Les enregistrements de Buisson : une affaire de trop pour Sarkozy ?

Ce n’est un secret pour personne : Nicolas Sarkozy veut reconquérir l’Élysée. Aucun scandale ne paraissait pouvoir l’atteindre. Jusqu’à ce que l’inquiétant M. Buisson entre en scène…

Bettencourt, Karachi, Tapie, Kaddafi… les scandales sont nombreux. © Clemens Bilan/AFP

Bettencourt, Karachi, Tapie, Kaddafi… les scandales sont nombreux. © Clemens Bilan/AFP

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 14 mars 2014 Lecture : 6 minutes.

Depuis qu’il a décidé – qui en doute ? – de revenir en politique et de prendre en 2017 une revanche qu’il veut croire éclatante sur François Hollande (c’est aussi la hantise de ce dernier), Nicolas Sarkozy évite avec une habileté consommée les pièges, embûches et chausse-trapes disposés sous ses pieds. A-t-il mis en place une sorte de cordon sanitaire ? Une garde d’impavides prétoriens résolus à se sacrifier pour protéger leur chef ? De Christine Lagarde à Éric Woerth, de Bernard Squarcini à Emmanuelle Mignon et de Claude Guéant à Philippe Courroye (pour ne citer que les plus connus), ses proches ont fâcheusement tendance à se retrouver dans le collimateur de la justice ces temps-ci. Interrogatoires, perquisitions, gardes à vue, mises en examen… L’ancien président français a certes beaucoup de défauts, mais force est de reconnaître qu’il possède quelque chose, un truc indéfinissable qui le fait sortir du lot. Les haines inexpiables et démesurées qu’il suscite le prouvent. Le dévouement déraisonnable dont il est l’objet de la part de ses affidés, aussi.

Depuis que Sarkozy a quitté l’Élysée, en mai 2012, les affaires judiciaires éclosent comme des champignons après la pluie, sans qu’il soit aisé de démêler si elles sanctionnent une pratique exceptionnellement délictueuse du pouvoir ou si elles témoignent d’un acharnement à son encontre de certains magistrats, ulcérés par les flèches qu’il n’a cessé de leur décocher pendant ses années élyséennes : ces derniers multiplieraient les procédures parfois hâtives contre ses familiers dans l’espoir de le débusquer, de provoquer une imprudence, de susciter un témoignage embarrassant. En vain, pour l’instant.

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Il y a la très balzacienne affaire Liliane Bettencourt, la "Mamie Zinzin" des Guignols de l’info, héritière flapie (elle a 91 ans) d’un empire cosmétique et première fortune de France. Quelle galerie de personnages ! On y trouve des gigolos maniérés et cousus d’or, une fille éperdue qui n’en finit pas de régler des comptes familiaux, un ténébreux gestionnaire de fortune descendant d’un grand écrivain catholique, un ancien ministre et son épouse perdus dans la foule des domestiques… Sarko a-t-il, oui ou non, profité de la faiblesse présumée de la milliardaire pour lui extorquer des fonds destinés à financer telle ou telle campagne électorale ? C’est possible, mais les juges Jean-Michel Gentil et Valérie Noël n’en ont pas établi la preuve. Non-lieu.

Il y a l’affaire Karachi. Là, on est plutôt chez SAS. En 1995, la campagne présidentielle d’Édouard Balladur a-t-elle été en partie financée par des rétrocommissions versées par les autorités pakistanaises dans le cadre d’un achat de sous-marins ? La rupture du contrat froidement décidée par un Jacques Chirac victorieux contre toute attente et d’autant plus vindicatif est-elle la cause de l’attentat-suicide dont furent victimes, sept ans plus tard, onze salariés français de la Direction de la construction navale (DCN) – dont les familles ont fini par porter plainte, en 2012 ? Deux de ses proches, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire, ont été mis en examen, mais Sarkozy n’était à l’époque qu’un second couteau (ministre du Budget), alors… D’ailleurs, connaît-on jamais le fin mot de ces troubles affaires d’État ?

Il y a l’affaire Tapie, ce polar financier. En 2008, la procédure d’arbitrage décidée par Christine Lagarde (la directrice du Fonds monétaire international était à l’époque ministre de l’Économie) pour régler le vieux différend opposant l’homme d’affaires ex-mitterrandien au Crédit Lyonnais à propos de la vente de l’équipementier sportif Adidas n’a-t-elle été qu’un coûteux simulacre destiné à récompenser le nouvel ami du président – 405 millions d’euros, quand même ? Pour Sarkozy, c’était jusqu’ici le dossier le plus menaçant. À peine mis en place, le parquet financier créé par François Hollande après l’affaire Cahuzac s’est, comme par hasard, empressé de diligenter une enquête à ce sujet. De là à soupçonner dans cette symphonie judiciaire la présence d’un chef d’orchestre dissimulé derrière la grosse caisse, il n’y a qu’un pas… qu’il serait évidemment imprudent de franchir.

