Israël – Palestine : John Kerry maintient la pression sur Tel-Aviv
Washington peaufine l’accord-cadre prévu pour avril et accentue ses pressions sur Tel-Aviv en évoquant le risque d’un boycott international.
Cela ne fait plus l’ombre d’un doute : John Kerry dérange le gouvernement israélien. Son activisme à outrance vient même d’inspirer une campagne satirique du Yesha (conseil représentatif des implantations juives de Judée-Samarie), le très influent lobby des colons de Cisjordanie. Dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux, un sosie du secrétaire d’État américain arpente les ruelles de Jérusalem, tantôt à bord d’un imposant 4×4 noir orné de petits drapeaux étoilés, tantôt à dos de chameau ou à pied, entouré de gardes du corps. À chacune de ses étapes dans la ville sainte, il se présente aux habitants, juifs ou arabes, puis se lance dans un monologue farfelu sur la paix. "John Kerry, John Kerry solutions", finit-il par conclure, tout sourire, en tendant une carte de visite à ses interlocuteurs, peu convaincus par sa verve.
La réalité n’est pas si éloignée de cette parodie. En coulisses, certains ministres israéliens lui reprochent de ne pas "saisir le conflit", pointant, entre autres, ses lacunes cartographiques dès lors que des plans lui sont présentés. À trop vouloir pousser l’État hébreu au compromis avec les Palestiniens, le chef de la diplomatie américaine est aussi dans le collimateur du camp nationaliste, qui l’accuse de "brader la terre d’Israël". En janvier, le quotidien Maariv avait éventé les propos du ministre de la Défense, Moshe Yaalon, tenus lors d’une rencontre à huis clos avec des journalistes. Kerry, aurait-il confié, "est animé par une obsession incompréhensible et une sorte de messianisme". Cette diatribe malvenue, en marge de la dixième tournée régionale du secrétaire d’État américain, a provoqué l’ire de Washington, obligeant Yaalon à se confondre en excuses.
20% à 25% des colons seraient évacués ou deviendraient citoyens palestiniens
Mais de toute évidence, John Kerry n’a que faire de ces jugements intempestifs et semble avoir prématurément renoncé à réunir côte à côte les protagonistes. Sa priorité : sauver les apparences en présentant un accord-cadre au mois d’avril, échéance qu’il avait lui-même fixée pour la première phase des pourparlers entamée l’été dernier. Martin Indyk, son émissaire au Proche-Orient, en a récemment livré les grandes lignes devant des responsables de la communauté juive américaine. À la faveur d’échanges de territoires, entre 75 % et 80 % des colons juifs seraient rattachés aux frontières d’Israël, tandis que les 20 % à 25 % restants seraient évacués. À moins que ces derniers, estimés à 80 000, n’acceptent de devenir des citoyens palestiniens.
Une éventualité que ne semble plus exclure le Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Des indiscrétions au sein de son cabinet laissent entendre qu’il consentirait à placer une partie des colonies sous souveraineté palestinienne. La nouvelle a provoqué une fronde au sein du gouvernement emmenée par Naftali Bennett, ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Emploi et chef de file du Foyer juif, un parti nationaliste religieux. "C’est contraire à l’idée du sionisme. Les Israéliens ne pardonneront à aucun de leurs dirigeants de donner aux Palestiniens une partie du pays et de diviser Jérusalem", s’est-il indigné. Estomaqués, les ténors du Likoud-Beitenou, l’alliance au pouvoir, ont manqué de l’évincer du gouvernement.
"Les Israéliens ne sont prêts à aucun retrait"
Cette passe d’armes est révélatrice des crispations israéliennes. Loin de parler d’une même voix, l’État hébreu bafouille sa diplomatie et, pis, ne ménage plus son allié américain. Le contrôle sécuritaire de la vallée du Jourdain, frontalière de la Jordanie, est la dernière illustration du bras de fer qui les oppose. En cas d’accord, Israël souhaite y maintenir une présence militaire permanente, de crainte que la Cisjordanie ne devienne, comme la bande de Gaza, une "base arrière du terrorisme". Plus réalistes, les États-Unis veulent limiter tout mandat israélien à une dizaine d’années, le temps d’arriver à une normalisation sur le terrain. Clairement, le gouvernement Netanyahou vit mal les ingérences répétées de Washington.
"Dans l’état actuel des choses, les Israéliens ne sont prêts à aucun retrait, s’agace le négociateur palestinien Saeb Erekat. Il appartient aux Américains d’imposer leurs propositions et non celles qu’Israël souhaite entendre." Pour ajouter à l’imbroglio diplomatique, le président Mahmoud Abbas a présenté son propre plan de sortie de crise. Il préconise le déploiement d’une force de l’Otan le long de la vallée de Jourdain et autour des quartiers Est de Jérusalem, où s’étendrait le futur État palestinien. Si ses projets ont vite été moqués par les ultranationalistes israéliens, les blocages actuels tendent à accentuer les pressions sur l’État hébreu. "Vous voyez la campagne de délégitimation qui est en train de se mettre en place contre Israël. Le statu quo actuel est intenable", a averti John Kerry. "Ce sont des propos intolérables", rétorquent, à l’unisson, les ministres de Netanyahou, qui y voient un soutien implicite au boycott. "Nous ne négocierons pas sous la menace", promettent-ils, comme pour acter la rupture avec les Américains. Mais jusqu’où ira-t-elle ?
À Occupant, occupant et demi
Pour marquer leur refus d’une possible annexion de la vallée du Jourdain, qu’ils considèrent comme partie intégrante de leur futur État, plusieurs centaines d’activistes palestiniens occupent actuellement le village abandonné d’Eij Hajla, frontalier de la Jordanie et placé en zone C, sous contrôle sécuritaire israélien. S’inspirant de la méthode employée par certains colons radicaux, ils disent mettre en oeuvre la politique du fait accompli. Malgré l’ordre d’évacuation adressé par l’armée, ces militants chevronnés refusent d’obtempérer. Nombre d’entre eux sont membres des Comités populaires contre le mur et les colonies et se rappellent qu’en 2011 leurs actions de sape sur le terrain avaient abouti au démantèlement de la clôture de sécurité qui sectionnait le village de Bilin, près de Ramallah.
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