Ici et maintenant

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 19 mars 2014 Lecture : 5 minutes.

Je pense que, pas plus que moi, vous ne vous posez cette question, pourtant importante : Si j’avais eu le choix du lieu et du moment, où et quand aurais-je voulu naître ?

Dans les pays occidentaux à fort pouvoir d’achat, dotés de systèmes d’éducation et de santé performants, où les droits de la personne humaine sont garantis par une constitution démocratique, on a déjà établi que la plupart des gens répondraient : "Ici et maintenant."

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Ils se savent privilégiés et n’ont pas le souhait d’être nés ailleurs ou à une autre époque.

Ils font ce choix pour naître avec le maximum de chances d’être éduqués et soignés, d’avoir leur mot à dire, de voir leurs droits respectés, de vivre plus longtemps et en assez bonne santé.

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Dans cette petite cinquantaine de pays où vit 15 % environ de l’humanité, on reçoit, dès le berceau, la quasi-assurance d’une espérance de vie d’environ 80 ans, en aussi bonne santé que possible, avec des revenus garantis tout au long de son existence, généralement supérieurs au minimum vital.

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Pourquoi vous dis-je cela ?

Pour en expliquer les raisons à la lumière du passé : comment sont-ils parvenus à ce niveau ?

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Et, surtout, pour l’extraordinaire bonne nouvelle que cette évolution augure et que je me réjouis d’annoncer à nos enfants : le XXIe siècle, qui n’a même pas encore atteint le milieu de sa deuxième décennie, nous promet un considérable et rapide accroissement du nombre de ceux qui se diront heureux d’être nés dans leur pays, qu’il soit asiatique, sud-américain ou africain.

Cette belle promesse a commencé à se vérifier, car depuis près de quinze ans, sur les cinq continents, grâce à la croissance économique, une partie des couches les plus défavorisées a vu s’ouvrir devant elle les portes de la classe moyenne.

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C’est le lieu et le moment de rappeler que l’humanité, depuis qu’elle existe et jusqu’à l’année 1850 environ, a vécu dans une condition de relative égalité.

Tous les pays étaient agricoles, et leurs échanges commerciaux, par caravanes terrestres ou bateaux à voile et de faible tonnage, marginaux.

Les échanges humains ? Ils ne procédaient que de conquêtes et de rapports de domination : esclavage, colonialisme, émigration (européenne) liée à la pauvreté ou à un surcroît démographique.

La puissance économique d’un pays était proportionnelle à sa population : plus peuplée que les autres, la Chine était, en 1850, depuis quatre siècles et de loin, le numéro un mondial sur le plan économique.

L’Inde arrivait en deuxième position.

Mais, ayant raté la révolution industrielle, elles sont tombées toutes les deux de leur piédestal, ont connu des famines et des guerres civiles, ont été humiliées, envahies, piétinées.

À l’avant-garde de la révolution industrielle, imité plus tard par ce qu’on appellera l’Occident – l’Europe de l’Ouest et l’Europe du Nord, les États-Unis et, plus tard, le Japon -, le Royaume-Uni, qui n’était alors essentiellement qu’une île au large du littoral nord-ouest de l’Europe continentale, a occupé l’immense Inde, une partie de la Chine et de l’Afrique, le Canada, l’Australie et même ce qui deviendra les États-Unis…

Il a régné sur une partie du monde avant d’être détrôné par les États-Unis et d’entrer, à son tour, dans l’ère du déclin. 

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Entamée vers 1850, il y a plus d’un siècle et demi, la révolution industrielle aura profondément changé le visage du monde, le marquant du sceau de l’inégalité : la minorité de pays et d’êtres humains qui l’a accomplie s’est considérablement enrichie et développée, décennie après décennie, tandis que la majorité, laissée au bord de la route, a stagné.

En 1870, le pays le plus prospère de la planète était neuf fois plus riche que le plus pauvre ; un siècle plus tard, le gap ayant été multiplié par cinq, ce rapport est passé de 1 à 45.

La croissance économique des pays les plus démunis a été inférieure à leur croissance démographique et, en 1980, il y a un peu plus d’une génération, la moitié de la population mondiale, soit 2,2 milliards d’êtres humains, vivait avec moins de 1,25 dollar par jour.

La descente aux enfers s’est ralentie depuis, avant de cesser et que s’amorce, depuis deux décennies, l’ère du rattrapage. Elle sera – elle est déjà – la marque de ce XXIe siècle.

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Le signe le plus éclatant de cette renaissance est la croissance économique par habitant dans les pays qu’on qualifiait, il y a peu de temps encore, à juste titre, de sous-développés : jusqu’à la fin des années 1980, elle n’était que de 1,4 % par an, inférieure à la croissance démographique et, par conséquent, synonyme de stagnation. Mais la voici, depuis le début de ce siècle, à 4,4 %, et tendant vers les 5 %.

Le revenu moyen par tête progresse dans des pays aussi peuplés que la Chine, le Mexique, le Brésil, la Thaïlande, la Malaisie ou la Russie : il y atteint celui de l’Italie ou de l’Autriche de 1960 qui étaient déjà considérées comme des pays développés.

Le 1,3 milliard de Chinois produit déjà autant que les 310 millions d’habitants des États-Unis ; l’Inde a doublé la taille de son économie depuis le début de ce siècle et l’Afrique en a fait de même.

La classe moyenne (globale), ceux qui vivent avec 10 à 100 dollars par jour, passera de 1,8 milliard de personnes en 2009 à 4,9 milliards en 2030.

Dans quinze ans, les deux tiers de la classe moyenne mondiale se trouveront en Asie-Pacifique et 21 % seulement en Europe occidentale et en Amérique du Nord ; la classe moyenne du Moyen-Orient et de l’Afrique sera aussi nombreuse que celle d’Europe du Nord.

Lentement mais sûrement, à partir de 2050, la planète retournera à sa situation d’avant 1850 : la puissance économique sera proportionnelle à la population.

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En Asie, en Amérique du Sud et en Afrique, la majorité des pays a donc fini par trouver la clé du développement, et beaucoup d’entre eux ont déjà entamé la phase de rattrapage de la caravane des pays industrialisés.

Il leur faudra plusieurs décennies pour effacer tout ou partie de deux siècles de quasi-immobilisme.

Mais ne seront élus que ceux d’entre eux qui, à force de persévérance, sauront se maintenir dans le cercle vertueux d’une croissance égale ou supérieure à 5 % par an.

C’est dans ceux-là qu’à la question "Où et quand auriez-vous voulu naître si vous en aviez eu le choix ?", la plupart de nos enfants, je l’espère, pourront, eux aussi, répondre : "Ici et maintenant."

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