Amine Kouider : pupitre & Cie
Diriger un orchestre comme on gère une entreprise ? Pour ce mélomane hyperactif d’origine algérienne, l’opéra est surtout affaire d’organisation.
Traditionnellement, l’homme-orchestre est affublé d’une dizaine d’instruments attachés autour du corps pour jouer dans les rues. Amine Kouider est un peu un homme-orchestre des temps modernes. Le violon dans la main droite, une baguette de direction dans la main gauche, un piano sur les genoux, un téléphone pendu autour du cou et un sac de voyage dans le dos.
Accompagné par son parfum puissant dans les couloirs de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), le chef d’orchestre algérien est un homme très occupé. Enseignant de violon en banlieue parisienne, directeur artistique du Choeur philharmonique international (CPI) à l’Unesco, chef « free-lance » pour la Roumanie ou le Qatar, fondateur de l’Orchestre symphonique Algérie-France… Son CV est impressionnant, et extrêmement bien présenté dans une brochure imprimée en couleur sur papier glacé.
Amine Kouider se forme d’abord au violon. Ses parents, mélomanes de la classe moyenne, l’inscrivent au conservatoire à l’âge de 7 ans. Talentueux, il devient le plus jeune violoniste de l’opéra d’Alger. Le violon, c’est son « passeport pour le monde », qui lui permet de rencontrer des gens de toutes cultures. Mais à Marseille, où il arrive à l’âge de 20 ans, en 1987, puis à Paris, il développe sa passion pour la direction d’orchestre. Il est doué pour la communication avec les musiciens. « Chef d’orchestre, c’est à la fois être musicien et homme de théâtre, raconte Kouider. On travaille le corps, l’énergie. On est l’intermédiaire entre le créateur et les interprètes. »
Il passe trois ans à Saint-Pétersbourg, au prestigieux Théâtre Mariinsky. « Mon souvenir de concert le plus fort, c’est là-bas, lorsque je dirigeais l’orchestre au même pupitre que Prokofiev et Tchaïkovski ! » Il y découvre l’opéra, pour lequel il se passionne durablement. Décors, éclairage, littérature, mise en scène… Plusieurs arts réunis qui font du chef d’orchestre un manager. « Manager », en anglais, c’est ainsi que Kouider définit son métier. Gérer les personnes, les finances, le marketing, la politique… « Un chef est un entrepreneur. Et une entreprise, c’est une partition ! » déroule-t-il, logique et pédagogue, en dessinant avec ses mains pyramides, lignes et cercles, plusieurs fois interrompu par des coups de fil liés à l’organisation pratique du prochain concert.
Le CPI jouait La Traviata le 30 janvier à Paris. Le musicien, qui a fondé cette association, en est le directeur artistique depuis dix-sept ans. « Il gère un peu trop de choses, à mon avis, soupire Anne Leclerc, adjointe à la communication. Très souvent sous pression, il est à l’écoute et encourageant. Avec nous, chanteurs amateurs, c’est quelqu’un d’extrêmement patient, ce qui est remarquable pour un tempérament aussi bouillant ! »
« Artistes de l’Unesco pour la paix » depuis 1999, les artistes du CPI donnent trois à quatre concerts annuels de soutien aux programmes de l’organisation. Des performances qui mêlent souvent musique classique occidentale et traditions arabes. Les Mille et Une Nuits d’Offenbach, par exemple, ou des chants soufis sur la Neuvième Symphonie de Beethoven. « Amine conçoit ses concerts comme un dialogue, décrit Anne Leclerc. Et ses origines arabes sont fondamentales dans son inspiration. » En 2012, Kouider fonde aussi l’Orchestre symphonique Algérie-France pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance d’Alger. Et il tient bon, malgré les pressions de nostalgiques haut placés de l’Algérie française.
Les chefs d’orchestre arabes ne sont qu’une petite quinzaine dans le monde. « Il va nous mettre de la sauce algérienne sur du Mozart ! » s’est entendu dire Kouider par certains. « Cela n’a pas été facile. J’y ai fait face avec courtoisie, mais fermeté, parce que je sais qui je suis. Oriental, occidental, arabe, africain et musulman. Je me suis appuyé sur ma double culture. La musique aide à ne pas avoir peur d’autrui, même si elle ne change pas le monde. »
Proche de sa famille en Algérie, qu’il n’a pas vue pendant cinq ans au cours de la décennie noire, l’homme s’investit à partir de 2001 dans la réouverture de l’opéra d’Alger, et dirige l’Orchestre symphonique national jusqu’en 2008. Le défi est énorme, mais avec d’autres personnalités algériennes il ranime la discipline et joue même de l’opéra, pour la première fois depuis 1962. Lorsqu’est donné Rigoletto, le père de Kouider est dans la salle, fier. Tailleur, il avait fabriqué les costumes de ce même opéra à Copenhague, des décennies auparavant… Alors à l’approche de la livraison, l’an prochain, du tout nouvel opéra d’Alger, le fils du pays se dit « prêt à faire des propositions » à la future direction. Une communication sans fausse note pour celui qui serait volontiers manager de spectacles, s’il devait un jour se reconvertir.
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