RDC : et si Kabila partait en 2016 ?
Il pourrait créer la surprise en quittant le pouvoir en 2016. À moins qu’un report « technique » de la présidentielle lui permette de jouer les prolongations. Entre ces deux hypothèses, rien ne démontre que le chef de l’État a déjà pris sa décision.
"Le président Kabila respectera strictement ce qui est écrit dans la Constitution. Pas plus de deux mandats successifs. En 2016, il y aura un passage de flambeau civilisé entre un président qui sort et un président qui entre"… Cette déclaration de Lambert Mendé, porte-parole du gouvernement congolais, le 9 mars sur RFI et TV5 Monde, n’en finit pas de faire jaser. D’abord, il y a ce mot "civilisé". Il est vrai que, depuis l’indépendance, le Congo – comme la Russie du temps d’Ivan le Terrible – n’a jamais connu de transition pacifique. De Patrice Lumumba à Joseph Kabila, en passant par Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, le pouvoir s’est toujours transmis dans la violence et le crime. Selon la Constitution, Joseph Kabila ne peut pas se présenter à la prochaine présidentielle et doit céder la place au plus tard le 19 décembre 2016. En avril 2000, les Sénégalais ont écarquillé les yeux en voyant Abdou Diouf faire l’accolade à son successeur, Abdoulaye Wade, lors de la cérémonie la plus civilisée au monde. Aujourd’hui, les Congolais se prennent à rêver de la même chose. Mais beaucoup ont du mal à y croire.
Après 2006 et 2011, Joseph Kabila va-t-il se présenter une troisième fois ? Pour cela, il doit toucher à l’article 220 de la Constitution, qui interdit de modifier "le nombre et la durée" des mandats du chef de l’État. Or cet article est intangible. Il lui faut donc changer de Constitution par référendum. Un acte lourd. "S’il ne trouve pas une porte de sortie, je pense qu’il ira au référendum", pronostique Pierre Jacquemot, ex-ambassadeur de France à Kinshasa et aujourd’hui chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris). "Il est tenté parce qu’il est jeune – 43 ans -, il a pris goût au pouvoir, et l’opposition s’est beaucoup modérée grâce à la distribution de nombreuses rentes." Tout le monde ne partage pas cet avis. "Il est vrai que sa famille et les caciques du clan des Katangais vont tout tenter pour qu’il reste aux affaires. Mais toucher à la Constitution c’est mettre fin au processus démocratique et se couper de la communauté internationale", estime un proche de Léon Kengo wa Dondo, le président du Sénat. "Au contraire, s’il se retire, il aura la sympathie de l’opinion, qui ne cache plus son ras-le-bol à l’égard du contrôle excessif des Katangais sur l’appareil d’État."
"Joseph Kabila a déjà modifié la Constitution"
"Franchement, je ne le vois pas quitter le pouvoir", lance l’opposant Samy Badibanga, le chef du groupe de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, d’Étienne Tshisekedi) à l’Assemblée nationale. "Depuis les concertations nationales d’octobre 2013, il fait du forcing pour élargir sa majorité. Je crains qu’il n’organise un référendum avec le soutien de prétendus opposants." Réplique d’Aubin Minaku, président de l’Assemblée nationale et secrétaire général de la majorité présidentielle : "Le chef de l’État respectera la Constitution. Il partira le jour où il y aura un autre président élu." Oui, mais n’y a-t-il pas des résistances dans son entourage ? "Nous avons encore assez de temps pour que tout le monde comprenne qu’il est un homme de principes."
Au-delà des principes, il y a le rapport des forces. Dans l’opposition, Vital Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), craint l’influence néfaste des "courtisans" autour de Joseph Kabila – des courtisans qu’il connaît bien, puisqu’il a été le directeur de campagne du candidat Kabila en 2006. "Minaku et Mende promettent qu’il partira, c’est bien, dit-il, mais rappelez-vous que Joseph Kabila a déjà modifié la Constitution en 2011 pour supprimer le second tour de la présidentielle. Chat échaudé craint l’eau froide. Et le peuple devra rester en éveil, comme au Sénégal en 2011, quand Dakar s’est soulevé contre la tentative d’Abdoulaye Wade de bricoler la Constitution." Vital Kamerhe, qui se refuse à tout esprit revanchard contre Kabila et qui plaide pour la création d’un véritable statut d’ancien chef d’État au Congo, compte aussi sur la très influente Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui se bat pour le respect de l’article 220 de la Constitution.
