Affaire Sokhna au Sénégal : le procès de soignantes ou d’un système ?

Avec des peines de prison ferme requises contre des sages-femmes, le procureur du procès de l’ « affaire Astou Sokhna » semble vouloir faire un exemple. Pour mieux juger le système sanitaire sénégalais ?

 © Damien Glez

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Publié le 6 mai 2022 Lecture : 2 minutes.

Il est des tragédies qui ouvrent les yeux de ceux qui se voilent la face. Des électrochocs de nature à faire réagir, par le prisme de la justice, des hommes de pouvoir qui ne comptent guère sur leur système de santé national lorsqu’ils ont des égratignures. L’indigence de certains déserts médicaux africains n’est guère une nouveauté. Pourtant, une fois l’émotion canalisée, un drame flagrant et médiatisé engendre parfois un débat salutaire. Et celui-ci ne porte pas seulement sur les moyens financiers et techniques, mais sur l’investissement humain…

Au Sénégal, il y a moins d’un mois, Astou Sokhna mourrait en couches dans un hôpital public de la ville de Louga, après avoir demandé en vain une césarienne. L’étonnante célérité de la tenue du procès indique déjà à quel point l’affaire revêt une portée symbolique. En témoignent aussi l’affluence du public dans un Palais de justice sous haute surveillance policière, le flux incessant des débats sur la Toile, les pétitions, les manifestations et autres avalanches de témoignages sur la mortalité des femmes enceintes ou en couches. Au diapason de cette onde de choc selon les uns, ou conscient du buzz, selon les autres, Macky Sall, le chef de l’État, avait promis que « toute la lumière » serait faite sur ce drame.

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Alors que le procès a repris le 5 mai – coïncidence, pour la journée internationale de la sage-femme –, six maïeuticiennes de l’hôpital de Louga sont poursuivies dans ce dossier, inculpées pour « non-assistance à personne en danger ». Le procureur a requis une peine d’un an de prison, dont un mois ferme, pour quatre d’entre elles, et la relaxe pour les autres.

« Hippocrate n’est pas hypocrite »

Juge-t-on un système de santé ou des comportements individuels ? Au-delà des moyens accordés aux centres de santé publics du Sénégal, « l’affaire Astou Sokhna » vire au procès d’une présumée inhumanité. Négligence médicale ou strict respect du protocole ? Les parties civiles évoquent de « l’indifférence », des « propos malveillants » voire « dégradants », sur lesquels le tribunal devra se prononcer. « Hippocrate n’est pas hypocrite », insiste l’un des avocats des plaignants pour évoquer le peu de cas qui serait fait du serment des soignants.

Certains souhaitent ardemment que ce procès ne soit pas seulement celui des sages-femmes de Louga. Le collectif citoyen Patients en danger affirme qu’il y a, au Sénégal, « des milliers d’Astou Sokhna » victimes d’un manque de prévenance. D’autres aimeraient que le débat soit élargi aux conditions de travail des soignants. L’Association nationale des sages-femmes d’État du Sénégal refuse que les inculpées – qui « se sentent victimes » – soient « les agneaux du sacrifice ».

Devançant l’iguane dans l’eau, le ministre de la Santé a dégainé des statistiques : le Sénégal obtiendrait le meilleur score de l’UEMOA en termes de mortalité maternelle, avec 156 décès pour 100 000 naissances vivantes, contre 392 il y a deux ans. L’ONU souhaite, de son côté, que chaque pays descende à moins de 70 décès maternels d’ici à 2030.

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