Ce jour-là : 12 juin 1987, la peine de mort pour Bokassa
Durant son procès, à Bangui, l’empereur déchu a nié en bloc les crimes dont il était accusé. Voici le récit qu’en faisait Jean-Baptiste Placca dans JA quelques heures avant le verdict.
Sept mois. Quatre-vingt-quatre audiences, une centaine de témoins, dont pas moins de dix inculpés en pleine audience. Les débats traînent. Au fil des semaines, le peuple centrafricain s’en désintéresse peu à peu. Les passions se calment. Et bientôt, il ne reste plus, dans le vieux palais de justice de Bangui, qu’un seul personnage impétueux : Gabriel-Faustin Mbodou, l’intransigeant procureur général. Les quatre avocats de la défense, et même Jean Bedel Bokassa, leur client, ont fini par être gagnés par la lassitude.
Que reste-t-il, à l’heure du verdict, de ce que la presse centrafricaine a qualifié de « procès du siècle » ? Sans doute quelques leçons de prudence, pour les futurs dictateurs et ceux encore au pouvoir. Mais, surtout, de nombreuses images que l’Afrique ne pourra oublier. Comme celle de l’accusé, un homme presque respectable, calme et humble devant ses juges, ces hommes qu’il a tous fait trembler, un jour ou l’autre, en près de quatorze ans d’un règne globalement répressif.
Ruse, lucidité, instinct
Bokassa aurait même pu attendrir par sa simplicité, sa modestie. Il semblait avoir si peu de choses en commun avec l’ex-maréchal président à vie, devenu empereur par sa seule volonté et l’aide de tous. Cet homme est-il bien le tyran naguère décrié ? À le voir dans son costume strict, cheveux et barbe chaque jour un peu plus blancs, à l’entendre confondre les témoins à charge, on pouvait en douter. Et pourtant ! Jean Bedel Bokassa n’a cependant rien perdu de la principale « qualité » qui lui a permis de se maintenir au pouvoir de 1966 à 1979 : la ruse. À laquelle il faut ajouter une extrême lucidité, beaucoup d’instinct. Grâce à tout cela, il a pu, par moments, semer la confusion et le doute dans l’esprit de ses compatriotes et, peut-être aussi, de ses juges.
Je suis chrétien. Paul VI lui-même m’a donné le titre d’apôtre de la paix
« Je n’ai jamais tué personne, et j’ignorais ce qu’il se passait dans les prisons lorsque j’étais au pouvoir », répétait constamment Francisco Macias Nguema durant son procès, en septembre 1979, à Malabo. Ce sont les mêmes mots que l’accusé Bokassa a sortis, pendant sept mois, quand les atrocités de son régime lui ont été jetées à la face. […]
Les « prisonniers du président » étaient systématiquement enchaînés mains et pieds au sol, privés d’eau et de nourriture. À Ngaragba, ils finissaient par mourir « tout seuls ». Ceux qui survivaient pouvaient être achevés au marteau, et leurs corps étaient emportés, en pleine nuit, dans des camions qui revenaient au petit matin. […] Tous les cas de personnes mortes ou disparues sous le règne de l’ex-empereur n’ont pas été évoqués. Mais, parmi la trentaine qui l’ont été, il n’a endossé la responsabilité d’aucun. […]
Naïveté feinte
« Je suis chrétien, clame Bokassa, j’ai été à Bethléem, Lourdes, Rome… Le pape Paul VI lui-même m’a donné le titre d’apôtre de la paix. Je ne peux donc pas avoir fait du mal à mon peuple. D’ailleurs, chaque fois que j’ai voulu libérer quelqu’un, on est venu me dire qu’il était décédé. Comment pouvez-vous, dès lors, me soupçonner de tels crimes ? »
Propos d’une incohérence désarmante, que l’accusé tient, imperturbable, lorsqu’il ne déclare pas simplement n’avoir aucun souvenir des cas évoqués. Et cette naïveté feinte de l’ex-empereur a souvent irrité le procureur, qui explosera un jour de janvier 1987 : « Mesdames et Messieurs, nous nous trouvons devant un irresponsable qui a dirigé ce pays pendant quatorze ans ! » […] Avant le verdict de la cour criminelle de Bangui, le rideau tombe sur l’un des souvenirs les plus douloureux de la RCA.
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