Cameroun : Atangana et Edzoa, touchés par la grâce

Le 18 février, le président Paul Biya a accordé une remise de peine à d’emblématiques prisonniers. Parmi eux, Michel Thierry Atangana et Titus Edzoa, détenus depuis… dix-sept ans. Ils ont été libérés lundi en fin de soirée.

Michel Thierry Atangana, détenu depuis dix sept ans. © Reinnier KAZE / AFP

Michel Thierry Atangana, détenu depuis dix sept ans. © Reinnier KAZE / AFP

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Publié le 25 février 2014 Lecture : 6 minutes.

Yaoundé, le 18 février. Jean-Charles Allard, le premier conseiller de l’ambassade de France, se présente à la prison secondaire du secrétariat d’État à la Défense (SED). Il est porteur d’une bonne nouvelle pour Michel Thierry Atangana : sauf catastrophe, le Franco-Camerounais pourra enfin recouvrer sa liberté si les autorités tiennent parole. En fin d’après-midi, alors que le diplomate quitte les lieux, la radio nationale lit un décret du chef de l’État, Paul Biya, accordant des remises de peine à plusieurs catégories de prisonniers.

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Jargonneux et laconique, le texte énumère les conditions requises pour en bénéficier, sans mentionner explicitement aucun nom. Si bien qu’Émile Kwegueng, l’un des animateurs du comité de soutien du détenu, hésite à se réjouir, après tant d’espoirs déçus, de ce qu’il vient d’entendre. Un appel téléphonique va cependant dissiper ses derniers doutes : "Vous avez gagné, il est libre. Le paragraphe 5 du décret est taillé à sa mesure", lui indique un magistrat de la Cour suprême, cette juridiction qui avait pourtant rejeté, le 17 décembre 2013, le pourvoi en cassation d’Atangana.

À 49 ans, dont dix-sept passés dans cette cellule humide de 7 m2, Atangana s’extirpe d’un long cauchemar. Ce piège qui s’est refermé sur lui alors que, jeune cadre ambitieux envoyé au Cameroun en 1994 par la Lyonnaise des eaux, il s’était laissé tenter par la proposition de prendre la présidence d’une structure publique, le Comité de pilotage et de suivi des projets routiers. Il finira emmuré dans cette caserne-prison qui lui a volé une partie de sa vie, a miné sa santé et détruit sa famille.

À la va-vite

Le 24 février, Atangana a enfin quitté sa cellule pour se rendre directement à l’ambassade de France, d’où il partira pour Paris. Selon ses proches, il compte se reposer, passer des examens médicaux, soigner ses problèmes de décalcification dentaire et une perte d’acuité visuelle récemment diagnostiquée. "Il est serein et souhaite retrouver ses deux fils, âgés de 18 ans et 23 ans, confie sa soeur, Honorine Ewodo. Ils vont devoir apprendre à se connaître. Même s’il ne peut pas rattraper le temps perdu, Michel veut devenir le père qu’il a toujours souhaité être."

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Paul Biya a donc fini par élargir le prisonnier le plus célèbre du SED, condamné deux fois pour les mêmes faits de détournement d’argent public. Une détention abusive aux yeux de la France, où ce fils d’un préfet et d’une greffière effectua ses études de finances avant d’en acquérir la nationalité. En effet, avec son codétenu, Titus Edzoa, le jeune homme avait été jugé à la va-vite et condamné, le 3 octobre 1997, à quinze ans d’emprisonnement, puis, de nouveau, à vingt ans de réclusion, le 4 octobre 2012, à l’issue d’un deuxième procès enclenché au bout de sa première peine.

Trois années d’intenses pressions diplomatiques de la France ont été nécessaires pour obtenir la libération d’Atangana.

Trois années d’intenses pressions diplomatiques de la France ont été nécessaires pour obtenir la libération d’Atangana. Traité au départ par Bruno Gain, alors ambassadeur à Yaoundé, le dossier est ensuite remonté jusqu’à l’Élysée. Jugeant cette détention "inadmissible", le président François Hollande l’a évoquée à maintes reprises lors de ses entretiens avec son homologue camerounais. Pression, aussi, du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, qui a demandé en novembre 2013 la libération et l’indemnisation du détenu. Pression, enfin, des amis du prisonnier, notamment via son groupe de soutien auquel s’est joint le vibrionnant Dominique Sopo, ancien président de SOS Racisme. Même la Maison Blanche a été pressée d’annuler l’invitation adressée à Biya pour le sommet Afrique – États-Unis d’août prochain.

