Libye : Khalifa ne sera pas calife
En lançant un calamiteux appel au renversement du pouvoir, Khalifa Haftar, cet ancien colonel de l’armée de Kadhafi passé par les camps de la CIA au Tchad, a tiré ses dernières cartouches.
Hymne national en fond sonore, une carte de la Libye à l’arrière-plan. Quand Khalifa Haftar, 71 ans, apparaît en direct sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya, le 14 février, c’est la surprise. Tenue militaire, voix monocorde, il lit péniblement son prompteur. Son communiqué au nom de l’armée libyenne est confus mais, à l’heure des généraux-sauveurs, le premier réflexe est de penser à un coup d’État. Après relecture de ses propos, on constate qu’il ne s’agit pas de proclamer un putsch mais d’appeler l’armée à prendre le pouvoir "en attendant de nouvelles élections". Dans les faits, aucun mouvement de troupes ni opération violente n’ont suivi la diffusion du communiqué. "Un communiqué no 1 peu banal, puisqu’il s’agit d’un coup d’État télévisuel", ironise Mustapha Abou Chagour, un ancien membre du Conseil national de transition (CNT). À Tripoli, la blague passe mal : le chef d’état-major Abdessalam el-Obeidi lance un mandat d’amener à l’encontre du général ambitieux.
>> Lire aussi : coup de bluff pour tentative de coup d’État ?
En choisissant cette forme de happening, Khalifa Haftar remue de vieux souvenirs. Car l’officier supérieur n’est pas un inconnu de la politique libyenne. Il en a même été l’un des antihéros les plus pathétiques à la fin des années 1980.
Haftar prend le commandement de l’Armée nationale libyenne
Dans la galaxie des "contras" libyens, qui pullulaient à N’Djamena, Khalifa Haftar était la star montante. Ancien colonel de l’armée du "Guide", il avait été fait prisonnier par les troupes de Hissène Habré, menées par un certain Idriss Déby, durant la bataille de Ouadi-Doum, qui scella la fameuse "guerre des Toyota". En octobre 1987, le président tchadien ne sait pas quoi faire de ces deux mille prisonniers de guerre que Kadhafi ne veut pas reconnaître. La CIA et ses alliés saoudien et irakien voient là l’opportunité de maintenir la pression sur "le chien fou du Moyen-Orient". Une partie des anciens soldats du "Guide" se voient proposer une solde, un traitement correct et un régime de semi-liberté en échange de leur collaboration aux tentatives de déstabilisation de Kadhafi. Une offre de mercenariat que Haftar saisit au vol. C’est lui qui prend le commandement de l’Armée nationale libyenne (ANL), branche armée du Front national pour le salut de la Libye (FNSL). Leader de ce mouvement d’opposition mi-parti mi-milice, Mohamed el-Megaryef, futur président du Congrès général national (CGN), n’était lui-même pas très regardant sur les moyens employés pour abattre Kadhafi. "Les Irakiens livraient les armes et les Saoudiens réglaient la facture", résumait J.A., en décembre 1990, dans une enquête exclusive sur les "Contras libyens".
Mais les plans d’invasion de la Libye tournent court avec la déposition de Hissène Habré par Idriss Déby, en 1990. C’est l’occasion pour Kadhafi de récupérer ses anciens soldats retournés contre lui, d’autant que Déby veut s’en débarrasser au plus vite. Mais les Américains sont plus prompts. Avec l’aide des Français, ils affrètent des avions pour évacuer les "contras d’Am Sénéné", avant de les trimbaler dans un drôle de périple africain, un temps au Nigeria, puis au Zaïre – après un vote hostile du Congrès américain, Mobutu menace de les extrader vers Tripoli – et au Kenya. Trois cents hommes finissent par rejoindre les États-Unis. Haftar atterrit à Vienna, en Virginie, à quelques kilomètres du siège de la CIA. Pendant vingt et un ans, il résidera à proximité du site de Langley. Il ne se met pas au vert, continue de comploter. Il voyage beaucoup en Europe et participe à la "conjuration des Warfalla", une tentative de coup d’État éventée fin 1993.
Quand il réapparaît le 14 mars 2011, c’est dans Benghazi, tombé aux mains des rebelles. Haftar joue des coudes pour un poste dans la rébellion, mais les places sont prises. Entre le général Omar Hariri, chargé des affaires militaires au CNT, et le général Abdelfattah Younès, commandant en chef des forces rebelles, l’ancien contra arrive un peu tard. Il continue pourtant de jouir d’une certaine aura en Cyrénaïque et surtout dans sa ville natale d’Ajdabiya. Haftar est tout de même nommé général des forces rebelles. Mais, depuis fin 2011, il végétait à Benghazi en rêvant d’un autre rôle. Pour lequel il n’était pas taillé.
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