Burkina Faso : attention, fragile…
Rinaldo Depagne est directeur du projet Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group (ICG)
Burkina Faso : à plein régime
Dès juillet 2013, l’International Crisis Group alertait sur les risques d’une crise grave au Burkina Faso. Ces craintes se confirment aujourd’hui. La succession du président Compaoré, au pouvoir depuis plus de vingt-six ans, et son éventuelle candidature à la présidentielle de 2015 alors que la Constitution l’interdit divisent de plus en plus la classe politique et la population. Le 30 janvier, trois dignitaires religieux – musulman, protestant et catholique – ainsi qu’un ancien chef d’État, Jean-Baptiste Ouédraogo, ont eux aussi sonné l’alarme. Dans une déclaration publique, ces quatre sages soulignent "le risque grave d’une déchirure violente, si la question de l’après-2015 n’est pas traitée avec délicatesse et grand soin, dans le cadre d’une formule de transition apaisée". Ils ont ensuite lancé une médiation qui a peu de chances d’aboutir sans un engagement public du président Compaoré de ne pas briguer un nouveau mandat.
Pour l’opposition, le respect de l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels, n’est en effet pas négociable. Pas plus que les moyens qui permettraient de le modifier : un référendum évoqué comme une possibilité par Blaise Compaoré en décembre 2013 et la création d’un Sénat qui, dans sa version actuelle, selon plusieurs responsables de l’opposition, autoriserait sa modification par la voie législative.
Le camp présidentiel s’est assis à la table de la médiation conduite par Jean-Baptiste Ouédraogo, mais sans s’engager clairement sur la non-révision de l’article 37. Or, même si elles ont du sens, les propositions de la médiation, qui portent notamment sur "l’ouverture d’une transition démocratique apaisée au terme du mandat du président, des garanties de sécurité et l’acceptation d’une formule de Sénat aménagée", ne pourront être acceptées par l’opposition sans la garantie que Blaise Compaoré quittera bien son poste en 2015.
Le président et son entourage doivent prendre conscience de leur fragilité, de l’impasse dans laquelle ils se sont engagés et de la nécessité d’abandonner leur projet de maintien au pouvoir. En quelques semaines, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti présidentiel, a enregistré la démission de 204 cadres nationaux et régionaux. Ces dissidents ont créé une nouvelle formation politique, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), conduite par l’ancien président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré.
Dans les prochains mois, d’autres fractions du CDP et de l’opposition pourraient rejoindre le MPP pour en faire une formation capable de concurrencer le parti présidentiel et d’inverser le rapport des forces politiques.
Blaise Compaoré a aussi perdu le soutien d’une partie de la chefferie coutumière des Mossis, l’ethnie majoritaire du Burkina, pilier électoral de son régime, dont l’un des plus hauts représentants a démissionné du CDP.
Cette crise, qui n’est pour le moment que politique, se déroule dans un environnement social instable où les causes de la révolte populaire du premier semestre 2011 sont encore présentes. La croissance forte n’empêche pas l’extrême pauvreté et la répartition inégale de la richesse. Le Burkina est désormais pris dans l’étau d’une bataille de succession qui divise l’élite de la société et d’un très fort mécontentement social qui agite sa base. Si Blaise Compaoré s’entête à vouloir se maintenir au pouvoir, il risque de réunir ces deux extrémités et de donner à la crise actuelle une dimension plus violente.
Le président peut épargner à son pays ce scénario aux conséquences imprévisibles. Il doit rendre l’alternance possible afin de faire accéder le Burkina à un niveau de démocratie qu’il a souvent revendiqué sans jamais l’atteindre. Il est encore temps pour lui de respecter l’article 37 de la Constitution, qui a déjà été modifié en 1997 afin de lui permettre de conserver son fauteuil. Sans cela, Blaise Compaoré risque de faire perdre à son pays l’un des principaux acquis de sa longue présidence : la stabilité.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Burkina Faso : à plein régime
Les plus lus – Politique
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello
- À Casablanca, la Joutia de Derb Ghallef en voie de réhabilitation
- Présidentielle en Côte d’Ivoire : la stratégie anti-fake news d’Alassane Ouattara
- En RDC, la nouvelle vie à la ferme de Fortunat Biselele
- Gabon : 10 choses à savoir sur la première dame, Zita Oligui Nguema