Le coup de Kiev

Éditorial du Jeune Afrique n°2772, du 23 février au 1er mars.

Publié le 24 février 2014 Lecture : 2 minutes.

Un pays totalement gangrené par la corruption. Un président qui, vautré dans le luxe d’un palais digne des mille et une nuits, se comporte comme un mafieux. Des manifestants qui réclament son départ et davantage de démocratie, mais qui, qualifiés de "terroristes" par la propagande d’État, sont tirés comme des lapins par sa police et ses snipers. Des scènes de guerre civile d’une violence inouïe dans les rues de la capitale et des morts par dizaines. Une justice aux ordres qui s’acharne sur les opposants et sur les médias. Des proches, et notamment un fils, qui, en quelques mois, ont amassé des fortunes considérables, on se demande bien comment puisqu’ils n’ont manifestement pas inventé le fil à couper le beurre. Cela ne vous rappelle pas furieusement quelque chose ? Non, nous ne sommes pas à Tunis, début 2011. Et pas davantage au Caire ou à Tripoli, quelques semaines plus tard.

Nous sommes au coeur de l’Europe de l’Est, en Ukraine, le deuxième pays du Vieux Continent par sa superficie, coincé entre la Roumanie, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Moldavie, la Biélorussie et la Russie. À trois heures de vol à peine de Paris ou de Bruxelles. Trois mois d’un face-à-face tendu entre une opposition proeuropéenne et un régime inféodé à Moscou, dans ce pays-Janus tiraillé depuis son indépendance, en 1991, entre ces deux pôles que tout oppose, ont abouti à ce qui ressemble fort à un point de non-retour, tant les positions des uns et des autres se sont radicalisées. Dans cette affaire, l’Europe, c’est un fait, s’est longtemps signalée par sa lenteur, sa mollesse et ses divisions. Mais, contre toute attente, son action discrète et prudente à l’excès a fini par porter ses fruits. Sous ses auspices, un fragile accord a pu être trouvé, le 21 février, entre le pouvoir et l’opposition. Quelques heures plus tard, le président Viktor Ianoukovitch a d’ailleurs confirmé la tenue d’une élection présidentielle anticipée. C’est un succès qui, certes, demande confirmation, mais un succès quand même.

Ianoukovitch n’a joué dans cette tragédie que le second rôle. Le premier est à l’évidence tenu par Vladimir Poutine.

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À plus ou moins long terme, le sort du chef de l’État paraît scellé. Comment imaginer [depuis que nous avons mis sous presse cet éditorial, Ianoukovitch a pris la fuite dans l’est du pays, NDLR] qu’il puisse continuer à diriger le pays après la présidentielle ? Comment croire que ses amis oligarques hésiteront une seconde à le sacrifier s’ils y voient le moyen de ne pas tout perdre ? Mais il ne faut pas se leurrer : Ianoukovitch ne joue dans cette tragédie que le second rôle. Le premier est à l’évidence tenu par Vladimir Poutine, dont la véritable obsession est de conserver, ou de faire revenir, les marches de l’ex-empire soviétique dans le giron de sa Russie. Par tous les moyens, fussent-ils les plus brutaux. Il n’en est certes pas à son coup d’essai, mais on ne peut exclure qu’il soit cette fois allé trop loin. Ce qui ne serait pas forcément une mauvaise nouvelle : au moins le masque est-il enfin tombé…

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