Depuis Dakar, l’IAM réinvente le modèle des business schools africaines
Certification en plus du diplôme, enseignement en ligne, flexibilité organisationnelle, valorisation de l’entrepreneuriat… Tels sont les nouveaux axes de développement sur lesquels mise l’Institut africain de management, qui revisite ses fondamentaux pour élargir sa cible.
Emploi et formation : inventer les modèles qui marchent
Du partage de talents entre télécoms et fintech aux jeunes diplômés dragués à l’international, en passant par les recettes des business schools pour convaincre les candidats… Tour d’horizon des dernières tendances de l’emploi et de la formation en Afrique.
“Un nouveau modèle, tout le monde y réfléchit, y compris les écoles de commerce françaises », glisse Paul Ginies, président de Takafa Education. Ce holding, qui réunit la société d’investissement ECP, les institutions financières finnoise Finnfund, danoise IFU et française Proparco, a bouclé à la fin de 2019 l’acquisition de l’Institut africain de management (IAM), l’un des fleurons sénégalais de l’enseignement supérieur, également implanté à Bamako.
Quatre mois plus tard, le Covid obligeait toutes les écoles du pays à fermer leurs classes. “Le samedi, le gouvernement nous informait de la décision de fermeture, le mardi les professeurs démarraient leurs premiers cours en ligne”, se souvient Bamba Fall, le responsable pédagogique de l’IAM.
Répondre aux besoins de son environnement
Si le corps enseignant s’est adapté en un temps record, pour les étudiants, le choc a été rude. Notamment pour les élèves de première année. “Et faire payer leurs parents à la rentrée de septembre, alors que les cours n’avaient pas eu lieu en présentiel pendant cinq mois ne fut pas simple non plus, reconnaît Paul Ginies. Nous nous sommes rendu compte que notre modèle d’affaires pouvait être fragile”.
Créé en 1996 par Moustapha Guirassy, qui reste président de son conseil d’administration, l’IAM a pourtant un fonctionnement bien rôdé. En un quart de siècle, le groupe a colonisé tout le quartier de Mermoz. À l’école de commerce sont venues s’ajouter des formations en informatique, des préparations aux écoles d’ingénieurs, un centre de langues…
Le groupe dégage d’ailleurs des résultats financiers satisfaisants avec une marge Ebitda de l’ordre de 20 % pour un chiffre d’affaires de 3,2 milliards de F CFA (4,87 millions d’euros) l’an dernier, quand il n’était que 2,6 milliards de F CFA en 2019. “Faire évoluer notre approche n’est pas une réflexion purement financière, soutient Paul Ginies, nous sentons surtout que nous ne répondons pas totalement aux besoins de notre environnement”.
Déconstruire les schémas traditionnels
“Cette réflexion était en germe depuis plusieurs années”, renchérit Mbagnick Guissé, directeur général de l’IAM, qui accueille 2 400 élèves. “Le système centré sur le seul diplôme laisse sur la touche tous les jeunes qui ne peuvent pas payer les frais de scolarité d’une année entière, sans parler de ceux qui n’ont pas de diplôme ou le bon diplôme”, justifie Paul Ginies.
Les élèves doivent débourser 1,25 million de F CFA par an lorsqu’ils sont en bachelor, et 1,5 million de F CFA lorsqu’ils arrivent en master. Pour ouvrir l’IAM a un nouveau public, Takafa mise sur la certification. “Il faut que nous donnions plus de flexibilité à notre organisation ”, reconnaît Mbagnick Guissé citant comme exemple des écoles comme la Strathmore University, au Kenya, et la Lagos Business School, au Nigeria.
La première propose déjà des cours en ligne de six semaines destinés aux professionnels, et la seconde un MBA et un executive MBA mixant enseignements en présentiel et en distanciel. Les participants suivent leurs cours à distance et se rendent sur le campus une semaine tous les deux ou trois mois pour une session de cours intensifs.
La crise sanitaire a en matière de cours en ligne joué un rôle d’accélérateur
Paul Ginies, qui au début des années 2010 avait déjà secoué l’école d’ingénieurs 2IE en l’ouvrant entre autres aux partenariats avec les entreprises, ne veut pas perdre de temps. Avec le management de l’IAM, il a commencé à déconstruire les schémas traditionnels.
