Burkina Faso : Compaoré en pleine zone de turbulences
Le président burkinabè, Blaise Compaoré, est confronté à une fronde sans précédent. D’anciens cadres de son parti ont rejoint les rangs d’une opposition requinquée. En cause : sa volonté supposée de se maintenir après 2015, terme constitutionnel de son dernier mandat.
Burkina Faso : à plein régime
Un médiateur au pays du médiateur, cela ne s’invente pas. En l’espace de quelques semaines, le président burkinabè, qui, ces dernières années, a prodigué ses bons offices dans la quasi-totalité des pays de la sous-région traversant une crise politique, est passé de l’autre côté de la barrière. Aujourd’hui, c’est lui qui a besoin d’un arbitre pour régler "sa" crise. En l’occurrence, le seul de ses prédécesseurs encore en vie, l’éphémère président de la période présankariste, Jean-Baptiste Ouédraogo. Fin janvier, ce dernier est sorti de sa longue retraite politique pour tenter, avec trois dignitaires religieux, de renouer le dialogue entre une opposition de plus en plus forte et un président plus affaibli que jamais.
Tout est allé très vite. Il y a six mois, le Burkina était, aux yeux de la communauté internationale, un îlot de stabilité dans un océan d’incertitudes. Après la vague de manifestations de 2011, le climat social était apaisé. Seule l’université, éternel volcan en ébullition au Burkina, représentait un motif d’inquiétude pour le régime. Quant à l’armée, que le chef de l’État a lui-même reprise en main après les mutineries de 2011, elle semblait ne plus être une menace. Les élections municipales et législatives de décembre 2012 avaient confirmé la mainmise du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir) sur la vie politique, même si l’opposition en était sortie requinquée. Et les résultats économiques du pays sont cités en exemple.
Mais tout le monde savait que ce solide édifice – dont même les opposants les plus acharnés louent certaines vertus, notamment les avancées démocratiques – ne tenait qu’à un fil. Ou plutôt à une question : celui qui dirige le pays depuis plus de vingt-six ans va-t-il se représenter en 2015 ? En l’état, la Constitution le lui interdit, son article 37 limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. Mais le 12 décembre, au lendemain de la fête nationale, Blaise Compaoré a brisé le silence qu’il s’imposait depuis des mois sur le sujet. En déclarant que "la Constitution n’interdit pas de modifier l’article 37" et que, si les acteurs politiques ne s’accordaient pas sur cette question, il pourrait recourir au référendum, il a tombé le masque. Et ouvert la boîte de Pandore.
75 membres du bureau politique démissionnent avec fracas
* Article publié dans le Jeune Afrique N°2772 en kiosque du 23 février au 1er mars
Trois semaines plus tard, son parti implose. Le 4 janvier, 75 membres du bureau politique du CDP démissionnent avec fracas, dont 3 des principaux architectes qui, avec Compaoré, ont façonné son régime pendant deux décennies : Roch Marc Christian Kaboré, qui fut longtemps considéré comme son dauphin, dirigea le CDP pendant treize ans et présida l’Assemblée nationale pendant dix ans ; Salif Diallo, son ex-bras droit, qui connaît tous les secrets de Blaise ; et Simon Compaoré, l’une des figures les plus populaires du CDP, qui fut maire de Ouagadougou pendant dix-sept ans. Tous dénoncent la "caporalisation" du CDP et, surtout, la volonté du patron de rempiler en 2015. "Cela faisait des années qu’ils attendaient ce moment, dit un proche du président. Ils pensaient que leur tour était venu."
Pour l’heure, personne ne connaît l’ampleur de ce qu’Ablassé Ouédraogo, ancien cadre du CDP passé à l’opposition il y a quelques années, a appelé "un séisme". Les jours suivants, d’autres figures du CDP, dont le député Victor Tiendrébéogo, l’un des ministres les plus influents du Mogho Naba, le roi des Mossis, ont rejoint les rangs des démissionnaires au sein de leur nouveau parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Et les départs des cadres locaux se sont multipliés.
Des dizaines de milliers de Burkinabè pour dire non à la création du Sénat et à la modification de l’article 37
Compaoré a senti le vent du boulet lorsque, le 18 janvier, l’opposition et de nombreuses organisations de la société civile (lire pp. 80-82) ont rassemblé, dans les rues des principales villes du pays, des dizaines de milliers de Burkinabè pour dire non à la création du Sénat et à la modification de l’article 37 – de mémoire de suiveurs, du jamais vu depuis l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en 1998. Ce jour-là à Ouagadougou, le très libéral Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition, qui incarne le front du refus depuis les législatives de 2012, a marché main dans la main avec le nouvel opposant Roch Marc Christian Kaboré, le sankariste Bénéwendé Sankara et le socialiste Arba Diallo, pendant que les militants du Balai citoyen, peu amènes avec la classe politique, acclamaient Simon Compaoré. L’opposition se dit disposée à dialoguer avec le pouvoir, mais refuse tout compromis sur 2015. Pour elle, Compaoré doit partir. S’il ne le fait pas, "nous marcherons sur Kosyam", annoncent ses leaders. Rien ne dit que cette union de circonstance résistera au temps. Dans l’entourage du président, on pense qu’elle éclatera à l’approche des échéances électorales. Mais l’on admet que sa montée en puissance et la forte mobilisation de la société civile conjuguées aux démissions en masse au sein du CDP "sont de rudes coups". Et que le président "sait que sa marge de manoeuvre est étroite".
D’ores et déjà, la bataille d’influence a commencé. Kaboré and Co ont entrepris de séduire les chefs coutumiers et les Églises. Compaoré, lui, cajole les hommes d’affaires et, surtout, les soldats. Juliette Bonkoungou, une figure du CDP qui défend l’idée d’une "transition négociée", rappelle que l’armée est à la tête des systèmes de pouvoir depuis 1966 et que le risque est grand qu’elle décide de jouer les arbitres si le conflit persiste. Or de cet arbitre-là personne ne veut, ni Compaoré, ni ses adversaires, ni les pays voisins.
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