Hommage : le dernier Persan de Paris…

Fawzia Zouria

Publié le 11 mars 2014 Lecture : 2 minutes.

Je me souviens de toutes les fois où, pour solliciter un spécialiste de l’Iran ou de l’islam, Béchir Ben Yahmed lançait à l’adresse de ses journalistes : "Faites donc appel au copain de Fawzia Zouari !" "Mon copain" était un octogénaire à longue barbe blanche, qui marchait comme une tortue et postillonnait en parlant. Mais il était resté un séducteur impénitent… Béchir Ben Yahmed savait que mon copain n’avait pas son équivalent pour parler du Proche-Orient, des stratégies politiques, ou de la guerre du Golfe. Je l’appelais, il venait au 57 bis, ou bien je me rendais chez lui, dans le 15e arrondissement parisien. Je l’accompagnais également dans certains voyages, comme cette fois où nous fûmes à Madrid pour interviewer Federico Mayor, ex-directeur général de l’Unesco, alors à la retraite.

Mon copain n’était pas n’importe qui. Il avait à son actif plusieurs livres, dont L’Orient et la Crise de l’Occident (1977) et Des palais du chah aux prisons de la révolution (1991). Sociologue et historien de formation, né en 1926 dans une famille iranienne francophone, il fut emprisonné par le chah d’Iran avant de s’exiler en France, où il occupa le poste de conseiller spécial du directeur général de l’Unesco. Depuis la révolution, il n’avait pas cessé d’effectuer des allers-retours entre Paris et Téhéran, où il intervenait auprès des politiques modérés de son pays, tel l’ex-président Mohammad Khatami. Les journaux sollicitaient souvent son point de vue. Car il dissertait comme personne sur les Arabes, les Turcs, les Persans, la politique de la République islamique, les retombées du 11 Septembre… Il frayait parmi les grands de ce monde, ministres et chefs d’État, quand il ne recueillait pas les confidences d’un commandant Massoud ou du roi d’Afghanistan. Il jouissait de l’amitié d’intellectuels de renom, comme Aimé Césaire, qui lui avait ouvert, reconnaissait-il, "les portes de l’Afrique, de la Martinique et de l’universel", et en l’honneur de qui l’Unesco organisa, à son initiative, le 5 juin 1998 à Fort-de-France, un hommage que J.A. couvrit amplement.

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Mon copain s’appelle Ehsan Naraghi. Il est mort en décembre 2012 et je ne l’ai su qu’en cette mi-février. Je me suis précipitée sur les journaux et les magazines français qui usaient et abusaient de ses analyses et de son savoir. Je n’y ai rien trouvé. Pas une nécrologie qui mérite ce nom. Nulle trace de celui qui a tant aimé la France et parlé sa langue avec brio. Rien qui rappelle le dernier Persan de Paris, qui symbolisait un trait d’union entre l’Iran et l’Occident.

Ainsi mon copain est-il mort dans le silence et l’anonymat. Toute une vie de labeur et personne pour saluer sa mémoire. Alors, que puis-je faire, moi ? À part lui offrir, en signe de reconnaissance, cette page d’un journal qu’il préférait entre tous et, en guise de prière, ces vers du grand mystique persan Djalal al-Din Rumi, qu’il aimait citer :

"Musulmans, vous me demandez ce que je suis ?

Je ne suis ni musulman, ni chrétien, ni juif, ni zoroastrien.

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Je suis à moitié d’ici et à moitié de partout.

Je suis à moitié des perles de la mer et à moitié des rivages lointains."

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Ehsan Naraghi, sociologue et historien iranien. © DR

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