Maroc – Tunisie : deux Constitutions avant-gardistes

Thierry Rambaud est professeur de droit public à l’université Paris-Descartes et à Sciences-Po.

Publié le 24 février 2014 Lecture : 3 minutes.

Charte fondamentale d’un État, une Constitution remplit nécessairement plusieurs fonctions. Certes, il s’agit en premier lieu de la norme suprême et fondamentale d’un ordre juridique national, mais elle exerce également une fonction de premier plan sur les plans politique et symbolique. De ce point de vue, si on ne qualifiera pas le modèle tunisien d’"exception", comme pour le modèle marocain (L’Exception marocaine, sous la direction de C. Saint-Prot et de F. Rouvillois, Ellipses, 2013), le nouveau texte constitutionnel traduit incontestablement, après quelques inquiétudes survenues lors des débats devant l’Assemblée nationale constituante (ANC), un bien agréable retour du "printemps" en Tunisie.

La nouvelle Constitution, adoptée à une très large majorité par l’ANC (200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions) le 26 janvier 2014 et signée dès le lendemain par les plus hautes autorités de l’État, marque une avancée considérable dans l’histoire moderne de la Tunisie, avancée en faveur, comme le souligne le préambule, d’"un régime républicain démocratique et participatif dans le cadre d’un État civil et gouverné par le droit et dans lequel la souveraineté appartient au peuple, qui l’exerce sur la base de l’alternance pacifique à travers des élections libres". La Constitution, toujours selon le préambule, a été élaborée dans le prolongement et la mise en oeuvre des "objectifs de la révolution de la liberté et de la dignité du 17 décembre 2010-14 janvier 2011". Elle remplace la Constitution de 1959, suspendue en 2011.

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Comportant 146 articles, la récente Constitution tunisienne est un peu plus brève que la Constitution marocaine de 2011, qui se compose pour sa part de 180 articles. Les deux textes, élaborés selon deux procédures constituantes différentes, présentent cependant un certain nombre de points de convergence, au premier rang desquels un choix clair en faveur de la réalisation d’un État de droit et de la garantie des libertés fondamentales. Il suffit ici de se référer à la formulation explicite de la liberté de conscience et de croyance, ou encore à celle des droits de la femme dans les deux Constitutions (article 19 de la Constitution marocaine et article 46 de la Constitution tunisienne).

Le statut de l’islam n’est pas exactement identique dans les deux textes constitutionnels.

Le statut de l’islam n’est pas exactement identique dans les deux textes constitutionnels. En effet, l’article 3 de la Constitution marocaine dispose que "l’islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes", alors que l’article 1er de la Constitution tunisienne énonce que "la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime". L’islam paraît être davantage la religion du pays que celle de l’État, qui constitue un "État à caractère civil fondé sur la citoyenneté". Et, contrairement aux Marocains et aux Égyptiens, les Tunisiens n’ont pas mentionné la charia comme source du droit. Le préambule reconnaît "l’attachement du peuple aux enseignements de l’islam et à ses finalités caractérisées par l’ouverture et la modération, par des nobles valeurs humaines et des principes des droits de l’homme universels".

D’autres différences existent, bien évidemment ; le Maroc est une monarchie, la Tunisie une république. Néanmoins, il est manifeste que les deux Constitutions traduisent des choix cruciaux en faveur de l’État de droit et de la garantie des droits fondamentaux qui obligent les constitutionnalistes et politologues à renouveler les travaux classiques sur les régimes politiques arabes et à envisager, sous réserve bien évidemment de l’application qui sera faite de cette boîte à outils constitutionnelle, une nouvelle phase dans l’émergence d’un constitutionnalisme arabe renouvelé. Ce dernier, alors qu’il s’efforce certes de respecter les standards internationaux en matière d’État de droit et de gouvernance publique, ne devra pas seulement être analysé à l’aune des représentations et conceptions juridiques du "constitutionnalisme occidental", mais bien davantage satisfaire aux exigences de la préservation d’une identité dont les deux Constitutions soulignent qu’elle répond à une nécessité véritable pour l’avenir du Maghreb comme pour celui du Moyen-Orient.

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