Constitution libyenne : il y a loin de la coupe aux lèvres

Les citoyens ont été appelés aux urnes le 20 février pour élire – enfin – les soixante constituants. Mais le scrutin a été fortement perturbé par des groupes armés…

Le 2 mars une foule en colère a pris d’assaut le CGN (Parlement) et saccagé l’hémicycle. © Hazem Turkia/AFP

Le 2 mars une foule en colère a pris d’assaut le CGN (Parlement) et saccagé l’hémicycle. © Hazem Turkia/AFP

Publié le 17 mars 2014 Lecture : 6 minutes.

Près de trois ans après le début de la révolution, la "nouvelle Libye" n’en finit pas d’amorcer sa transition démocratique. Constamment modifiées, adaptées, abandonnées, puis renouvelées, les feuilles de route se succèdent dans la confusion la plus totale. Aux termes du dernier calendrier en date, la nouvelle loi fondamentale, qui doit remplacer la déclaration constitutionnelle de 2001 et conduire à des élections générales, devait être finalisée et adoptée en février 2014. Mais la paralysie des institutions "démocratiques" laborieusement mises en place a différé l’échéance.

Malgré les tensions politiques et l’escalade de la violence, les Libyens ont fini par être appelés aux urnes le 20 février dernier pour élire les constituants. Ce "groupe des 60" se compose de trois blocs de vingt élus pour chacune des trois grandes régions du pays (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan), abstraction faite de toute considération démographique. Au regard de la situation sécuritaire, la tenue de cette élection a relevé du "miracle", dixit un diplomate occidental. Des attentats ont frappé des bureaux de vote à Derna, dans l’Est, où des groupes islamistes avaient menacé les électeurs, qualifiés d’"infidèles". Dans le Sud, Sebha est le théâtre de combats sporadiques, tandis qu’à Obari et dans ses environs, où cherchent à s’implanter durablement des groupes jihadistes, le scrutin a été fortement perturbé. Sur les 1 600 centres électoraux, 93, à Derna et dans le Sud, n’ont pu ouvrir, pas même lors de la seconde opération de vote, le 26 février.

L’insécurité et la défiance grandissante de la population à l’égard d’une classe politique jugée incapable de gouverner ont eu pour conséquence une faible participation.

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La légitimité du "groupe des 60" écornée

L’insécurité et la défiance grandissante de la population à l’égard d’une classe politique jugée incapable de gouverner ont eu pour conséquence une faible participation : moins de 50 % du 1,1 million d’inscrits. De quoi écorner la légitimité du "groupe des 60", qui ne compte pour le moment que 47 élus à cause des violences jihadistes et du boycott des Berbères, à qui sont réservés 2 sièges. "Cette Assemblée constituante n’est pas représentative et n’apparaît ni crédible ni en mesure de mener à bien sa mission compte tenu de la situation actuelle, qui échappe à tout contrôle", analyse Karim Mezran, de l’Atlantic Council, un think tank américain. Le chercheur libyen redoute en particulier "des pressions exercées par des groupes armés sur l’assemblée pour influencer le contenu de la Constitution".

C’est dans le nord de la Cyrénaïque, à El-Beïda, s’est tenue trois ans plus tôt la première réunion informelle du Conseil national de transition (CNT), que va siéger la Constituante. Nichée entre Benghazi, en proie à des assassinats presque quotidiens, et la petite cité de Derna, sanctuaire de groupes islamistes radicaux, la "ville blanche" est pour le moment épargnée par les violences. "Au fond, il y a de nombreux consensus au sein de la société et nous allons tout faire pour convaincre nos concitoyens que la Constitution n’est pas un choix mais une nécessité pour bâtir la Libye de demain", s’enthousiasme pourtant Abdelkader Kaddoura, professeur de droit constitutionnel et l’un des quatre élus de Benghazi, aux côtés de l’ex-Premier ministre par intérim Ali Tarhouni.

Une charte nationale d’ici à avril

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Le "groupe des 60" ne dispose que de cent vingt jours pour rédiger le texte fondamental, un délai déraisonnable quand on songe que l’élaboration d’une constitution prend en moyenne quinze mois. "Comme dans la plupart des pays musulmans, la place du religieux, le degré de décentralisation et la répartition des revenus de l’État font débat. Autant de sujets qui divisent et qu’il faut prendre le temps d’aborder. La Constitution sera le fruit d’un équilibre subtil", souligne le constitutionnaliste américain Tom Ginsburg, qui suit de près le cas libyen.

