Municipales françaises : à nous deux, Montreuil !
Insultes, haines inexpiables, règlements de comptes… Dans la métropole de l’Est parisien – qui compte une importante communauté malienne -, la campagne pour les élections municipales des 23 et 30 mars est tout sauf un long fleuve tranquille.
Une maire sortante qui, dégoûtée, renonce à briguer un deuxième mandat et compare la scène politique locale à "un fight club où le seul objectif est de traîner l’adversaire dans la poussière, de lui faire rendre gorge, de l’humilier, de le détruire"… Des candidats à sa succession qui se déchirent, des élus de droite qui se retrouvent sur des listes de gauche et des socialistes qui se découvrent une fibre écologiste – quand ce n’est pas l’inverse… Des communistes qui rassemblent bobos et ouvriers, des alliés d’hier devenus d’irréductibles ennemis, et des citoyens… qui n’y comprennent plus rien. Bienvenue à Montreuil, 100 000 habitants, ville de la proche banlieue parisienne aussi célèbre pour son marché aux puces que pour son importante communauté malienne (entre 6 000 et 10 000 personnes) et ses ateliers d’artistes. Ici plus qu’ailleurs, la politique se pratique à fleurets non mouchetés.
À moins d’un mois du premier tour des élections municipales, le 23 mars, la tension est à son comble. À ce jour, neuf candidats sont en lice. Et huit sont de gauche. La seule qui ne l’est pas se nomme Manon Laporte et porte les couleurs de l’UMP : ses chances de l’emporter sont minces. À gauche, la division est partout. Entre les différentes formations (PS, PCF et EELV), bien sûr, mais aussi au sein de chacune d’elles. Toutes sont en effet représentées par deux listes : une officielle, une dissidente.
"Brard se présente par pure vengeance"
Dans les rues, les affiches des rivaux sont systématiquement recouvertes, les logos et les slogans se confondent, les militants ne cessent de se croiser sur les marchés ou devant les bouches de métro dans une ambiance parfois tendue. Dans une ville où 80 % de la population vote à gauche, difficile de discerner la logique de cette guéguerre intestine. "Il faut être Montreuillois pour s’y retrouver, plaisante Lassana Niakaté, président de l’Association des Maliens de Montreuil. Mais il est vrai que, vu de l’extérieur, on peut avoir l’impression que les convictions politiques ne comptent pas vraiment." L’association est neutre et ne soutient officiellement aucun candidat. Pas même Jean-Pierre Brard, l’ancien maire communiste, qui dirigea la ville pendant vingt-quatre ans et qui est notoirement proche de la communauté malienne. C’est lui qui, en 1985, engagea un partenariat entre Montreuil et le "cercle de Yélimané", dans la région de Kayes, qui est d’ailleurs toujours en vigueur.
Jean-Pierre Brard, ex-maire communiste entré en dissidence. © Fred Dufour / AFP
Battu en 2008 par l’écologiste Dominique Voynet, Brard (66 ans) conduit une liste communiste dissidente. Il juge que Patrice Bessac, le candidat officiel du parti – dont Brard fut exclu en 1996 mais qu’il considère comme sa "famille" -, souffre d’une "ambition personnelle dévorante". Ce qui interdit toute alliance avec lui. "C’est l’hôpital qui se fout de la charité", s’étouffe un militant du camp Bessac. S’il est réélu, Brard a déjà annoncé qu’il n’accomplirait pas l’intégralité de son mandat mais transmettrait en cours de route les rênes de la ville à un "dauphin" dont on ignore l’identité. Mais alors, pourquoi diable se présenter ? "Parce que des citoyens me l’ont demandé. Ils voulaient mon aide pour se débarrasser de l’équipe Voynet et retrouver leur ville." Vraiment ?
Ses adversaires font entendre un autre son de cloche. "Brard se présente par pure vengeance", estime l’un d’eux. En off, même ses partisans le reconnaissent : "Il n’a jamais digéré sa défaite de 2008. Pour lui, la victoire de Voynet a été un accident, et il a tout fait pour la faire échouer." Six ans durant, il a patiemment préparé son retour. À la mi-novembre 2013, sans surprise, un sondage (BVA) le place largement en tête au premier tour : 32 % contre 18 % pour Voynet. Au second, l’écart est encore plus net : 62 % contre 38 %. Dans la foulée, Voynet jette l’éponge.
Ibrahim Dufriche-Soilihi, écologiste d’origine comorienne. © Ducloux/Sipa
Amers, les écolos présentent quand même un candidat, Ibrahim Dufriche-Soilihi, 51 ans, totalement inconnu des Montreuillois il y a encore quelques mois. Petit-fils de Marcel Dufriche, un ancien maire communiste de la ville (1971-1983), il est d’origine comorienne. Lui-même se présente dans son tract de campagne comme "un enfant adopté par une famille communiste, un militant socialiste et un écologiste convaincu". Le 19 février, il a reçu le soutien de José Bové, l’ex-grande figure altermondialiste. "Être maire, c’est un sport de combat. […] Je plains Dominique Voynet de s’être coltiné un malade pareil pendant des années", a commenté l’eurodéputé – le "malade", c’est évidemment Jean-Pierre Brard.
