la présidentielle. Arrivé largement en tête du premier tour, Carlos Gomes Júnior, candidat du PAIGC, est brièvement emprisonné avant de devoir s’exiler..

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées durant cette période de transition ?

Lorsque j’ai accepté d’occuper cette fonction, j’étais conscient que je me trouvais au milieu d’une arène politique où les incompréhensions étaient légion. Il n’y avait pas moins de cinq groupes aux vues antagonistes. D’un côté, le PAIGC était convaincu que le putsch avait comme principale motivation de l’écarter du pouvoir. De l’autre, différents partis, plus ou moins organisés, y ont vu une occasion de parvenir au pouvoir. Un troisième camp était constitué par la société civile, résolument hostile au putsch. Il y avait également les forces armées, à l’origine du coup d’État. Et enfin la communauté internationale. Il a fallu d’innombrables tractations avant de faire converger les points de vue. J’ai fait office de pompier. Le pays était au seuil d’une guerre civile. J’ai même envisagé de renoncer à la fonction qui m’avait été confiée. Mais à force de discussions, nous sommes parvenus à un consensus sur la formation d’un gouvernement inclusif où tous les partis ont accepté de siéger pendant la période de transition. Depuis avril 2012, la quasi-totalité des partenaires de votre pays ont interrompu leur aide.

L’État est-il encore en mesure de faire face à ses obligations ?

La communauté internationale éprouve une certaine lassitude face aux crises à répétition que traverse la Guinée-Bissau. Le coup d’État du 12 avril 2012 est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Nous avons toujours été dépendants de l’appui budgétaire international, nous avons donc ressenti de manière aiguë les sanctions adoptées contre notre pays au lendemain du putsch. Nos ressources internes ne nous permettent pas de répondre à nos propres besoins. Qu’il s’agisse de la fourniture d’électricité, de l’éducation, des salaires des fonctionnaires… nous sommes asphyxiés. C’est pourquoi il est capital de revenir au plus vite à la voie constitutionnelle.

Ce n’est pas seulement l’armée qui doit être réformée, c’est l’ensemble de l’appareil d’État.

L’armée, issue de la guerre de libération, exerce une influence décisive dans la vie politique. Pensez-vous qu’il soit possible de la réformer sans provoquer une réaction violente de sa part ?

Ce n’est pas seulement l’armée qui doit être réformée, c’est l’ensemble de l’appareil d’État. Notre justice est contestée par la population, notre système éducatif est précaire, nos concitoyens n’ont pas accès aux services de santé, nos infrastructures sont quasi inexistantes, même dans la capitale… En Guinée-Bissau, l’État est presque le seul employeur, ce qui s’est traduit par de nombreux dévoiements. Là où un seul fonctionnaire est nécessaire, on en a recruté quatre. Quant à nos forces armées, elles ne disposent pas des moyens qui leur permettraient d’exercer leur mission dignement. Une réforme est certes nécessaire, mais elle doit résulter d’un dialogue entre les principaux acteurs du pays. Beaucoup de militaires sont désireux de partir à la retraite mais ils n’ont pas la garantie qu’ils pourront subvenir à leurs besoins. Sans une politique sociale permettant à un fonctionnaire ou à un militaire de pouvoir vivre décemment en cas de départ à la retraite, le problème persistera. C’est tout notre appareil d’État qui doit être restructuré.

"Jomav" passe de justesse

Après avoir désigné José Mario Vaz pour le représenter à la présidentielle du 13 avril, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), principale force politique du pays, a eu la désagréable surprise de voir le Parquet général demander à la Cour suprême d’invalider cette candidature. "Jomav" est en effet soupçonné d’avoir trempé dans le détournement d’une aide angolaise de 9,5 millions d’euros lorsqu’il était ministre des Finances. Un cadre du PAIGC a aussitôt dénoncé une "manoeuvre politique", la loi électorale ne prévoyant l’invalidation d’un candidat que s’il a été condamné définitivement. En avril 2012, le candidat du PAIGC, Carlos Gomes Junior, favori de la présidentielle, avait déjà été écarté par un putsch. Le 12 mars, la Cour suprême a finalement entériné la candidature de "Jomav" ; elle devait encore se prononcer sur les vingt autres candidatures avant le 17 mars. Une ultime étape décisive avant un scrutin à hauts risques, où le moindre grain de sable pourrait venir gripper la machine.

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Propos recueillis à Bissau par Mehdi Ba

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