Algérie : « Nabil » et les maquisards du GIA, ni regrets ni excuses

Aujourd’hui installé en France, « Nabil » a autrefois dirigé une katiba de 70 personnes. S’il décrit le maquis comme « l’enfer avant l’enfer », il ne renie rien de son passé.

Peu après le massacre de Sidi Hamed qui a fait plus de 100 morts. © AFP

Peu après le massacre de Sidi Hamed qui a fait plus de 100 morts. © AFP

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Publié le 11 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Appelons-le "Nabil". Il refuse de divulguer son identité et la ville où il réside, "pour ne pas avoir de soucis avec les autorités françaises". Dans une autre vie, cet homme né en 1962 en banlieue parisienne a dirigé un groupe terroriste algérien, avant de bénéficier d’une grâce présidentielle, en janvier 2000. Patron d’une entreprise de BTP en France depuis 2006, il dit avoir définitivement rompu avec son passé tumultueux. "J’ai tourné la page, confie-t-il assis dans une brasserie de la capitale. Le maquis, c’est le sang, la mort, l’ignorance, les règlements de comptes, la faim, la canicule, le froid, les suspicions, les complots. L’enfer avant l’enfer. Je conseille à ceux qui sont encore dans le maquis d’y renoncer."

Pourtant, quatorze ans après avoir déposé les armes, Nabil ne renie rien de son combat et exclut de demander pardon aux victimes du terrorisme. "Des excuses ? Jamais ! Nous n’avons pas pris les armes contre le peuple, mais contre ceux qui nous ont réprimés et oppressés." Sympathisant du Front islamique du salut (FIS) à Sétif au début des années 1990, Nabil est arrêté en février 1992 et incarcéré, sans jugement, dans un camp de sûreté d’Aïn Mguel, dans l’extrême sud de l’Algérie. Il y restera trois ans. "Ce centre où se concentrent haines, violences et rancoeurs a été une école de formation à la guérilla, raconte-t-il. Les détenus n’avaient qu’une seule envie : se venger de tout ce qui porte un uniforme."

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Libéré fin 1995, Nabil découvre un pays plongé dans la guerre. Il rejoint les maquis des Groupes islamiques armés (GIA) dans les montagnes des Babors, où officie alors un dénommé Abou Talha. "Une brute d’une sauvagerie inouïe, soupire-t-il. Il kidnappait des bergers illettrés et les transformait en machines à tuer qui ne faisaient jamais de prisonniers." Nabil prend du grade au fil des mois. Il devient émir d’une katiba de 70 personnes spécialisée dans le racket et l’extorsion de fonds. "Nous récoltions plus de 4 millions de dinars par mois [l’équivalent de plus de 37 000 euros aujourd’hui], se souvient-il. L’argent servait à aider les familles des combattants et à acheter armes, munitions, vêtements, médicaments et nourriture." Bien sûr, Nabil et ses hommes mènent aussi des attaques contre les forces de l’ordre, mais lui jure n’avoir "jamais tué de [ses] propres mains". Une rengaine commune à de nombreux "repentis"…

"Trouver du travail, autant ne pas y songer"

Rompant les liens avec les GIA, Nabil rejoint à Jijel les campements de l’Armée islamique du salut (AIS), qui a signé dès octobre 1997 une trêve avec l’armée, en attendant la grâce. Celle-ci tombe le 11 janvier 2000. Comme 6 000 autres combattants de l’organisation dissoute, Nabil remet son arme, obtient en échange un certificat de "grâce amnistiante" et rentre chez lui. Une nouvelle vie commence. "Mais au tribunal, à la mairie, à la daïra [sous-préfecture], les agents de l’administration nous mettaient des bâtons dans les roues, dit-il. Dans la rue, les gens étaient corrects, bien qu’au fond ils nous considéraient toujours comme des assassins, des parias, des terroristes. Quant à trouver du travail, autant ne pas y songer."

Grâce à ses réseaux, l’ex-émir décide alors de collaborer avec les services de sécurité. "Sous la protection de l’armée, nous montions dans les maquis pour convaincre les combattants de déposer les armes, se souvient-il. Nous avions réussi à récupérer dix-huit enfants, quinze femmes et une cinquantaine d’hommes, dont quelques-uns – de vrais sanguinaires – étaient aux côtés d’Abou Talha. Le soir de leur reddition, ils ont même partagé un couscous avec des officiers. Toutefois, certains refusèrent la réconciliation car ils ne faisaient guère confiance aux autorités. D’autres étaient irrécupérables tant ils avaient perdu toute humanité." Quand il évoque ses ex-compagnons de jihad, Nabil éprouve du ressentiment et de l’amertume. "Certains de ceux qui étaient sous mes ordres sont devenus milliardaires, alors que je suis descendu du maquis les poches vides", soupire-t-il.

Tuer ou mourir

Recrutés dans les villages et les hameaux ou enrôlés de force, bergers et jeunes analphabètes ont subi des séances d’endoctrinement avant le passage à l’acte. Les rites initiatiques sont divers. L’un consiste à obliger l’apprenti terroriste à égorger en public un prisonnier, sous les cris d’"Allah Akbar". Un autre est encore plus cruel. Face à un supplicié attaché à un arbre, les nouvelles recrues sont tenues de planter une hache dans le crâne de la malheureuse victime. Celui qui réussit le test est apte au jihad, celui qui hésite, refuse ou perd connaissance est exécuté sur le champ, souvent au couteau. "C’est qu’une balle coûtait 1 000 dinars [environ 9 euros aujourd’hui], témoigne Nabil. Il ne fallait pas gaspiller les munitions."

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