Mali : dans les pas d’IBK

Le président a imposé son rythme à ses collaborateurs, soumis à une rude pression de la part du « patron ». Parmi eux, une poignée de fidèles ont su gagner sa confiance.

Le chef de l’État (centre) et le Premier ministre, Oumar Tatam Ly (à g.). © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

Le chef de l’État (centre) et le Premier ministre, Oumar Tatam Ly (à g.). © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

ProfilAuteur_SeidikAbba

Publié le 5 mars 2014 Lecture : 6 minutes.

Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) n’a pas changé. Ceux qui l’ont connu à la primature, dans la seconde moitié des années 1990, ne sont pas surpris. L’homme est toujours aussi exigeant : "psychorigide" pour certains, "sans pitié" pour d’autres. La tenue vestimentaire des huissiers du palais de Koulouba, des membres de son cabinet et des ministres doit être irréprochable. Leur français ? Impeccable, à l’écrit comme à l’oral. Quant à la ponctualité, il est risqué de la prendre à la légère. Les soufflantes sont mémorables. "Tout le monde craint le président, avoue un proche. Cela nous oblige à faire des efforts." Au sein du gouvernement, il y en a même qui confient se rendre au Conseil des ministres avec la peur au ventre. D’autres, désireux d’imiter le langage châtié de leur patron, en deviennent ridicules.

Un changement toutefois : jadis parfois qualifié de tire-au-flanc, le président a imposé un rythme stakhanoviste à ses collaborateurs dès son élection, en août 2013. "Pour faire taire les critiques", précise l’un d’eux. Lui-même ne quitte le palais (où il ne dort pas, une partie du bâtiment étant toujours en ruines après le putsch de mars 2012) que tard le soir.

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Les personnes qui l’entourent n’ont pas vraiment changé non plus. Dans son premier cercle, on retrouve des hommes qui ont travaillé à ses côtés quand il était Premier ministre ou quand il occupait le perchoir de l’Assemblée nationale, dans la première moitié des années 2000.

Ainsi en est-il de Toumani Djimé Diallo, le secrétaire général de la présidence. Ce biologiste, issu de la même génération qu’IBK (il est son cadet de trois ans), a passé une partie de sa jeunesse en France, avant de rentrer au Mali au milieu des années 1980. Il fut l’un de ses chargés de mission à la primature, puis son conseiller spécial à l’Assemblée, avant de devenir le directeur de cabinet de Dioncounda Traoré lorsque celui-ci fut élu au perchoir en 2007. Malgré cette "infidélité", Diallo et IBK n’ont jamais rompu le lien. C’est avec lui que le président s’entretient en premier en arrivant le matin. C’est également lui qui dirige l’administration de la présidence, qui fait la liaison avec le gouvernement et qui écrit la plupart de ses discours. Seydou Nourou Keïta, l’adjoint de Diallo, fut lui aussi jadis un collaborateur du président.

L’un des plus jeunes collaborateurs du président

La deuxième personne qu’IBK croise en début de journée est Mahamadou Camara (un ancien de Jeune Afrique), son directeur de cabinet. Âgé de 36 ans, Camara, diplômé de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC), est l’un des plus jeunes collaborateurs du président. Son ascension fulgurante étonne certains observateurs. S’il n’a rejoint le chef de l’État qu’en 2010, lorsque l’échéance électorale approchait, il a rapidement gagné sa confiance. Durant la campagne, il était déjà son directeur de cabinet. Aujourd’hui, il gère à peu près tous les dossiers (sauf peut-être les plus sensibles, notamment sécuritaires) et fait le lien avec les hommes politiques, la société civile ou encore les religieux. Camara suit le président dans tous ses voyages, ou presque.

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Autre élément clé : Mahalmoudou Sabane. Son titre, "chargé de mission", n’est pas à la hauteur de celle qu’IBK lui a confiée. Cet intime du président depuis vingt ans, qui a été son attaché de cabinet à la primature et qui effectua la traversée du désert à ses côtés entre 2007 et 2012, s’occupe désormais de ses "affaires personnelles". Autant dire de tout.

À ces trois hommes est venu se greffer en octobre 2013 le colonel-major Moussa Diawara, un homme issu de la première promotion du prytanée militaire de Kati et qui jouit d’une bonne réputation au sein de l’armée. Son rôle, tout aussi crucial, est très différent. Nommé à la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE), un organisme directement rattaché à la présidence qui chapeaute l’ensemble des services de renseignements, à la place de Sidy Alassane Touré, un proche d’Amadou Haya Sanogo, Diawara jouit de la confiance la plus totale du président depuis qu’il a été son aide de camp dans les années 2000. Chaque jour, il réalise un compte rendu de ce que glanent les services de renseignements. Autre mission : réorganiser ces derniers, qui s’occupaient, sous la transition, "davantage de savoir qui couche avec qui que de traquer les trafiquants et les terroristes dans le nord du pays", selon l’aveu de l’un de ses agents.