Il y a aussi le rocambolesque feuilleton Kadhafi. Deux juges d’instruction sont en possession d’une lettre datant de décembre 2006 dans laquelle le régime libyen se montre disposé à financer à hauteur de 50 millions d’euros la campagne présidentielle de Sarkozy. Mais l’authenticité de ce document est loin d’être assurée. Il pourrait avoir été fabriqué de toutes pièces par des Kadhafistes résolus à se venger. Témoignage, contre-témoignage, plainte, contre-plainte : la confusion est totale. Et l’enquête en cours n’est pas facilitée par la situation chaotique qui prévaut ces jours-ci du côté de Tripoli.

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Depuis plusieurs mois, Sarkozy et ses fidèles Brice Hortefeux et Claude Guéant ont été placés sur écoute dans le cadre de cette affaire. Incidemment, les magistrats sont tombés sur une conversation entre l’ancien président et Me Thierry Herzog, son défenseur, dans laquelle il est question d’un certain Gilbert Azibert, avocat général à la Cour de cassation. Ils soupçonnent ce dernier d’avoir renseigné Sarkozy sur les développements de l’affaire… Bettencourt, en échange d’une "sinécure à Monaco".

Il y a enfin l’affaire dite des sondages de l’Élysée. L’ancien président en faisait une consommation immodérée. On sait qu’il en a commandé un nombre considérable à divers instituts et sociétés parmi lesquels Publifact, créé et dirigé par Patrick Buisson, son conseiller de l’ombre avec Henri Guaino – le premier oscillant depuis toujours entre extrême droite et droite extrême, le second de sensibilité plus gaulliste. Mais on ne sait pas exactement combien puisque toute trace de ces transactions a disparu. On soupçonne que leur montant total pourrait avoisiner 3 millions d’euros. Y a-t-il eu favoritisme et détournement de fonds publics ? Une enquête est en cours. Le domicile et les bureaux de Buisson ont été perquisitionnés l’an dernier, mais ce ne sont là que vétilles.

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Car, paradoxalement, c’est peut-être par une sale histoire dans laquelle la responsabilité pénale de Nicolas Sarkozy ne saurait être mise en cause – il en est plutôt la victime – que sa stratégie de reconquête est le plus menacée. Et c’est là que l’on retrouve l’inénarrable Patrick Buisson.

Buisson a, cinq ans durant, tout enregistré. Pendant des milliers d’heures, paraît-il. Sarkozy, son épouse, ses ministres, ses amis et ses conseillers…

Royaliste maurrassien dans la grande tradition, l’ex-patron de Minute, de Valeurs actuelles et de la chaîne Histoire passe pour avoir inspiré l’orientation très droitière de la campagne présidentielle de 2012. Il juge par exemple Hortefeux trop "inhibé" sur la question de l’immigration – ce que personne avant lui n’avait remarqué ! Intelligent, mégalomane et paranoïaque, Buisson a une manie : enregistrer toutes les conversations auxquelles il se trouve mêlé. Surtout avec les principaux personnages de l’État et les figurants qui gravitent en ces parages. Souhaite-t-il laisser pour l’Histoire une trace de l’importance de sa personne, de l’étendue de son rôle et de l’acuité de ses vues que son travail dans l’ombre risquerait d’occulter ?

Muni d’un dictaphone dissimulé dans sa veste, Buisson a donc, cinq ans durant, tout enregistré. Pendant des milliers d’heures, paraît-il. Sarkozy, son épouse, ses ministres, ses amis et ses conseillers : tout le monde y passe. Comment l’hebdomadaire Le Point en a-t-il eu connaissance, il y a près d’un mois ? Comment Le Canard enchaîné et le journal en ligne Atlantico ont-ils pu en publier de brefs extraits ? Mystère, pour l’instant.

Les échanges ainsi rendus publics ne contiennent aucun secret d’État. On apprend que tel ministre est "archinul" et que tel autre ne dit "que des conneries" ? Et alors ? Au-delà de quelques sensibilités froissées, ce qui pose véritablement question est que Sarkozy ait pu accorder sa confiance à un personnage aussi trouble. Et que, sous sa présidence, le véritable gouvernement de la France ait été exercé par une poignée de conseillers occultes : Buisson, Guaino, le publicitaire Jean-Michel Goudard, le sondeur Pierre Giacometti… "Furieux" et "déçus", Sarkozy et son épouse vont porter plainte pour atteinte à l’intimité de la vie privée. L’objectif est à l’évidence d’empêcher que la diffusion de ces enregistrements clandestins ne tourne au feuilleton. Et ne plombe un peu plus toute perspective de retour à l’Élysée.

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