Gabon : la présidentielle de 2016, c’est déjà demain

La page du scrutin local de décembre 2013 à peine tournée, commencent les grandes manoeuvres en vue de la présidentielle. Dissidences, alliances, jeu de chaises musicales dans les états-majors : majorité et opposition fourbissent leurs armes.

Ali bongo Ondimba en 2010. © Sia Kambou/AFP

Ali bongo Ondimba en 2010. © Sia Kambou/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 24 mars 2014 Lecture : 8 minutes.

"Le temps des batailles électorales est provisoirement terminé", a déclaré Daniel Ona Ondo, le nouveau Premier ministre, lors de son discours de politique générale du 10 mars. La trêve sera courte. Certes, le scrutin local de décembre 2013, marqué par le retour de l’opposition dans le jeu après son boycott des législatives de 2011, s’est déroulé de manière relativement satisfaisante. Mais un mois après la nomination, le 24 janvier, du Premier ministre, les démissions de deux anciens barons du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), Jean Ping puis Jacques Adiahénot, ont résonné comme un coup de semonce pour la formation du chef de l’État. Et, comme un écho aux défections enregistrées lors de la dernière présidentielle, en 2009, elles semblent préluder aux manoeuvres des troupes politiques gabonaises pour la grande bataille de 2016, dans deux ans. Au sein de l’opposition comme de la majorité, les états-majors sont convoqués, les corps de garde bruissent de rumeurs de désertions ou d’alliances prochaines, la mobilisation générale des bases militantes est amorcée.

Pour le PDG d’Ali Bongo Ondimba (ABO), une victoire à la prochaine présidentielle permettrait au chef de l’État de poursuivre son Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), qui doit amener le pays à conquérir ce statut à l’horizon 2025. Mais 2016 pourrait aussi être l’occasion d’une revanche pour les militants de l’Union nationale (UN), la formation rivale du PDG, dissoute il y a trois ans après que son leader, André Mba Obame, contestant la victoire d’ABO à la présidentielle de 2009, avait prêté serment comme nouveau chef de l’État et constitué son "gouvernement", avant de se réfugier dans les locaux du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) à Libreville.

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Quelles leçons les deux camps peuvent-ils tirer du scrutin local de décembre 2013, où l’emploi de la biométrie, encore très perfectible de l’aveu général, a permis de prendre le pouls du corps électoral de manière relativement fiable ? Pour Faustin Boukoubi, secrétaire général du PDG, "nous ne pouvons qu’être satisfaits de l’éclatante victoire du parti dans toutes les provinces du Gabon, y compris dans les localités que nous n’avons jamais contrôlées". Un triomphe relativisé par Dieudonné Minlama, le président de l’Observatoire national de la démocratie, une ONG revendiquant sa neutralité. "Le PDG confirme sa domination sur toutes les autres formations prises individuellement, précise-t-il, mais si l’on considère qu’il est parti en campagne seul contre tous et que les autres candidats ont fait leur campagne contre lui seul, on constate alors le recul du parti du chef de l’État par rapport à la présidentielle de 2009. Vainqueur dans trois capitales provinciales, il est défait dans six autres et, sur ces neuf localités, le PDG a obtenu 36,2 % des suffrages, contre 63,8 % à ceux qui lui étaient opposés."

Divisés par des ambitions personnelles concurrentes

Très fragmentée, voire déchirée par des ambitions personnelles concurrentes, l’opposition n’est jamais parvenue à présenter un front uni face à la Majorité républicaine pour l’émergence, coalition qui regroupe une dizaine de petits partis autour du PDG. "Mathématiquement majoritaire mais minée par des guerres de tranchées, l’opposition risque d’être à nouveau défaite en 2016 par un PDG pourtant sur le recul si elle ne parvient pas à présenter rapidement une alternative crédible", conclut Minlama.

