Kadhafi, Gbagbo, Assad…
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 28 février 2014 Lecture : 5 minutes.
"L’Histoire, si elle nous apprend quelque chose, c’est que rien ne marche tout à fait comme on l’a prévu ou souhaité : les plans ne se déroulent que rarement selon les lignes tracées par leurs auteurs."
"Les historiens ont besoin d’une perspective de vingt-cinq ans au minimum ou, mieux, de cinquante ans pour être en mesure de se faire, sur une question, un homme ou un groupe, une opinion qui ait de la valeur."
Relisant ces deux réflexions sur l’Histoire et les historiens, je me dis que ces derniers ont bien de la chance de pratiquer une si belle discipline, qui a pour elle le temps, ainsi que la possibilité de croiser témoignages écrits et documents en tous genres.
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Les journalistes, qu’on a qualifiés d’"historiens de l’immédiat", et les hommes politiques, qui, au pouvoir ou dans l’opposition, font l’Histoire, mais sans toujours savoir quelle histoire ils font, ne disposent, eux, ni du facteur temps ni de la moindre marge de sécurité.
Ils se trompent par conséquent plus souvent que les historiens, et l’on a pu dire que "l’exercice du pouvoir est une permanente rectification de la pensée et de l’action".
Cette longue introduction pour en venir à tenter de répondre à une question intéressante qui m’a été souvent posée par de nombreux lecteurs intrigués par un de ces paradoxes dont l’Histoire a le secret.
Ce paradoxe s’articule comme suit.
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En février 2011, il y a donc trois ans, Mouammar Kadhafi tombait sous les coups de ses assaillants intérieurs et extérieurs, le jeune putschiste idéaliste s’étant mué peu à peu en dictateur sanguinaire accaparant avec sa famille le pouvoir et les richesses de la Libye ; quelques semaines plus tard, en avril, Laurent Gbagbo était renversé à son tour, mais gardait la vie sauve, fort heureusement.
Entre ces deux issues dramatiques, en mars, débutait l’offensive contre le pouvoir du Syrien Bachar al-Assad, et l’on a pensé alors que la formidable coalition de forces intérieures et extérieures mobilisée contre son régime allait l’abattre en peu de mois. Or il est toujours en place et a même repris du poil de la bête.
Se pose alors, en effet, la double question suivante :
Pourquoi des hommes politiques aussi expérimentés que Kadhafi et Gbagbo, qui avaient su conquérir sans coup férir le pouvoir et s’y maintenir durablement, ont-ils chuté en quelques mois ?
Et pourquoi, à l’inverse, un Bachar al-Assad, homme politique de substitution car désigné par son père pour remplacer inopinément un frère décédé, aussi inexpérimenté qu’on peut l’être, défie-t-il tous les augures en se maintenant obstinément au pouvoir ?
Les politiciens occidentaux les plus chevronnés et les plus puissants – Hillary Clinton, Barack Obama, Nicolas Sarkozy et François Hollande, David Cameron… – ont annoncé plus d’une fois sa chute, la disant proche.
Ils se sont ainsi ridiculisés.
Lui a plié sans rompre et, trois ans après le début de la rébellion de la majorité de son peuple contre son régime, appuyée par l’Occident et les pays arabes les plus riches, il est en place et semble narguer ceux qui ont juré sa perte.
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Il s’avère que les hommes politiques qui ont voulu et prédit la chute de Bachar al-Assad et nous, commentateurs, qui leur avons emboîté le pas, avons péché par "wishful thinking" : nous nous sommes trompés lourdement parce que nous avons pris nos désirs pour la réalité, ce qui nous a empêchés, du moins dans les premiers temps, de lire correctement le rapport des forces en présence.
La conjoncture a, par ailleurs, contribué à nous induire en erreur : le Printemps arabe qui venait de se lever sur la Tunisie, l’Égypte et la Libye avait emporté en quelques semaines Ben Ali et Moubarak et, plus difficilement, Kadhafi. Nous en avions conclu un peu vite que le quatrième domino, le Syrien, allait tomber à son tour, comme un fruit mûr.
Une lecture plus attentive du rapport des forces aurait conduit à une conclusion différente que je vous livre en précisant qu’elle est plus facile à faire… après coup.
La chute de Gbagbo et de Kadhafi s’explique par le fait que ces deux hommes politiques ont coalisé contre eux des forces intérieures et extérieures considérables. Et, faute stratégique qui ne pardonne pas, ils sont entrés dans la bataille sans couverture, sans alliés et sans possibilité d’en avoir.
Ils ne pouvaient donc qu’être battus et mis hors de combat ou éliminés plus ou moins vite et plus ou moins facilement.
Bachar al-Assad et son régime auraient été emportés eux aussi s’ils n’avaient pas disposé d’alliés aussi puissants et déterminés que la Russie, l’Iran et, plus proche encore du théâtre des opérations, le Hezbollah libanais.
Et c’est parce que les Occidentaux et les pays arabes opposés à Bachar al-Assad n’ont pas assez tenu compte des alliés du régime syrien, de leur détermination et des moyens dont ils disposent qu’ils se sont trompés jusqu’ici sur sa capacité de résistance.
Il est bien connu des stratèges et des historiens que les guerres, voire les batailles, et autres épreuves de force sont généralement gagnées avant même d’être engagées.
Un accident, une erreur grave de l’un ou de l’autre camp peut certes altérer ou modifier le résultat. La valeur du commandement, le génie de généraux du calibre de Napoléon, Rommel ou Joukov compte, mais, à la fin des fins, c’est le rapport général des forces, l’étendue des ressources et cette "force morale qui plus que le nombre" décident de la victoire et déterminent l’issue d’un conflit.
Avec leurs maigres alliances et leurs ressources limitées, Hitler et l’Allemagne pouvaient remporter des batailles, faire et se faire illusion, mais pas gagner la guerre contre le Royaume-Uni, l’Union soviétique et les États-Unis réunis.
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Les alliés arabes et occidentaux des rebelles syriens semblent être parvenus, dès le début de 2013, à la conclusion que la victoire militaire de leurs protégés et la défaite du pouvoir en place étaient hors de portée. Ils se sont alors dit qu’il leur fallait renoncer, au moins pour un temps, à l’élimination du camp des Assad.
D’où la recherche difficile, longue et éprouvante à travers les conférences de Genève d’une solution politique : un gouvernement de transition et de compromis qui ramènerait la paix et conduirait à l’avènement d’une nouvelle Syrie…
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