Un modèle plus agile
“L’école doit proposer un modèle plus agile. On ne suit plus nécessairement un cursus entier, mais on peut choisir quelques modules. La rentrée ne se fait plus seulement en septembre, mais également en janvier. L’école ne ferme plus à 17 heures, mais plus tard. Elle peut accueillir des sessions le week-end, mais aussi en juillet ou en août”, explique-t-il.
IAM espère aussi profiter de l’évolution de la loi sénégalaise qui devrait, à court terme, faciliter pour les professionnels la validation des acquis de l’expérience.
Pour faire sa mue, l’institut fait le pari des cours en ligne. La crise sanitaire a joué dans ce domaine un rôle d’accélérateur. “C’est également, dans certains cas, une réponse à la dégradation de la situation sécuritaire. Au Mali, les jeunes filles qui suivaient des cours du soir ne veulent plus venir”, ajoute Seynabou Diallo, directrice d’IAM à Bamako.
Une période de familiarisation avec les nouveaux outils sera nécessaire aux étudiants
Dans trois à cinq ans, 80 % des enseignements des master pourraient être dispensés en ligne alors qu’ils sont encore quasi-inexistants. “Pas plus de 40% en première année de bachelor, pour former les élèves à cette nouvelle façon de travailler. “ Pour les nouveaux étudiants, il faudra un temps d’acculturation pour se familiariser avec les derniers outils, une phase d’autonomisation pour apprendre à apprendre. Il faut mettre en place des tuteurs et des centres d’appels pour les accompagner ”, admet Paul Ginies.
Une partie du chantier consistera aussi pour l’école à rassurer les parents. “Pendant la pandémie, nous avons déjà dû répondre à leurs interrogations et, après plusieurs réunions, le message est passé”, avance Seynabou Diallo. À ce jour, les plateformes de cours en ligne comme 360Learning ou OpenClassrooms connaissent encore peu de succès sur le continent, preuve du chemin à parcourir pour développer ces nouveaux modes d’apprentissage.
Massifier les effectifs
Avec cette approche, l’IAM entend ainsi massifier ses effectifs en touchant des publics éloignés de ses établissements. “Nous savons qu’il y a un public pour cette offre, l’école accueille déjà 25 nationalités”, souligne Bamba Fall.
À leur sortie de l’école, les deux tiers de nos étudiants s’auto-emploient
Le e-learning center a démarré à la mi-2021. La production de contenus est répartie entre Dakar et Bamako. Si les professeurs ont au départ fait de la résistance, la plupart semblent maintenant convaincus. “Ils vont être formés à la pédagogie multimédia et rémunérés pour la transformation de leurs cours. Et les heures d’enseignement qu’ils vont perdre seront compensées par des heures de tutorat”, explique Bamba Fall.
Les enseignants pourraient aussi être amenés à toucher des royalties si leurs contenus étaient revendus à des écoles partenaires ou utilisés dans le cadre de plateformes qu’IAM souhaiterait gérer pour des tiers. Plusieurs organisations, dont une au Tchad, précise Mbagnick Guissé, ont montré un intérêt pour cette solution.
“L’école doit passer d’un système où on mettait en avant un nombre d’heures à un système axé sur l’efficacité. À leur sortie, les deux tiers de nos étudiants s’auto-emploient”, rappelle Paul Ginies. Pour Victor Ndiaye, fondateur du cabinet Performances qui accompagne notamment des États dans l’élaboration de leurs plans de développement, les formations sont condamnées à changer. “L’offre ne suit plus la demande. Il faut massifier les enseignements et les rendre plus souples. Le projet d’une école comme l’IAM a donc tout son sens ”, explique-t-il.
L’an dernier, en six mois, le e-learning center a permis de réaliser 40 millions de F CFA supplémentaires de chiffre d’affaires en vendant une vingtaine de certifications (constituées en général de quatre modules). Cette année, l’école ambitionne d’atteindre 200 millions de F CFA en proposant 46 certifications.