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Côté présidentiel, si l’on assure que la victoire de décembre augure du meilleur, Faustin Boukoubi concède que "des réglages internes méritent encore d’être opérés" et que le nouveau gouvernement formé fin janvier "va poursuivre l’oeuvre entamée, tout en procédant aux réajustements et améliorations nécessaires". Mais les défis cruciaux auxquels le président Bongo Ondimba va devoir répondre dans les deux années à venir nécessiteront plus que de simples réglages et réajustements. Grève des enseignants en novembre 2013, des douaniers en février 2014, grogne des fonctionnaires après la réforme de leur mode de rémunération, manifestations d’étudiants réclamant leurs bourses non perçues les 10 et 11 mars, exaspération générale face aux coupures récurrentes d’eau et d’électricité, aux carences des systèmes de santé et d’éducation : le mécontentement, qui ne date pas d’aujourd’hui, ne cesse d’enfler.

Stratégie d’investissement humain du Gabon

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Démissionnaire du PDG en février, Ping déclare qu’après "longue et mûre réflexion sur la situation réelle [du] pays […] il est clair qu'[il n’a] plus rien à voir, absolument plus rien à voir avec les autorités en place". Marchant dans ses pas, Adiahénot fustige ceux de ses anciens camarades qui "bradent le pays et la démocratie". Et les opposants à Ali Bongo Ondimba les plus remontés recourent sans hésiter au lexique des révolutions arabes. Pour Joseph John-Nambo, l’un des chefs de file des "souverainistes", le courant radical de l’Union nationale, dissoute, ABO est "le raïs", porté au pouvoir par un "coup d’État" et par un parti gagné par la "kleptomanie électorale". "Ce monsieur règne beaucoup plus par la terreur que par la recherche d’une quelconque adhésion à sa personne ou à sa politique", vitupère le militant de l’UN.

Au Palais du bord de mer, le président Bongo Ondimba semble toutefois avoir pris la mesure du danger. Le 16 août 2013, le discours qu’il prononce à l’occasion de la fête nationale a des accents particulièrement sociaux. Il y reconnaît les lenteurs, pesanteurs et erreurs de gestion de l’équipe gouvernementale dirigée alors par Raymond Ndong Sima : "Ces ratés ne méritent aucune excuse." Trois mois plus tard, il confie à la fondation de son épouse, Sylvia, la mission d’établir, avec le support méthodologique du cabinet international McKinsey, une Stratégie d’investissement humain du Gabon, remise courant janvier 2014 et présentée le 18 février. Au nouveau gouvernement formé par le professeur d’économie Daniel Ona Ondo revient la tâche de mettre en oeuvre les orientations préconisées par le rapport pour lutter contre la pauvreté, qui touche 30 % des foyers gabonais.

Autre mouvement tactique du chef de l’État en vue de la grande bataille : remettre de l’ordre dans ses propres rangs.

Sceptiques, les opposants voient dans la démission du précédent gouvernement un moyen pour le pouvoir de se refaire une virginité après les ablutions électorales de septembre. Mais pour le pilote de l’Émergence, il s’agit d’une nouvelle étape dans la réalisation de son plan stratégique. Chargées de poser les bases d’un développement durable, les deux équipes précédentes se sont attelées à mettre en branle les projets structurants à même d’assurer à long terme l’emploi et la croissance. Réseaux routiers, grands programmes de logements, zones économiques de Nkok et de Mandji, amélioration de l’environnement des affaires : après quelques retards, ces grands chantiers sont maintenant bien avancés, et priorité peut désormais être donnée à la résolution des problèmes immédiats des Gabonais. Minlama, le président de l’Observatoire national de la démocratie, salue l’intention : "Le président et son parti doivent redynamiser leur stratégie et apporter une nouvelle offre politique et sociale s’ils veulent gagner une vraie légitimité et s’assurer la victoire en 2016."

