Fabrice Éboué : « Le cliché, c’est la nourriture du comique »
Sur le mode de la parodie, l’humoriste Fabrice Éboué s’attaque, dans « Le Crocodile du Botswanga », aux autocrates africains et à la Françafrique. C’est lourd, c’est gras, mais c’est bien vu.
Un putschiste fantasque et autoritaire, une femme influente, un conseiller français nostalgique de la colonisation, une jeune gloire africaine du football français… Avec Le Crocodile du Botswanga (sortie française le 19 février), l’humoriste Fabrice Éboué transporte la comédie française en Afrique. Avec pour référence majeure le court règne de Moussa Dadis Camara en Guinée. C’est lourd, c’est gras et c’est bien vu. Rira-t-on de bon coeur dans les Palais ? Pas certain… Rencontre avec le réalisateur franco-camerounais, en pleine "affaire Dieudonné."
Jeune Afrique : Moussa Dadis Camara, c’est votre modèle ?
Fabrice Éboué : Nous sommes tombés "sous le charme" des fameuses vidéos de Moussa Dadis Camara qui ont fait le tour de la planète. Ce capitaine avait la faculté d’être un grand guignol à un instant et très dangereux la seconde d’après. Nous nous en sommes clairement inspirés. Évidemment, il faut tout de même un certain recul parce que ce n’est pas toujours drôle : l’avenir d’un pays pauvre est en jeu… Et puis Dadis, malgré les aspects extrêmes de sa personnalité, a mené ses combats contre le trafic de drogue et la corruption avec du coeur et de réelles convictions. Il aimait réellement son pays. Le problème, c’est quand la mégalomanie aidant il a fini par se préférer à son pays.
Bande annonce du "Crocodile du Botswanga".
Pour humilier le directeur des douanes, le président Bobo Babimbi le nomme ministre des Cabinets de la nation. Une référence au Premier ministre guinéen de l’époque, Kabiné Komara ?
Bien entendu. J’ai fait l’amalgame de tout ce que j’ai pu entendre ou lire sur les chefs d’État africains. C’est une comédie, et il faut que ce soit drôle, au final.
Vous avez fait beaucoup de recherches ?
Oui, surtout sur les autocrates francophones, mais il est vrai qu’avec Idi Amin Dada j’ai été servi puisqu’il existe à la fois l’extraordinaire documentaire de Barbet Schroeder et Le Dernier Roi d’Écosse, dont la construction – une plongée progressive dans l’horreur – m’a inspiré. J’ai étayé tout cela avec les documentaires sur la Françafrique que sont La Raison d’État et L’Argent roi, passionnant sur toute la période Jacques Foccart – qui devient Jacques Taucard dans le film. Pour les costumes, comme Mobutu avait le léopard, nous avons choisi la peau de crocodile. Quant à Bokassa, il y avait plein de petites anecdotes amusantes sur ses parties de chasse avec notre ex-président Valéry Giscard d’Estaing. L’empereur étant un piètre chasseur, on blessait les bêtes pour que ce soit plus facile pour lui. Légende ou réalité, peu importe !
Vous n’avez pas épargné les femmes de dirigeant…
J’ai utilisé les deux volets de Femmes de dictateurs écrits par Diane Ducret. Celle incarnée par Claudia Tagbo a un côté Elena Ceausescu… Les dictateurs roumains n’étaient pas les plus cultivés du monde, et dans le couple Babimbi il y a une certaine surenchère de la bêtise. La femme de Bobo l’accuse en permanence d’avoir grandi dans une case ! Mais c’est aussi un esprit malfaisant qui le pousse vers le mal. Les femmes de dictateur étaient souvent soit très soumises et effacées, soit très influentes.
Les personnages secondaires sont importants, comme ce Taucard, une sorte de croisement entre Foccart et Le Pen.
C’est un nostalgique de l’Algérie française. Dans ce film, j’ai essayé de glisser beaucoup de références au passé colonial et à la Françafrique d’aujourd’hui. J’en ai souvent croisé de ces nostalgiques d’une époque où c’était la "belle vie"… mais au détriment de tout un peuple !
Vous suivez les développements actuels de la politique française en Afrique ?
