Yémen : Ali Abdallah Saleh, l’ombre d’un despote

Pour les autorités du Yémen, Ali Abdallah Saleh, l’homme qui dirigea le pays d’une main de fer trente-trois années durant avant d’être poussé à la démission, alimenterait aujourd’hui des foyers de discorde.

Ali Abdallah Saleh a regné 33 ans. © GAMAL NOMAN / AFP

Ali Abdallah Saleh a regné 33 ans. © GAMAL NOMAN / AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 20 février 2014 Lecture : 3 minutes.

"Je vous demande pardon pour mes erreurs passées." C’était la singulière confession, le 22 janvier 2012, de l’unique dictateur démissionnaire du Printemps arabe, Ali Abdallah Saleh, qui faisait ses adieux après un règne de trente-trois ans. Un raïs contrit, mais surtout meurtri par l’attentat qui avait manqué de lui souffler la vie dans la mosquée de son palais, en juin 2011. Mais en fait d’adieu, ce n’était qu’un au revoir. Intégralement amnistié par le Parlement la veille de son départ, il regagnait la capitale, Sanaa, trois semaines plus tard. Depuis, le président à la retraite (72 ans en mars) rédigerait ses Mémoires et aurait abandonné toute ambition politique. Sans doute l’ouvrage rappellera-t-il, comme continue de le faire son site officiel, presidentsaleh.gov.ye, que ce maréchal autoproclamé a été "le fondateur de l’État moderne du Yémen fondé sur la démocratie, le pluralisme politique, la liberté de la presse, le respect des droits de l’homme et la transmission pacifique du pouvoir"…

Mais deux ans après l’émouvant mea culpa, l’ombre du dictateur s’alourdit comme une nuée ardente prête à engloutir la frêle transition postrévolutionnaire du Yémen. Le 25 janvier, les forces politiques yéménites célébraient la clôture de dix mois de dialogue national, prélude à l’élaboration d’une nouvelle Constitution et au remembrement fédéral du pays. Un rare signe d’espoir dans un Yémen déchiré depuis des décennies entre le Nord, prépondérant, et le Sud, séparatiste, gangrené par les maquis d’Al-Qaïda à l’Est et par la vieille rébellion des chiites zaïdites qui ne cesse de gagner du terrain depuis les confins septentrionaux.

À Sanaa et dans les grandes villes, ces hostilités s’expriment à coups d’exécutions, d’attentats et d’enlèvements quotidiens.

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À Sanaa et dans les grandes villes, ces hostilités s’expriment à coups d’exécutions, d’attentats et d’enlèvements quotidiens. Plus de 150 personnalités ont trouvé la mort ces deux dernières années. Pour ses ennemis, celui qui gouverna le pays comme on "danse sur les têtes des serpents" alimenterait aujourd’hui des foyers de discorde sous le chaudron yéménite. Dès décembre 2012, les nouvelles autorités parviennent à neutraliser ses principales capacités de nuisance, écartant notamment de leurs fonctions son neveu Yahya Saleh, chef de la Garde centrale, son cousin Ali Mohsen, commandant de la 1re division blindée, et son fils Ahmed Ali Saleh, qui dirigeait la Garde républicaine, héritier putatif du raïs avant la révolution. Et son espoir de demain ?

Une résolution pour sanctionner ceux qui bloquent la transition

Car Saleh garde dans son jeu quelques cartes maîtresses : la présidence du Congrès général du peuple (CGP), qui domine toujours le Parlement, une puissante armée médiatique levée après sa destitution et qui ne se lasse pas de fustiger ses ennemis, ainsi qu’une masse de partisans zélés, vivier de miliciens. Pourtant vice-président de Saleh de 1994 à 2012 et toujours vice-président du CGP, le nouveau chef de l’État, Abd Rabbo Mansour Hadi, accusait, dès 2012, son prédécesseur d’orchestrer des assassinats et des opérations de sabotage des infrastructures pour mieux plonger le pays dans le chaos et discréditer le pouvoir en place. "Des éléments de l’ancien régime continuent de manoeuvrer pour bloquer, saper et faire échouer la transition", déclarait, lors de la cérémonie de clôture du 25 janvier, Jamal Benomar, l’envoyé spécial de l’ONU à Sanaa. Au siège de l’organisation, à New York, les quinze membres du Conseil de sécurité pourraient voter, dès ce mois-ci, une résolution en cours d’élaboration pour sanctionner ceux qui cherchent à torpiller le processus en cours. Des États souhaitent expressément y voir inscrit le nom du président déchu.

Début février, dans une interview au quotidien saoudien Asharq al-Awsat, le ministre yéménite de la Justice précisait que l’immunité de Saleh ne s’appliquerait pas à ses activités politiques postérieures à l’accord de 2012. Une nouvelle voie pour lui limer définitivement les crocs ? Dans le nid yéménite, le président déchu devrait se rappeler qu’il n’est désormais qu’un serpent parmi d’autres.

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