Des offres sur mesure
En avril, l’IAM a signé une convention avec l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal qui réunit 125 000 membres. L’objectif est de leur proposer de renforcer leurs compétences en matière de comptabilité, de marketing, de commerce international, de négociation commerciale et de langue. Un accompagnement spécifique est également prévu concernant l’étude des offres bancaires dans le cadre des demandes de crédits.
Nous ne voulons pas cannibaliser nos cursus classiques
“Si l’on réussit à convaincre 10 % d’entre eux de suivre un module, ce sera très bien ”, estime Mbagnick Guissé. Une phase pilote est prochainement prévue avec 150 personnes, qui commenceront par des sessions en présentiel, avant de basculer vers le e-learning.
L’IAM n’est pas la seule à Dakar à miser sur l’enseignement en ligne. L’Institut supérieur de management (ISM), son rival historique, qui, lui, occupe tout un bloc du quartier Point E, a débuté il y a deux ans. “Mais c’est progressif, nous ne voulons pas cannibaliser nos cursus classiques”, indique pour sa part Omar Thiam, directeur général de l’école de management qui compte 1 900 étudiants sur un total de 3 700 pour l’ensemble de l’ISM.
L’an dernier, Galileo Global Education, l’un des leaders mondiaux de l’éducation, propriétaire de l’école sénégalaise depuis la fin de 2016, a néanmoins encouragé cette dernière à nouer un accord avec Studi, un spécialiste de la formation à distance également membre de son réseau. Grâce à ce partenariat, ISM propose depuis le mois de novembre 2021 à la fois des déclinaisons en ligne de certains de ses cursus, mais aussi, dans le cadre de l’Institut des savoir-faire (ISF), des formations certifiantes (comptabilité, RH, vente…) qui, comme celles de son concurrent, sont ouvertes à des publics, avec ou sans le baccalauréat.
Ouvrir l’école sur l’extérieur
Changer le modèle de l’IAM, c’est aussi ouvrir physiquement l’école sur l’extérieur, prône Paul Ginies. Fin mars, l’institut a inauguré son centre des innovations, toujours dans le quartier de Mermoz.
Le projet de l’IAM en matière d’entrepreneuriat est très dynamique et rejoint ce que fait l’EM Lyon
“ Avant de nous lancer, nous avons discuté avec l’EM Lyon, qui a été pionnier dans ce domaine en créant des fab labs (fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication ») », explique Mbagnick Guissé, qui a investi 140 millions de F CFA pour construire ce lieu hybride, ouvert aux élèves, aux diplômés et, dans certains cas, à des porteurs de projets.
L’Innovation Center, ouvert 7/ 7 jours, de 9 à 21 heures, est équipé d’ordinateurs, de simulateurs de vol et d’une imprimante 3D. Un laboratoire de l’entrepreneuriat capable d’accueillir des formations à la robotique, à la domotique, au codage informatique, à la réalité augmentée, ou au pilotage et à l’utilisation des drones appliquée aux secteurs du BTP, des mines et de l’agriculture.
L’école et CFAO réfléchissent, par exemple, à une cartographie de la ville pour repérer les chantiers d’immeubles. Le nouvel espace servira aussi d’incubateur pour certaines start-up sélectionnées par la Délégation générale à l’Entrepreneuriat, rattachée à la Présidence sénégalaise.
L’IAM ne doit pas être vu comme une business school réservée à l’élite
Mbagnick Guissé et Paul Ginies entendent bien utiliser cet outil pour élargir l’horizon de leurs étudiants. « Le projet de l’IAM en matière d’entrepreneuriat est très dynamique, il rejoint ce que nous faisons à l’EM Lyon fait avec nos Makers Labs en vue de valoriser l’entrepreneuriat et l’expérimentation dans le cadre des apprentissages, indique Olivier Guillet, directeur du développement international de l’école française. Les deux établissements ont entamé des discussions qui pourraient déboucher sur des échanges d’étudiants. En parallèle, l’EM Lyon avance avec l’ISM sur la mise en place d’un partenariat plus classique portant sur un double diplôme.
“L’IAM ne doit pas être vu comme une business school réservée à l’élite. Le E-learning Center et l’Innovation Center sont la promesse de formations moins chères. Cela peut même, pour ceux qui voudraient se réorienter, être l’école de la seconde chance”, résume Mbagnick Guissé.
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