Autre mouvement tactique du chef de l’État en vue de la grande bataille : remettre de l’ordre dans ses propres rangs. Le PDG a ainsi vu l’arrivée de nombreux jeunes dans ses instances dirigeantes à son congrès ordinaire d’avril 2013, et le courant des Rénovateurs, fondé par ABO sous la présidence de son père, Omar, a fait un retour en force dans le nouveau gouvernement. Une régénération qui a inévitablement coûté leur position à quelques caciques du parti, comme Paul Toungui ou Idriss Ngari, relégués dans des organes consultatifs. Pour Faustin Boukoubi, cette mise à la retraite de la vieille garde de l’ère Omar Bongo Ondimba pourrait expliquer la désertion de certains : "Digèrent-ils mal leur remplacement aux avant-postes par d’autres cadres plus jeunes ?" Le secrétaire général du parti évoque également le poids d’ambitions personnelles contraires à l’intérêt commun, "la nostalgie d’un État de non-droit sur lequel ils ont régné". Sous le couvert de l’anonymat, une autre figure du parti présidentiel, membre des Rénovateurs, s’amuse : "C’est la mode ici. À chaque élection qui s’annonce, certains choisissent de tourner casaque." Il rappelle qu’Adiahénot, sans rôle actif depuis plusieurs années, avait pour la première fois démissionné "définitivement" du PDG en 1993. Et suggère, non sans une pointe de perfidie, de s’intéresser aux liens de Ping – dont le père est chinois – avec le minier Comibel et le pétrolier Addax, puissantes firmes de l’empire du Milieu éconduites sous la présidence d’ABO. Relance de l’action gouvernementale sur le front social, redéploiement des troupes politiques : à deux ans de la présidentielle, Boukoubi est serein, "le PDG demeure le parti le plus populaire au Gabon".


Jean Ping a quitté la formation présidentielle en février : "Je n’ai plus rien à voir,
absolument plus rien à voir avec les autorités en place." © Benedicte Desrus / Reuters

"Des psychodrames, mais pour quel programme ?"

Un avis que ne partagent évidemment pas ses adversaires. Joseph John-Nambo, de l’UN, avance ainsi que si sa formation n’avait pas été dissoute en 2011, elle "serait sortie largement victorieuse de la compétition électorale de décembre 2013". Mais l’éclatement de l’opposition reste sa plus grande faiblesse. En effet, la présidentielle gabonaise se joue en un seul tour et, face à une multitude de candidats, Ali Bongo Ondimba a toutes les chances de réunir davantage de suffrages que ses concurrents, qui ne communient qu’autour du slogan "PDG dehors". Enfin, s’ils constituent une force de dénonciation très virulente, les partis d’opposition ne brillent pas par leurs capacités de proposition. Les pédégistes ont beau jeu de s’interroger : "Tous ces psychodrames, mais pour quels programmes ?" Réponse évasive de John-Nambo : "Le programme proposé par l’UN sera décliné en temps opportun."

Toutefois, ces défaillances pourraient bientôt être palliées, à en croire Minlama : "Des tractations discrètes sont engagées entre plusieurs formations pour constituer un grand parti d’opposition qui pourrait voir le jour en 2015 et dont le candidat légitime pourrait être André Mba Obame, s’il recouvre la santé [il est actuellement très affaibli par la maladie]." Sur ce dernier point, John-Nambo est confiant : "Il poursuit ses soins quelque part loin du Gabon et les choses se déroulent parfaitement. Que ceux qui ont voulu sa mort se rassurent, André Mba Obame aura une couronne pour chacun d’eux." Le duel de 2009 entre frères ennemis se reproduira-t-il en 2016 ? D’autres protagonistes pourront-ils émerger ? La bataille ne fait que commencer.

Biométrie : peut mieux faire

L’état civil biométrique, c’est l’enregistrement numérisé et sécurisé (via photo et empreintes digitales) de l’ensemble des informations concernant chaque citoyen sous un numéro unique qui lui servira pour toutes ses démarches administratives et civiques, dont le vote. Annoncé pour 2007, il n’a finalement été expérimenté qu’aux élections locales de décembre 2013. "La biométrie a été introduite avec succès, se félicite le secrétaire général du parti présidentiel, mais comme toute oeuvre humaine elle reste perfectible." L’opposant Joseph John-Nambo la qualifie pour sa part de "moins mauvais des systèmes", ajoutant : "Encore faudrait-il qu’il soit franchement mis en place…" Quant à l’Observatoire national de la démocratie, il souligne que l’absence d’authentification et d’interconnexion numérique dans les bureaux de vote permet encore la fraude. Au ministère de l’Intérieur, on assure avoir les moyens d’enregistrer la quasi-totalité des électeurs d’ici à 2016 et que le système sera alors opérationnel et sans faille.

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