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Passant de la défense à l’attaque, Atangana a porté plainte, fin 2013 à Paris, contre trois ministres pour "détention arbitraire". Devenu une épine dans le pied du président, cet homme méthodique a patiemment tissé une toile qui est parvenue à gêner l’imperturbable régime de Paul Biya. Depuis plusieurs mois, le principe de sa libération était acquis. Ne restait plus au pouvoir camerounais, très chatouilleux sur les questions de souveraineté, qu’à trouver le moyen de l’élargir sans donner l’impression de céder à des injonctions extérieures. Pas question de prendre une mesure de clémence qui ne bénéficierait qu’au Franco-Camerounais ! Biya a donc choisi d’accorder une grâce collective.

Concerné par le décret, Titus Edzoa peut dire merci à son codétenu. Cet ancien secrétaire général de la présidence, dont Atangana fut le collaborateur, est celui par qui le malheur est arrivé. Conseiller et proche du chef de l’État pendant près de deux décennies, il avait démissionné du gouvernement avant de se porter candidat à la présidence, déclarant ainsi ouvertement la guerre à son ex-ami. Ce faisant, Edzoa annonçait, sans consulter l’intéressé, que son protégé serait son directeur de campagne. Alors qu’il n’était nullement tenté par la politique, le jeune homme se voyait ainsi embarqué, à son insu, dans le conflit opposant son Pygmalion au président, deux hommes qui allaient s’entredéchirer de toute la force de leur complicité jadis étroite.

Extinction de voix

C’est donc l’épilogue d’un feuilleton diplomatico-judiciaire dont l’homme d’affaires a été le héros involontaire. Ce dossier à rebondissements a eu le mérite de mettre au jour tous les travers de la justice camerounaise : en 1997, on n’a pas laissé aux accusés la possibilité de se défendre ; douze années d’information judiciaire ont été nécessaires à l’ouverture de la deuxième procédure ; lors de celle-ci, deux magistrats ont été délibérément remplacés à quelques jours du jugement ; parfois, des audiences ont été renvoyées pour cause d’absence d’un juge de la collégialité ; et même en Cour suprême, une audience a été renvoyée pour cause d’extinction de voix – vraie ou simulée – de l’un des magistrats ! Enfin, l’intéressé a effectué toute sa peine dans une caserne de gendarmerie qui n’est devenue "prison secondaire" qu’en mai 2012… En privé, des magistrats ont dénoncé des pressions. L’immixtion des hommes politiques dans les affaires judiciaires n’a jamais paru aussi évidente, et les dégâts sur l’image du Cameroun aussi importants.

Ce qui reste sur l’ardoise

La libération de Michel Thierry Atangana ne règle pas tous les aspects du litige qui l’oppose à l’État. La prochaine étape concernera le règlement par Yaoundé de la dette du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers (Copisupr) vis-à-vis des bureaux d’étude, fournisseurs, sous-traitants et autres entreprises impliquées dans l’exécution des chantiers. Nommé en 1994 à la tête de cette structure pour son carnet d’adresses et ses compétences d’ingénieur financier, Atangana a alors pour mission de réunir un consortium d’entreprises susceptibles de financer ces projets. Les groupes français Jean Lefebvre, Dumez et GTM, notamment, sont intéressés et débloquent une partie des financements. Atangana travaille alors sous la tutelle du secrétaire général de la présidence, Titus Edzoa. Seulement, au sein du régime, certains soupçonnent déjà Edzoa de vouloir se présenter à la présidentielle de 1997. Cela expliquerait sa "boulimie" financière, d’autant qu’il a étendu les compétences du Copisupr à la collecte des ordures, au dragage du chenal du port de Douala et à la privatisation de l’opérateur télécoms historique… Justin Ndioro, alors ministre de l’Économie, et Adolphe Moudiki, patron de la puissante Société nationale des hydrocarbures, décident de faire barrage. Ils bloquent le versement de la part de l’État, paralysant ainsi le Copisupr. Lorsque Atangana est arrêté, les contrats ne sont pas résiliés. Or, selon les conventions, "en cas de retard de paiement d’un ou de plusieurs billets à ordre, toute somme impayée portera intérêt du jour de son échéance jusqu’au jour du paiement effectif au taux de 10,5 %, prorata temporis sur la base d’une année de 360 jours". Dix-sept ans après, la note à régler est estimée à 338 milliards de F CFA (515 millions d’euros)…

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