Pour le gouvernement comme pour ses partenaires occidentaux, le bon déroulement du processus constitutionnel dépend de la mise en place d’un mécanisme inclusif de réconciliation. Une priorité, selon les observateurs, qui avaient salué, l’été dernier, la mise en place d’une commission indépendante chargée d’amorcer le dialogue national. Placée sous l’égide du Premier ministre, Ali Zeidan, et assistée techniquement par l’ONU, cette commission de quinze volontaires – dont cinq femmes – a démarré en janvier ses consultations auprès des partis politiques, des minorités, des milices et de la société civile en coordination avec le Congrès général national (CGN, Parlement). Objectif : élaborer d’ici à avril une "charte nationale" regroupant les revendications et les attentes de chacun. La commission devrait collaborer pleinement avec la Constituante. "Le dialogue national est aujourd’hui fondamental pour l’avenir de la Libye. Sans réconciliation ni processus de paix, il sera difficile sinon impossible de dégager le consensus nécessaire pour adopter la Constitution", souligne le député indépendant Abdelmonem el-Yassir.

Depuis plusieurs mois, le CGN, dominé par les islamistes, est miné par les démissions en série, l’absentéisme et la déliquescence du camp "libéral".

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Depuis plusieurs mois, le CGN, dominé par les islamistes, est miné par les démissions en série, l’absentéisme et la déliquescence du camp "libéral" cornaqué par l’Alliance des forces nationales, de Mahmoud Jibril. Malgré les nombreux votes de défiance, le CGN n’est pas parvenu à renverser Ali Zeidan et semble adopter une autre tactique consistant à le dépouiller méthodiquement de ses prérogatives. À cet égard, le vote qui a désigné le président du CGN, Nouri Abou Sahmein, pour représenter la Libye à la conférence de Rome du 6 mars en dit long, même si Zeidan aura finalement été du voyage. Quelques jours plus tôt, le 2 mars, une foule en colère avait pris d’assaut le CGN, saccageant l’hémicycle, brûlant le fauteuil d’Abou Sahmein et blessant deux députés à l’arme blanche. Une traduction violente de l’exaspération de la population à l’égard d’une assemblée qui n’a pas réussi à s’acquitter de sa principale mission – le processus constitutionnel – et dont l’extension du mandat jusqu’à décembre prochain a été très mal perçue. Sans la médiation salvatrice de l’ONU, l’ultimatum d’autodissolution dans les cinq heures lancé le 18 février par deux puissantes milices de Zintan aurait aggravé davantage la situation.

Dos au mur, le CGN a annoncé la tenue probable d’élections d’ici à juin… en fonction de l’état d’avancement de la Constitution. Certains, comme l’homme d’affaires revenu de l’étranger Basit Igtet ou la militante Amal el-Haj, ont déjà annoncé leur candidature à la succession de Zeidan. D’autres, comme l’ex-Premier ministre Moustapha Abou Chagour, ont fait savoir qu’ils ne se présenteraient pas. Tandis que le nom du président de la Commission électorale libyenne, Nouri el-Abbar, qui a démissionné au lendemain de l’élection de la Constituante, est cité régulièrement dans les cénacles d’un pouvoir que nul ne détient tout à fait.

Insécurité maximale

La sécurisation des frontières reste la préoccupation majeure des voisins de la Libye, le sud du pays étant devenu une base arrière des jihadistes chassés du Mali et qui menacent les États de la sous-région, lesquels n’ont pas les moyens d’agir. Mais la plupart des pays sahélo-sahariens refusent de collaborer avec les milices qui contrôlent les frontières du Sud et les indispensables échanges d’informations sont encore limités. Les chefs des services de renseignements des États de la sous-région se sont rencontrés pour la quatrième fois le 17 février à Niamey, en marge de la réunion du processus de Nouakchott, pour tenter d’harmoniser des mécanismes de mutualisation. À l’est, Le Caire redoute des incursions de terroristes implantés en Cyrénaïque, ainsi que la contrebande d’armes destinées aux partisans de l’ex-président islamiste Mohamed Morsi. Tandis que des filières jihadistes vers la Syrie se seraient structurées de Derna à Benghazi. À l’intérieur du pays, les violences se multiplient, sous le regard inquiet de la communauté internationale, qui, à défaut de pouvoir intervenir, a pris une série d’initiatives. Le Service de l’action antimines de l’ONU (Unmas) prépare ainsi un programme pour relancer un processus de désarmement qui piétine. Paris, en partenariat avec Berlin, s’est dit prêt à contribuer à la sécurisation des dépôts d’armes et devrait entamer la formation de policiers libyens en avril. Washington, Londres, Rome et Ankara se sont engagés, quant à eux, à former 15 000 militaires nationaux à l’étranger, notamment en Bulgarie.

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