Algérie : Igoujdal, le village qui ne dort jamais
Il y a vingt ans, les habitants de ce village de Kabylie repoussaient les intégristes dans les forêts alentour. Aujourd’hui encore, ils ont leurs fusils à portée de main. Et n’attendent rien de l’État algérien.
Oran, le 16 mars 1994. Il y a foule au cimetière pour les obsèques du dramaturge Abdelkader Alloula, abattu quatre jours plus tôt par un terroriste. Rédha Malek, le chef du gouvernement, prend la parole au milieu des pleurs. "La peur doit changer de camp", dit-il à ses compatriotes plongés dans la terreur des assassinats et des attentats. Moins de cinq mois plus tard, l’appel semble trouver écho, à des centaines de kilomètres, dans les montagnes du Djurdjura.
Nous sommes le 31 juillet 1994. Après une razzia dans plusieurs villages pour délester les habitants de leurs fusils de chasse, plus d’une cinquantaine de terroristes des Groupes islamiques armés (GIA) arrivent aux portes d’Igoujdal, 700 habitants, avec le même objectif : les armes. Las ! La population refuse de se soumettre. Après deux heures d’affrontement, les assaillants détalent et se replient dans ces maquis touffus qui enserrent une myriade de villages.
À l’époque âgé de 18 ans, Saïd, aujourd’hui fonctionnaire dans une sous-préfecture, a participé à cet accrochage : "Les habitants auraient été massacrés si nous n’avions pas été vigilants, confie-t-il. Nous avons défendu nos maisons, nos familles, notre honneur. Nos pères ont pris les armes en 1954 pour chasser le colonisateur français, nous avons fait de même contre les terroristes, qui tuaient, pillaient et violaient au nom de l’islam."
La population de ce patelin situé près du massif du Djurdjura
se sent abandonné des autorités. © Jamel Alilat
PATRIOTES
Des paysans de Kabylie qui repoussent l’assaut d’un groupe des redoutables GIA ? La nouvelle fait la une des médias locaux et étrangers. Hauts responsables et journalistes accourent vers ce patelin, devenu en quelques jours un symbole et un modèle de résistance contre ce terrorisme qui fait des dizaines de victimes quotidiennes. Ça y est, la peur a changé de camp. Prenant exemple sur Igoujdal, villages et contrées se rebellent contre les terroristes, tandis que des groupes de "patriotes" et "de légitime défense", armés et équipés par les autorités, se constituent aux quatre coins du pays pour collaborer avec les services de sécurité.
Vingt ans après le raid avorté, les habitants d’Igoujdal refusent de baisser la garde. Sadi Guelma, 38 ans, agent de sécurité à Tizi-Ouzou et membre d’une famille qui compte 38 "patriotes", garde toujours son fusil à portée de main. Il raconte que les gendarmes ont tenté un jour de récupérer les armes auprès de la population "pour qu’elles ne tombent pas entre les mains des terroristes". Devant la défiance des villageois, ils ont tourné les talons.
"Nous sommes les oubliés de la moussalaha el-wataniya ["réconciliation nationale"], dit Sadi. Nous étions aux côtés de l’État dans les années de feu et de sang, mais celui-ci nous a abandonnés. Des pères ont vendu des bijoux, d’autres leur bétail, des hommes ont perdu leur travail pour s’engager dans la résistance, sans rien gagner en retour. Cinquante-deux ans après l’indépendance, le village n’a ni gaz de ville, ni téléphone, ni internet. La route, ouverte par les militaires français durant la guerre, est défoncée, et le premier lycée est à 20 km. Quant au travail, il faut le chercher à Oran, à Alger ou en France."
Certes, aujourd’hui la menace terroriste s’est éloignée, mais des groupes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) se signalent sporadiquement par des attentats, des rapts ou des descentes dans les bars pour sermonner "impies" et "infidèles". Depuis dix ans, l’armée a pris le relais des résistants en quadrillant le massif montagneux, de campements en barrages. "Les terroristes peuvent revenir un jour", prévient Sadi, qui dit avoir constitué une réserve de munitions : "Nos yeux ne les voient pas, mais nos oreilles entendent parler de leur présence dans les forêts."
© Farid Alilat
Les Irréductibles d’aqmi
Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est devenu la nouvelle marque du maquis algérien : le réseau a absorbé ce qui restait des membres des Groupes islamiques armés (GIA) et de l’Armée islamique du salut (AIS). Selon des estimations des services de sécurité, il y aurait entre 300 et 500 combattants affiliés à Aqmi, dont les trois quarts se trouveraient dans les imprenables maquis du Djurdjura, en Grande Kabylie : de la forêt de Sidi Ali Bounab (wilaya de Boumerdès) au mont Zbarbar (Bouira) en passant par le massif de Yakouren (à 20 km à vol d’oiseau de Tizi-Ouzou), qui abrite le quartier général d’Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Aqmi. Deux groupes, enfin, seraient présents sur le mont Boudoukhane, dans l’est du pays, et dans la région saharienne d’El Oued. Ceux-ci sont en contact constant avec les jihadistes tunisiens (la frontière est à moins de 100 km) du mont Chaambi. Selon un officier chargé de la lutte antiterroriste, Aqmi peine à renouveler ses effectifs car le recrutement est de plus en plus difficile. Cela n’a pas empêché ses réseaux de convaincre plus de 250 jeunes Algériens de partir en Syrie, via la Turquie, pour rejoindre le Front al-Nosra. Cherif Ouazzani
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