Élevage : avec le réchauffement climatique, l’Algérie redécouvre les vertus du chameau

Au prix de 500 dinars (3,26 euros) le litre, le lait de chamelle est dix fois plus cher que celui de la vache, mais ses vertus sont si nombreuses qu’il séduit à nouveau les consommateurs algériens.

Élevage de chameaux, à Msila, en mars 2022. © Said Arezki

Publié le 5 mai 2022 Lecture : 5 minutes.

Ces dernières années, le long des routes des hautes plaines steppiques de Ghardaïa, Laghouat, Bou Saada, Biskra, Ouargla, Tiaret, Djelfa, Mecheria ou encore El Bayadh, des points de vente directe ont fait leur apparition. Des éleveurs installent leurs chamelles dans des enclos au bord de la route pour approvisionner en lait frais des automobilistes, ravis que la traite se fasse sous leurs yeux.

Tête couverte d’un chèche couleur kaki et visage buriné par le soleil, Kaddour Benhlima, 47 ans, est gardien et éleveur de dromadaires depuis qu’il a l’âge de gambader tout seul derrière ces imposantes bêtes dans les vastes steppes de Tadjemout, petite commune agropastorale située entre Laghaouat et Aflou. Au début de chaque printemps, Kaddour remonte vers le nord avec son troupeau d’une quarantaine de têtes et s’installe aux abords du chott El Hodna.

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Grosses peluches

Ce grand lac salé, le deuxième du pays après celui de Chott Melrhir, offre de vastes pâturages. Cette année, il n’a pas beaucoup plu, mais ses bêtes peuvent tout de même se repaître d’herbe grasse. En quelques jours seulement, les mâles prennent du poids et les femelles peuvent allaiter leurs chamelons à la laine beige et épaisse, qui leur donne des allures de grosses peluches.

Kaddour aménage un petit enclos aux abords de la route nationale, entre Msila et Bou Saada, pour vendre son lait aux très nombreux automobilistes qui fréquentent cet axe important. Le troupeau vadrouille d’une place à l’autre, les pattes avant de la plupart des bêtes entravées par une cordelette pour limiter leurs déplacements. Chaque jour, selon un système de rotation bien rôdé, des femelles sont amenées dans l’enclos pour servir les clients à la demande.

Tout est bon dans le dromadaire : sa viande, son lait, sa peau, sa laine, et même son urine, qui guérit

Riche en acides gras aminés, en potassium, en magnésium et en vitamine B, le lait de chamelle contient dix fois plus de fer, trois fois plus de vitamine C, beaucoup plus de protéines et moins de matière grasse que le lait de vache.

Il est en outre réputé pour renforcer le système immunitaire et aurait des propriétés anti-infectieuses, anticancéreuses et antidiabétiques : une véritable panacée, qui permet depuis toujours aux nomades de survivre pendant des mois dans le désert.

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Absence de subventions

« Tout est bon dans le dromadaire : sa viande, son lait, sa peau, sa laine et même… son urine, un remède qui soigne et guérit selon un hadith de notre Prophète », vante Abdelkader Aouissat.

Ce technicien supérieur du secteur pétrolier a tout abandonné pour se consacrer à l’élevage camelin depuis qu’il a découvert ce créneau après un séjour dans les pays du Golfe, en 2010. Aujourd’hui, il est à la tête d’une ferme pilote de 150 têtes dans la région de Laghouat et produit entre 250 et 500 litres de lait selon les saisons et les périodes de lactation des femelles.

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Notre homme est intarissable dès qu’il s’agit de parler de dromadaires. Il connaît tout de ce placide herbivore, dont l’espérance de vie moyenne est de 25 ans : « La viande de chameau est la meilleure du monde car elle est maigre, tout en étant riche en collagène. Même son urine, qui possède un PH de 07,03, est riche en acides aminés et est utilisée pour ses multiples vertus. »

En raison du réchauffement climatique, le dromadaire remonte de plus en plus vers le Nord

Tout n’est pas rose, pourtant, dans le monde des chameaux, et les problèmes que rencontrent les éleveurs sont très nombreux. « Contrairement au lait de chèvre et de vache, le lait de chamelle n’est pas subventionné. C’est injuste. Si, dans le passé, le dromadaire était le vaisseau du désert, aujourd’hui, c’est tout simplement la vache du Sud. Les pouvoirs publics se doivent de nous aider. Le potentiel est immense et nous n’arrivons même pas à satisfaire 10% du marché local en viande comme en lait »,  résume Abdelkader Aouissat, qui est également le président du Conseil national interprofessionnel pour l’élevage camelin.

Les éleveurs de dromadaires ne bénéficient pas davantage d’un suivi sanitaire ou de subventions pour le fourrage. En outre, ils peinent à trouver des médicaments pour soigner leurs bêtes, des cuves réfrigérées pour stocker le lait et de l’énergie solaire pour les fermes situées dans les vastes zones isolées.

Neuf races camelines, dans sept régions

Pour Abdelkader Aouissat, l’histoire d’amour des Algériens avec le dromadaire plonge ses racines dans le lointain passé du pays. L’apparition des premiers chameaux remonte, en effet, aux environs de 200 ou 300 avant J.-C., comme en témoignent les gravures rupestres du Tassili et de l’Ahaggar.

Aujourd’hui, l’Algérie possède neuf races camelines dûment répertoriées, réparties sur sept grandes régions d’élevage au Sahara, à l’Atlas saharien et dans la steppe. L’effectif avoisinerait le demi-million de têtes, selon un recensement réalisé entre 2018 et 2020.

Le lait de chamelle fait également d’excellents fromages

« Nous travaillons en collaboration avec les universités de Tlemcen, Laghouat et Constantine, sur le séquençage du génome et la conservation du patrimoine génétique des races algériennes comme le Sahraoui, le Chaambi, l’Ouled Sidi Cheikh, l’Aït Khebbach, le Targui, l’Ajjer, le Reguibi et le chameau de la steppe », précise Aouissat.

Le lait de chamelle fait également d’excellents fromages. Mohamed Seqai, éleveur, fromager et propriétaire d’un restaurant dans la petite localité agricole d’El Maadher, à une dizaine de kilomètres de la ville de Bou Saada, explique : « Des éleveurs de chameaux nous livrent du lait, mais congelé, vu les températures qui règnent ici tout le long de l’année ».

« Nous avons des fromages et des préparations fromagères à base de lait de chèvre, de brebis et de vache, mais rarement à base de lait de chamelle. À quel prix voulez-vous que je vende un fromage à base d’un lait qui coûte 500 dinars [3,26 euros] le litre ? », demande Mohamed qui avait commencé en tant que collecteur de lait pour les grandes laiteries nationales comme Hodna et Soummam avant de s’installer à son compte en se lançant dans l’élevage caprin, bovin et ovin.

Quoi qu’il en soit, avec son immense potentiel, tout indique que la filière de l’élevage camelin a de beaux jours devant elle dans un pays où la crise du lait est récurrente. En raison du réchauffement climatique, le dromadaire remonte de plus en plus vers le Nord, et il a tout pour prendre la place de la vache.

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