Burkina Faso : Joey Le Soldat, rappeur de première classe

À 28 ans, le rappeur burkinabè Joey Le Soldat sort son second album solo, « Burkin Bâ ». Au programme : des rimes percutantes en moré ou en français, une verve indéniable et des beats martiaux.

Joey Le Soldat au centre culturel Georges Kaboré, à Ouagadougou. © Sophie Garcia pour J.A.

Joey Le Soldat au centre culturel Georges Kaboré, à Ouagadougou. © Sophie Garcia pour J.A.

Publié le 25 février 2014 Lecture : 3 minutes.

Sous ses airs faussement débonnaires, Joey Le Soldat évolue d’un pas alerte, que ce soit dans son quartier Tanghin, secteur 23, à Ouagadougou, ou dans sa carrière de rappeur prometteur. Grand et élégant dans ses habits hip-hop, il publie Burkin Bâ deux ans après l’éloquent La parole est mon arme et quelques hauts faits remarqués au sein du collectif rétro futuriste Waga 3000.

À 28 ans, le rappeur vit toujours chez ses parents, alternant les petits boulots, jardinier ou cafetier. Dans la cour familiale, à l’ombre d’un manguier, où ce diplômé en lettres modernes donne des cours du soir à des enfants du quartier sur un tableau noir et crayeux, il se confie : "J’ai découvert le rap avec le Wu-Tang Clan à 14 ans. J’ai alors commencé à écrire mes textes et j’ai monté un premier groupe, Phénomène."

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Ellipse

Cet artiste a des choses à dire et il y met les formes

Il poursuit : "J’ai d’abord participé à des freestyles dans les concours organisés à la radio ou dans la rue ; c’est là que j’ai peaufiné ma technique. C’est la débrouille ici. Je monte moi-même des sound systems dans mon quartier avec des planches et des vieux pneus de camion pour faire la scène." L’artiste, qui a choisi son nom de scène en hommage à son grand-père ancien tirailleur, peaufine ses textes tout en cultivant ses improvisations avec une rigueur évidente dans son flow, une voix joliment grave et un remarquable sens de l’ellipse.

Après l’expérience d’Art Melody, qui a signé en 2013 l’un des chefs-d’oeuvre du hip-hop africain avec Wogdog Blues, coproduit par deux labels, Tentacule Records en France et Akwaaba Music au Ghana, ‘Burkin Bâ’ marque une nouvelle collaboration entre un rappeur burkinabè, des beatmakers français et un ingénieur du son américain. "Quand Art Melody nous a fait écouter Joey Le Soldat, on a tout de suite été séduits, affirme son producteur, Nicolas Guibert. Cet artiste a des choses à dire et il y met les formes. Il possède un style naturel. Il me rappelle le MC anglais Roots Manuva."

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D.M.D (clip officiel).

Contrairement à l’univers organique d’Art Melody, influencé par les instruments traditionnels, le son de Joey Le Soldat est plus clinique, répondant aux injonctions de beats martiaux, toujours au service d’un bagou empruntant aussi bien au moré qu’au français. Nulle emphase ici, mais plutôt des rimes percutantes et des saillies verbales porteuses d’une verve indéniable. "J’essaie de privilégier ma langue maternelle. Ça me permet de faire exister ma culture au-delà des frontières. Je suis mossi et je n’oublie pas d’où je viens", précise-t-il non sans fierté.

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Espoir

La conférence de Berlin, les mariages forcés, les héros du panafricanisme, les prédations sur les ressources naturelles ou encore le quotidien des enfants des rues sont autant de thèmes évoqués au gré des douze morceaux. Deux collègues de l’internationale hip-hop francophone ont prêté main-forte : l’explosive Guinéenne Anny Kassy ("Tempoco") et le Togolais Elom 20ce en mode ragga jamaïcain lancinant ("Révolution").

"L’Hivernage" est un retour au village natal Koumbri (à la frontière avec le Mali). Joey Le Soldat loue les mérites d’une pluie bienfaisante, disant que, même au coeur de la saison chaude, tout peut arriver. Jadis, les Américains de Creedence Clearwater Revival chantaient "Who’ll Stop The Rain", une métaphore pour savoir qui mettrait fin à la guerre du Vietnam en plein délitement de la présidence Nixon. Nul doute que les manifestations du 18 janvier contre les modifications de la Constitution qui permettraient au président Compaoré de briguer un troisième mandat en 2015, où la pluie est apparue comme par miracle, entretiennent cet espoir de changement. Loin d’en faire un combat d’arrière-garde, Joey Le Soldat et une poignée d’autres rappeurs africains sont en train d’écrire la bande-son d’un futur où tout semble désormais possible.

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