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Diarrah a carte blanche pour amener les groupes rebelles à négocier

Le Nord. Un dossier que le président suit personnellement avec Cheick Oumar Diarrah, le ministre de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord. Lui aussi est un vieux compagnon : il était son conseiller à la primature, avant d’être nommé ambassadeur aux États-Unis. Depuis des mois, Diarrah a carte blanche pour amener les groupes rebelles autour de la table des négociations. Mais pour avancer sur cette question, IBK compte aussi sur ses propres réseaux (il connaît bien le Nord pour y avoir travaillé à la fin des années 1980), sur ceux de son épouse, sur Soumeylou Boubèye Maïga, le ministre de la Défense, et sur Zahabi Ould Sidi Mohamed, le ministre des Affaires étrangères. Sur cette question, le corps diplomatique et l’opposition craignent de voir ressurgir les pratiques clientélistes qui avaient cours sous Amadou Toumani Touré (ATT) et qui ont mené le pays à la faillite. "IBK semble emprunter la même voie. Ceux qui ont trempé dans les trafics sous ATT sont toujours là", observe un diplomate européen. Certains, qui s’étaient acoquinés avec des groupes rebelles, ont même rejoint les rangs de l’Assemblée sous les couleurs du parti au pouvoir.

Diarrah, Maïga et Sidi Mohamed sont, avec Mohamed Aly Bathily, le ministre de la Justice, les seuls ministres à rendre des comptes directement au président – tous les autres passent par le Premier ministre, Oumar Tatam Ly. Les quatre hommes suivent les dossiers jugés prioritaires par le président. "Quand nous sommes arrivés, nous avons découvert une situation désastreuse, indique un conseiller. Le leitmotiv de son action a été la normalisation. D’abord au sein de l’armée, avec la mise en application d’une chaîne de commandement unique. Ensuite avec les pays voisins, dont nous sommes parvenus à gagner la confiance. Enfin, en termes de bonne gouvernance : le président veut inculquer une culture de la sanction pour mettre fin à l’impunité." alliance. Mais pour l’opposition, le président cherche surtout à placer sa famille. Du népotisme, le système IBK ? "En apparence, on peut le voir comme ça, mais en réalité c’est plus complexe", explique un proche. La liste des membres de sa famille qui occupent une fonction officielle est longue : le ministre du Travail est le mari d’une des soeurs de l’épouse d’IBK ; le ministre délégué à la Promotion des investissements est son neveu par alliance ; le président de l’Assemblée nationale (et dauphin constitutionnel du président) est le beau-père de son fils, Karim Keïta, qui est lui-même député et qui, à 34 ans et sans aucune expérience en la matière, préside depuis peu la Commission défense à l’Assemblée nationale… "On n’avait jamais vu ça en Afrique", s’étrangle un ancien ministre. La première dame, Aminata Maïga Keïta, joue elle aussi un rôle majeur dans la galaxie IBK : elle le conseille et est très active sur certains dossiers. Si elle n’a pas encore de bureau à Koulouba, elle dispose d’un cabinet et de plusieurs chargés de mission.

Hollande en baisse

"Je ne comprends pas que Kidal ait été une exception. Pour un ami de la France comme moi, j’assiste avec beaucoup de dépit à un reflux de l’enthousiasme de la population malienne envers la France." Cette sortie amère du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), à la veille du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique de décembre 2013, avait jeté le trouble dans le pouvoir exécutif français. Depuis, "une franche explication" avec son homologue français, François Hollande, a eu lieu. Pourtant, le climat entre les deux capitales est encore loin de l’euphorie qui avait amené à organiser le 19 septembre une seconde investiture au stade de Bamako en l’honneur de Hollande et de quelques-uns de ses pairs africains. Le malentendu franco-malien sur la question du Nord était prévisible. Pendant la campagne électorale, le chef de l’État, qui n’était alors que le candidat du RPM, s’était engagé auprès de ses compatriotes à être intransigeant envers les groupes rebelles. Même si cela impliquait de croiser le fer avec l’allié français. Une fois élu, le kankeletigui ("l’homme qui n’a qu’une parole", en bambara) ne pouvait renoncer à l’engagement de redonner aux Maliens "leur fierté bafouée". Seidik Abba

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