"Le racisme et le Front national tendant à gagner du terrain, mon élection serait un signal très fort, estime Dufriche-Soilihi. Car mis à part Pape Diouf à Marseille, les listes dirigées par des Français originaires d’Afrique ou d’outre-mer sont encore rares." Le candidat écolo admet qu’il lui faudra nouer des alliances au second tour pour barrer la route à Brard. Selon lui, l’ancien maire est dans une "logique clientéliste" qui l’amène à faire des promesses inconsidérées et à "caresser les gens dans le sens du poil". Et ne lui dites surtout pas que, à l’instar des thèmes abordés ce jour-là (transition énergétique, individualisme des sociétés, systèmes financiers alternatifs, etc.), son programme paraît un peu "décalé" dans un Montreuil encore très populaire en dépit de la "boboïsation" en cours – le nombre des "CSP+" (catégories socioprofessionnelles favorisées) y a doublé entre 1999 et 2009. Il veut créer pour les migrants de nouveaux foyers "dignes" et poursuivre les programmes d’accompagnement de la communauté rom lancés par Voynet. Et qu’importe si, début février dans le quotidien Le Monde, cette dernière a estimé que les Montreuillois l’avaient élue en 2008 non parce qu’ils étaient "persuadés de la nécessité du projet écolo", mais parce qu’ils étaient "las de Brard".
Ambiance cosy, petits fours et bon vin
Au même moment, dans un autre quartier de la ville, Razzy Hammadi, le jeune (35 ans) et turbulent candidat socialiste, tient une réunion d’appartement chez son directeur de campagne. Il sort d’un porte-à-porte dans un HLM et a encore un paquet de tracts à la main. L’ambiance est cosy, avec petits fours et bon vin. Cinq voisins et un entrepreneur ont fait le déplacement. Les questions fusent. "On est 100 % bobos et on assume, lance une jeune femme. Essayez de nous convaincre, car on ne sait pas encore pour qui voter." Développement économique, éducation, projets d’aménagement urbain, insécurité… Hammadi déroule une partie de son programme. Il ne souhaite pas, explique-t-il, augmenter le pourcentage de logements sociaux – 35 % actuellement -, seulement le maintenir.
Razzy Hammadi, 35 ans, député socialiste de la Seine-Saint Denis.
© Arnaud Guillaume/AFP
Il n’épargne pas ses prédécesseurs, dont il critique le style trop personnel ("une ville de cette taille, ça se dirige en équipe"). À Brard, il reproche sa "gestion financière catastrophique" ; à Voynet, dont il ne conteste pas l’honnêteté, une compréhension insuffisante de ses administrés. Hammadi est déjà député de la Seine-Saint-Denis, comme Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, son mentor en politique. Mais il s’y engage : s’il est élu maire, il quittera l’Assemblée.
"Il a le soutien de l’appareil socialiste, l’argent coule à flots, il a des équipes de colleurs d’affiches venues de l’extérieur", réplique Brard, qui voit en lui son "concurrent le plus sérieux", notamment auprès des jeunes générations. Celles-là mêmes qui l’ont fait perdre en 2008. "Les actions de Brard en faveur des villes maliennes, c’était bien pour notre génération, explique Lassana Niakaté. Mais nos enfants sont français, ils veulent que les choses soient faites pour eux, ici et maintenant. Et ce sont eux qui votent !" Une fracture générationnelle que "Brard le briscard" a visiblement du mal à comprendre. "Il est comme un lion tombé une première fois : il ne fait plus peur", commente malicieusement Hammadi.
Neuf pour un siège
Manon Laporte, 48 ans, Union pour un mouvement populaire (UMP) A réussi à rassembler derrière elle l’ensemble des partis de droite et du centre. Épouse de Bernard Laporte, ancien secrétaire d’État aux Sports de Nicolas Sarkozy
Ibrahim Dufriche-Soilihi, 51 ans, Europe Écologie-Les Verts (EELV) Militant socialiste, petit-fils de Marcel Dufriche, maire communiste de la ville entre 1971 et 1983
Montreuil mi amor Liste écolo et citoyenne lancée par des déçus d’EELV Pas de tête de liste désignée à ce jour
Razzy Hammadi, 35 ans, Parti socialiste (PS) Ancien président du Mouvement des jeunes socialistes, député de la 7e circonscription de la Seine-Saint-Denis. Promet de ne pas cumuler les deux fonctions s’il est élu
Mouna Viprey, 45 ans, divers gauche Ancienne première adjointe de Dominique Voynet, s’en est désolidarisée en cours de mandat en raison d’un désaccord sur la politique fiscale. Deux fois exclue du PS (2002 et 2008)
Patrice Bessac, 35 ans, Parti communiste français (PCF) Directeur de campagne de Jean-Pierre Brard lors des législatives de 2012. Candidat officiel du PCF
Jean-Pierre Brard, 66 ans, divers gauche Maire pendant vingt-quatre ans et battu en 2008, n’a jamais digéré sa défaite. S’est engagé à ne pas accomplir l’intégralité de son mandat
Aline Cottereau, Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
Aurélie Jochaud, Lutte ouvrière (LO)
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