Algérie : « Travailler main dans la main avec des assassins, c’était insupportable »

Sous le couvert de l’anonymat, un officier de la lutte antiterroriste se souvient de la guerre civile et critique une réconciliation à marche forcée.

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Publié le 7 mars 2014 Lecture : 2 minutes.

"Au début du terrorisme, en 1992, nous avions face à nous des vétérans de l’Afghanistan, rompus aux armes de guerre, au maniement des explosifs et aux techniques de guérilla. En revanche, nous-mêmes étions peu préparés, nous avons dû apprendre sur le terrain. L’Algérie étant sous embargo, nous ne disposions pas de moyens sophistiqués, mais nous n’en étions pas moins animés par la foi et la volonté de défendre le pays.

"La guerre contre le terrorisme est sale. Parfois, dans le feu de l’action, nous n’avions pas le temps ou les moyens de faire des prisonniers. En face, les terroristes ne faisaient jamais de cadeau. Dans les maquis, en ville, dans les campagnes, partout, notre mission était de surveiller les groupes armés, de les déstabiliser, de les infiltrer, de les traquer, de les éliminer. Pour l’opération qui permit, en juillet 1998, de neutraliser Hocine Flicha, chef des GIA [Groupes islamiques armés] à Alger, nous étions 400 membres des forces spéciales à investir les forêts de Bouzaréah, où il s’était caché dans une grotte avec ses hommes. Nous les avons tous tués. L’élimination d’Antar Zouabri [alias Abou Talha], émir national des GIA, a nécessité six années de filature. Nous l’avons abattu le 8 février 2002 dans l’appartement de Boufarik où il se cachait.

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"À l’époque, le commandement militaire était soudé autour de la lutte contre le terrorisme. Quand des unités de combat rentraient à la caserne sans un élément, c’était un vrai drame. Après la grâce de janvier 2000, les chefs nous ont expliqué que les repentis devraient collaborer avec nous. Quand vous découvrez dans un douar une femme éventrée, des corps décapités, des bébés égorgés, des familles massacrées à la hache, il y a de quoi devenir fou. Nous étions d’accord pour la concorde civile de 1999 ; mais travailler main dans la main avec les terroristes, c’était insupportable. Nous pouvions accepter que ceux qui avaient tué, massacré, violé, soient graciés après avoir été jugés ; mais combattre aux côtés des assassins, c’était inadmissible.

"J’ai compris qu’une page s’était tournée le jour où un haut responsable, en visite dans une caserne de bérets rouges, a ordonné que l’on décroche les portraits des militaires morts en service commandé, sous prétexte que les photos portaient un coup au moral des troupes. J’ai compris qu’on ne voulait garder ni traces ni souvenirs de ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays, car on avait décrété que la paix était revenue grâce à la réconciliation.

"Une bonne partie de mes amis et collègues qui ont mené la lutte antiterroriste pendant dix ans ont été écartés, se sont mis en retrait ou sont au chômage. Commandant après vingt-six années de services, j’ai obtenu une médaille du mérite, une pension mensuelle de 81 000 dinars [environ 750 euros], une prise en charge pour les soins et 50 % de réduction sur les billets d’avion, mais toujours pas de logement ! Mais si c’était à refaire, je prendrais de nouveau les armes pour défendre mon pays."

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