Comment ne pas le faire avec ce qui se passe au Mali et en Centrafrique ! Mais au-delà, pourquoi ai-je traité ce sujet, en dehors du fait que je suis d’origine camerounaise par mon père et que je m’intéresse à l’époque qu’il a vécue ? Parce que les relations de la France avec l’Afrique perdurent sur le plan géopolitique, mais aussi dans tous les grands débats politiques. On se pose mille et une questions sur l’intégration, l’immigration, la repentance ou l’islam en France, mais on ne traite pas le sujet en profondeur. Alors que tout découle de ce passé que la France n’a jamais mis à plat. La question symbolique de l’hymne national et du football, que j’ai reprise dans le film, est très signifiante. Pourquoi reproche-t-on aux joueurs noirs de ne pas chanter l’hymne national ? Tant que la France n’aura pas fait son examen de conscience, on aura du mal à avancer ensemble.
Tant que la France n’aura pas fait son examen de conscience, on aura du mal à avancer ensemble.
Comment appréhendez-vous la question du cliché ?
Le cliché est inévitable, c’est la nourriture du comique. Dans une comédie comme sur scène, il ne faut pas se voiler la face : si vous n’êtes pas dans le cliché, on ne vous suit pas. Si vous commencez à tergiverser, à verser dans la nuance, ce n’est plus de la comédie. Le principe de la caricature, c’est d’exagérer. Maintenant, il existe une différence entre se servir du cliché pour s’en moquer et l’utiliser pour faire de la propagande contre une communauté ou une religion. Un cliché peut être pernicieux, mais aussi vecteur de rire, et donc d’unité.
>> Lire aussi : Peut-on rire des Noirs ?
Avez-vous volontairement équilibré vos piques contre les religions ?
La trinité des trois religions… Moi-même, je ne sais pas si je l’ai fait consciemment ou inconsciemment pour éviter d’être pris à partie. À l’heure où sort ce film, il valait néanmoins mieux qu’il en soit ainsi.
Vous vous moquez aussi des Juifs…
La première forme de racisme pour un comique ce serait de s’empêcher de rire de ou avec telle ou telle communauté.
Je fais les choses en mon âme et conscience, je n’ai pas de souci vis-à-vis de telle ou telle communauté. J’ai toujours vécu de manière cosmopolite, avec le même humour un peu taquin envers tout un chacun. Il ne faudrait pas non plus que ce qui vient de se passer autour de Dieudonné pose une chape de plomb sur l’humour en général. Je crois que la première forme de racisme pour un comique ce serait de s’empêcher de rire de ou avec telle ou telle communauté parce que cela risque de lui retomber dessus. Je ne vais pas m’édulcorer ou aller vers quelque chose qui ne me correspondrait pas. Il faut brandir le drapeau de la liberté d’expression en continuant de faire ce qu’on a toujours fait.
Vous étiez opposé à l’interdiction des spectacles de Dieudonné ?
Totalement. Cette interdiction est scandaleuse et extrêmement dangereuse. Ça m’amuse beaucoup, cette France-pays-des-droits-de-l’homme qui donne toujours des leçons aux pays africains. Je viens de lire des articles sur la nouvelle présidente de la Centrafrique qui affirment : "C’est super, c’est une femme, c’est une évolution pour ces pays-là !" Mais quand a-t-on vu une présidente de la République en France ? Regardez déjà la manière dont on traite les premières dames ! Interdire un spectacle, je trouve ça très grave.
Pourquoi n’avez-vous pas tourné votre film au Cameroun ?
J’avais envie de tourner dans le pays de mon père, comme Thomas Ngijol, qui est aussi camerounais. Après, il y a la logistique, le lieu adéquat, les décors, les techniciens sur place… Bref, nous n’avons pas réussi à monter le film là-bas. Mais à Cuba où il y a un cinéma d’État, pas cher, avec des techniciens très performants. M. Castro nous a accueillis à bras ouverts.
Vos racines camerounaises sont importantes pour vous ?
De plus en plus. Mon père ne nous y a pas emmenés quand on était petits, j’ai découvert le pays sur le tard, et maintenant j’y retourne de plus en plus souvent avec une envie de garder le lien et d’essayer de voir ce qu’il est possible d’y faire. Le Cameroun n’a même plus une salle cinéma. Mais c’est lent et compliqué.
L’esclavage avec Case départ, la Françafrique avec ce film, c’est une forme d’engagement ?
Nous cherchons à parler du fait d’être noir en France, de la manière dont cette mémoire historique pèse sur nous, avec ceux qui choisissent de s’en délester, ceux qui prennent ça comme un fardeau ou l’utilisent comme une excuse. Le dernier volet portera sur l’influence de la culture noire américaine.
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Propos recueillis par Nicolas Michel
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