À l’étranger aussi, le débat est lancé. Dans la sous-région, le Congolais Denis Sassou Nguesso (DSN) et l’Angolais José Eduardo dos Santos, arrivés tous deux aux affaires en 1979 – avec une parenthèse de cinq ans dans l’opposition pour DSN, entre 1992 et 1997 -, semblent vouloir garder la place, et n’ont sans doute pas intérêt à ce que leur cadet Kabila, qui n’occupe le Palais de la nation que depuis 2001, montre l’exemple de l’alternance au bout de quinze années de pouvoir. Le Rwandais Paul Kagamé et le Burundais Pierre Nkurunziza font peut-être le même calcul. En effet, ils accomplissent tous deux officiellement leur deuxième et dernier mandat, mais pourraient être tentés d’en briguer un troisième. En revanche, l’Américain Barack Obama tient au respect de la loi fondamentale et l’aurait récemment fait savoir à son homologue congolais par l’entremise de Russ Feingold, son envoyé spécial pour la région des Grands Lacs.
Côté européen, tout le monde a en mémoire la poignée de main glaciale Hollande-Kabila lors du sommet de la Francophonie d’octobre 2012 à Kinshasa. Aujourd’hui, les messages passent notamment par Jean-Pascal Labille, le ministre belge de la Coopération au développement – qui a été marié à une Belge d’origine congolaise dont il a eu trois filles. Sans doute les relations Kabila-Labille sont-elles plus cordiales, mais, après la présidentielle de 2011, l’Union européenne n’a pas hésité à déclarer : "En raison de nombreuses irrégularités et fraudes, les résultats ne sont pas crédibles."
"Kabila attend les six derniers mois de son mandat pour se décider"
Joseph Kabila touchera-t-il ou non à la Constitution ? Un troisième scénario est possible : un report "technique" de la présidentielle au-delà de novembre 2016. Compte tenu de la polémique dont le fichier électoral fait l’objet depuis 2011, un recensement administratif de toute la population paraît nécessaire avant le prochain scrutin. "Vu les critiques qui ont été émises en 2011, nous devons sécuriser davantage les prochaines élections", admet Aubin Minaku. Et malgré les mauvaises relations entre le camp présidentiel et l’UDPS, le secrétaire général de la majorité présidentielle n’hésite pas à dire : "Pour une fois, ce recensement est une demande objective de l’opposition radicale." Pourra-t-il se faire avant novembre 2016 ? "Il faudra respecter les délais dans la mesure du possible, répond Minaku, mais s’il y a un cas de force majeure, la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] pourra saisir la Cour constitutionnelle, qui pourra elle-même autoriser un report à une date bien déterminée. L’essentiel est de trouver un consensus pouvoir-opposition qui sauvegarde la stabilité et l’unité du pays." Un consensus avec tout le monde ? "Disons un consensus moins un, si Étienne Tshisekedi continue d’évoluer en marge du cadre républicain", précise le président de l’Assemblée nationale.
Que fera Kabila ? "Je crois qu’il ne s’est pas encore fait une religion et attend les six derniers mois de son mandat pour se décider", parie Pierre Jacquemot. "Vous savez, la première fois qu’il m’a reçu au Palais, il m’a dit : "Mon grand-père a été assassiné, mon père aussi, et je pense que mon destin est relativement précaire"."
L’opposant Vital Kamerhe, avec sa "Caravane de la paix", à Bukavu, le 20 février. © Jean-Baptiste Baderha/AFP
La tentation d’un scénario à la poutine
"Si Joseph Kabila quitte le pouvoir, il sera peut-être tenté de faire le coup de Poutine", souffle l’un de ses proches. En 2008, pour respecter la Constitution, le numéro un russe avait laissé la présidence à Dmitri Medvedev et s’était installé à la primature avec des pouvoirs élargis. Puis, en 2012, il était revenu à la tête de l’État. Pour Joseph Kabila, tout le problème est de trouver un "Medvedev congolais" qui acceptera de s’effacer au bout de cinq ans de présidence. À Kinshasa, on évoque les noms d’Augustin Matata Ponyo, le Premier ministre, d’Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, ou d’Évariste Boshab, son prédécesseur. Dans le "clan des Katangais", on parle de Jean-Claude Masangu, l’ex-gouverneur de la Banque centrale, ou d’Albert Yuma Mulimbi, le patron des patrons. Circulent encore les noms d’Olive Lembe Kabila, la première dame, et de Janet Kabila, la soeur jumelle du président, qui est aussi députée. Reste à être élu au suffrage universel…
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