Algérie : après quatre ans de trêve, le front social s’enflamme sur le pouvoir d’achat

Les syndicats de la fonction publique annoncent une grève nationale pour les 26 et 27 avril. Alors que les autorités ont déjà menacé de lancer des poursuites, un bras de fer s’annonce.

Une manifestation anti-gouvernementale à Alger, le 9 avril 2021. © RYAD KRAMDI/AFP

Publié le 25 avril 2022 Lecture : 5 minutes.

L’exécutif algérien s’apprête à faire face à une mobilisation inédite contre l’augmentation généralisée des prix des produits de grande consommation. Une coalition de 29 syndicats de la fonction publique, de l’Éducation nationale à la Santé en passant par l’Éducation nationale, les Affaires religieuses, l’administration fiscale et l’administration locale, appellent à une grève nationale les 26 et 27 avril.

L’ampleur de la contestation annoncée a fait réagir le gouvernement, qui a lancé le 21 avril des menaces contre les syndicats impliqués, lesquels « prendraient la responsabilité, soit d’appeler les travailleurs et les fonctionnaires à une grève nationale solidaire contraire aux dispositions de la loi, soit de commettre des actions de contestation se traduisant par une atteinte à la liberté de travail et à la continuité des services publics ».

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Le communiqué du ministère du Travail précise que la Confédération des syndicats algériens « n’a pas reçu à ce jour le récépissé d’enregistrement de sa déclaration de constitution ».

La réaction des pouvoirs publics démontre qu’ils ont été pris de court

Le ministère du Travail ajoute que la « coordination dénommée “Syndicats algériens de la fonction publique” n’est pas reconnue ». Malgré ces avertissements, la coalition syndicale n’a pas abdiqué.

« Nous avons apposé notre cachet individuellement sur le communiqué appelant à la grève en tant que syndicats agréés formant une coalition conjoncturelle pour revendiquer l’amélioration du pouvoir d’achat et non en tant que fédération ou confédération de syndicats de la fonction publique. La réaction des pouvoirs publics démontre qu’ils ont été pris de court. Ils ne s’attendaient pas à ce que 29 syndicats se réunissent et se concertent autour d’une action d’une telle envergure », réplique Boualem Amoura, secrétaire général du syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef).

« De la poudre aux yeux »

« Treize syndicats représentant la Confédération syndicale algérienne étaient à l’origine de cette initiative, qui a été élargie par la suite à tous les secteurs de la fonction publique pour une action rassemblée et unitaire, précise à Jeune Afrique Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique. Le secteur de l’éducation représente 800 000 employés et celui de la santé, 330 000 travailleurs. À cela s’ajoute un million de fonctionnaires de l’administration publique. »

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La nouvelle grille salariale, applicable dès début mai avec un effet rétroactif au 1er mars, prévoit une augmentation de 50 points indiciaires, soit une hausse minimum de 2 250 dinars (environ 14,50 euros), sur la base de la valeur du point indiciaire fixée à 45 dinars.

Elle concerne 2,7 millions de fonctionnaires et agents contractuels, dont 2,4 millions sont pris en charge dans le cadre du budget de l’État et près de 36 000 dans le cadre des collectivités locales. C’est la douche froide pour les syndicats, qui espéraient une revalorisation de la valeur indiciaire à 100 dinars, permettant ainsi une hausse plus importante des salaires.

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« C’est de la poudre aux yeux, une humiliation pour les travailleurs », assène Boualem Amoura, qui soutient que cette décision aboutira seulement à une « augmentation dérisoire, située entre 2 000 et 6 000 dinars sur le brut.

Après les retenues de l’impôt sur le revenu global (IRG) et les cotisations sociales, il ne restera pas grand-chose. Et la réduction de l’IRG en janvier dernier a abouti à une augmentation allant de 800 à 3 600 dinars sur le net, vite absorbée par l’inflation et la hausse des prix de large consommation. »

La montée au créneau des syndicats de la fonction publique, explique également Lyes Merabet, est motivée par « l’incapacité des secteurs chargés de réguler le marché à lutter contre la spéculation. Depuis 2008, les salaires n’ont pas été augmentés de manière à accompagner tout ce qui a changé. À commencer par la dépréciation importante de la valeur du dinar algérien, les taux d’inflation en constante hausse depuis plus d’une dizaine d’années et l’anarchie qui règne en matière de prix ».

Il n’y a pas de situation catastrophique en Algérie, mais simplement une mauvaise distribution des richesses et de la rente

Et de poursuivre : « Cette situation a un impact direct sur le pouvoir d’achat et se traduit par une incapacité à assurer le minimum des besoins des ménages. » Même son de cloche du côté de Messaoud Boudiba, porte-parole du Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l’éducation (Cnapeste), qui s’attendait lui aussi à une hausse de la valeur indiciaire. « C’est un choc qui va déteindre sur le moral des travailleurs », dénonce-t-il.

Pour l’exécutif, c’est un grand effort qui est consenti, dans un « un contexte financier difficile ». À ce niveau, on ne manque pas de rappeler la réduction de l’impôt sur le revenu global et même sa suppression pour les salaires de moins de 30 000 dinars, en vigueur depuis janvier.

En somme, estime-t-on, avec la hausse du point indiciaire et la réduction de l’IRG, les salaires ont connu une hausse « moyenne de 5 600 à 6 000 dinars pour atteindre, dans certains cas, 10 000 dinars ».

Déficit budgétaire important

Les deux mesures nécessitent la mobilisation d’une enveloppe budgétaire de 400 milliards de dinars par an, à laquelle s’additionnent 145 milliards de dinars annuels pour le financement de l’allocation chômage des primo-demandeurs d’emploi.

Lors de sa rencontre périodique avec la presse, le 23 avril, le président Abdelmadjid Tebboune a martelé qu’une nouvelle augmentation des salaires ne pourrait avoir lieu avant début 2023. Ce que confirme un économiste : « Même si l’année 2022 se termine avec un baril à 100 dollars, le déficit budgétaire reste important, une hausse des salaires n’est donc pas envisageable avant 2023. » « Il n’y a pas de situation catastrophique en Algérie, mais simplement une mauvaise distribution des richesses et de la rente », rétorque Boualem Amoura.

À bout de patience, les grévistes rappellent que le gouvernement a bénéficié d’une trêve sociale de près de quatre ans. « Avec l’avènement du Hirak, en février 2019, la confédération des syndicats algériens a pris la décision de mettre en veille ses revendications socioprofessionnelles et de s’engager dans le mouvement populaire. Pendant ce temps, rien n’a été fait par les différents gouvernements sur la question de la stabilité sociale », déplore Lyes Merabet.

Ce dernier espère l’ouverture d’un dialogue car, selon lui, le recours à la grève a été imposé par « une situation de blocage. La baisse du pouvoir d’achat a atteint des limites insupportables ». Les syndicats souhaitent que le gouvernement accepte d’organiser une réunion bipartite susceptible d’aboutir à un accord à l’amiable.

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