Cameroun – Centrafrique : voisinage à risques
Les affrontements qui font rage en Centrafrique risquent fort d’ébranler Yaoundé. Ce qui ne semble guère inquiéter le président camerounais, Paul Biya, très discret sur le terrain diplomatique.
Alors que les canons tonnaient à l’est, en Centrafrique, le coeur du Cameroun, lui, battait ce 20 février à Buea, dans le Sud-Ouest, pour la célébration du cinquantenaire de sa réunification. Les festivités, dont le coût s’élève à 35 milliards de F CFA (environ 53 millions d’euros), commémoraient l’unification des Cameroun anglophone et francophone par un colloque, des parades, de la musique, comme pour couvrir le bruit et la fureur qui accompagnent la descente aux enfers de la Centrafrique toute proche. Mais avoir pour voisin un État en déliquescence n’est pas sans conséquences, notamment sur l’économie.
Selon El-Hadj Oumarou, coordonnateur général du bureau de gestion du fret terrestre, les pertes enregistrées par les camionneurs qui transportent à travers le Cameroun les marchandises destinées à la Centrafrique se chiffrent à 3,7 milliards de F CFA par mois. En effet, les camions hésitent à emprunter l’axe routier névralgique qui relie Bangui, la capitale de ce pays dépourvu de façade maritime, au port camerounais de Douala, en dépit du dispositif de sécurité instauré par la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca).
Le 17 février, non loin de la frontière, des miliciens anti-balaka ont attaqué un convoi de camions, pourtant escorté par des militaires, provoquant plusieurs blessés. Les assauts répétés entravent sérieusement l’approvisionnement de Bangui – le 12 février, le Programme alimentaire mondial (PAM) a lancé à partir de Douala un pont aérien destiné à ravitailler la capitale centrafricaine, menacée par une pénurie de produits de consommation -, mais ils réduisent aussi le volume des échanges entre les deux pays.
Par ailleurs, les violences intercommunautaires en République centrafricaine ont obligé Yaoundé à organiser le rapatriement de près de 5 000 Camerounais qui y étaient établis par la compagnie aérienne Camair-Co et l’armée de l’air. Le pays a en outre vu affluer sur son territoire des milliers de Centrafricains fuyant les exactions des milices anti-balaka. Sans compter que les autorités financent également l’entretien, l’armement et les munitions des 850 soldats camerounais de la Misca.
Service minimum diplomatique
Malgré ces retombées déjà perceptibles, Yaoundé semble regarder ailleurs, tandis que Bangui s’enfonce. À première vue, le président, Paul Biya, fait le service minimum diplomatique, alors que son pays devrait jouer un rôle moteur dans les tractations en cours. "Ce n’est qu’une impression, relativise un diplomate. Le Cameroun s’active en coulisses." Sauf que Biya n’a assisté à aucune des six réunions sur la crise centrafricaine convoquées par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) à N’Djamena. "Mais, ajoute notre source, sur ce dossier, il avait une convergence de vues quasi parfaite avec le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, et n’avait donc pas besoin de monter en première ligne." Difficile à croire, connaissant les querelles entre chefs d’État pour le leadership régional.
Ses pairs, qui n’ignorent pas son goût pour la discrétion, ont également noté sans surprise l’absence du président camerounais lors des réunions du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Aux concertations régionales ce dernier préfère les arrangements en tête à tête. Ainsi en a-t-il été du transit par le Cameroun des hommes et du matériel de l’opération Sangaris, qui continue du reste de se servir du pays comme base arrière logistique. Début décembre dernier, Biya a rencontré le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en marge du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique. En voyage à Yaoundé fin décembre pour accueillir le père Georges Vandenbeusch, le prêtre français pris en otage puis libéré par le groupe islamiste Boko Haram, Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, a également eu un tête-à-tête avec le chef de l’État.
Sur ce dossier, Yaoundé a conservé plusieurs cartes dans sa manche. François Bozizé, le président renversé par la coalition rebelle Séléka, est l’un des principaux atouts dont dispose Biya. Il lui a offert l’asile en mars 2013 et lui a permis de réunir sa famille après sa fuite de Bangui. Le dirigeant camerounais pariait alors sur l’échec de Michel Djotodia, président autoproclamé. Les faits lui ont donné raison.
Un axe commercial indispensable pour Bangui.
Aucune ambition hégémonique
Et pourtant, avec ou sans Bozizé, le palais d’Etoudi garde sa sérénité. Quel que soit le pouvoir en place à Bangui, celui-ci doit s’accommoder de l’avantage géostratégique dont jouit son puissant voisin. "Nous n’avons aucune ambition hégémonique", jure Pierre Moukoko Mbonjo, le ministre camerounais des Relations extérieures. Il sait toutefois que la Centrafrique, en pleine tourmente, a besoin des ports camerounais pour ses échanges commerciaux. Et qu’à l’avenir elle ne pourra exporter son pétrole, récemment découvert, que par le pipeline Tchad-Cameroun, qui débouche à Kribi. Le présent et l’avenir de la Centrafrique ne peuvent donc se construire sans Yaoundé, même si celui-ci paraît délaisser la gestion de la crise qui secoue le pays voisin.
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